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Section 3 : Les ancres de carrière

3.2. Intérêt de la notion d’ancres de carrière

3.2.2. Applications du principe des ancres de carrière

Les implications de ce concept d’ancres concernent non seulement les individus mais aussi les organisations. Pour la personne, l’intérêt de déterminer son ancre de carrière réside, selon Schein (1995), dans une plus grande conscience de soi qui guide le parcours professionnel et aide à planifier plus facilement les choix de carrière. Quand on connaît son ancre, on a les moyens de mieux réfléchir à ses futures décisions de carrière, en ayant aussi une meilleure compréhension de ce qu’on a déjà réalisé.

Dans les organisations, l’intérêt du principe des ancres se manifeste surtout dans la manière de gérer la carrière des hauts potentiels. Mais il est globalement utile, pour une organisation, d’évaluer les ancres de carrière de ses salariés, afin de faire correspondre au mieux les besoins organisationnels et individuels, ce qui permet d’ajuster et de réorganiser en conséquence les postes et les métiers. La détermination des ancres peut également aider les individus dans leurs démarches de changement professionnel, tout en permettant aux organisations de mieux accompagner les personnes dans la planification de leur parcours (Igbaria et al., 1991; Aryee, 1992). Schein (1995) souligne l’importance de la reconnaissance des motivations et des besoins des personnes si on veut offrir à chacune d’entre elles les opportunités qui s’accordent le plus avec sa contribution, son projet ou ses envies.

D’une manière générale, même si le processus organisationnel de suivi est inexistant ou peu appliqué, l’individu a tout intérêt à faire le bilan de ses compétences, de ses connaissances, de ses forces et ses faiblesses à des moments divers de sa carrière. Dès lors que cette introspection est soutenue, la personne aura une plus grande détermination à adapter ses objectifs et ses valeurs au cadre de son organisation en fonction de ses possibilités de développement et de progression professionnelle.

Dans une autre analyse, partant du constat que les ancres de carrière facilitent la compréhension des aspirations individuelles, Noe et al. (1988) stipulent qu’elles peuvent influencer l’intention et la volonté de mobilité intra-organisationnelle des personnes. Mignonac et Herrbach (2003) confirment, eux aussi, que les ancres de carrière représentent les variables qui expliquent le mieux les choix individuels de mobilité. Hsu (2003) a conduit, de son côté, une étude dans un domaine spécifique qui est celui des technologies et systèmes d’information, examinant la relation entre les intentions individuelles de quitter un emploi et la compréhension des ancres de carrière.

D’autres auteurs ont tenté de relier le concept des ancres au succès et aux cheminements professionnels. C’est le cas de Martineau et al. (2005) qui ont conduit leurs travaux auprès d’ingénieurs afin de confirmer ce lien. Wright (1990) ou encore Aryee (1992) avaient, eux aussi, expliqué que l’influence des ancres de carrière sur la réussite professionnelle est d’autant plus grande que la connaissance des besoins, des orientations professionnelles et des ancrages individuels est précise.

Quant à Driver (1979), il avait déjà établi dans une étude purement théorique que la poursuite d’un cheminement de carrière est étroitement liée à la détention d’une ancre appropriée. Sa théorie se résume dans le tableau suivant.

Tableau 3 : Relations entre ancres de carrière et cheminements de carrière

Ancres de carrière Type de carrière

Sécurité Homéostatique

Mode de vie Homéostatique – spiralique

Compétence technique/ fonctionnelle Linéaire – homéostatique

Compétence de direction Linéaire – homéostatique

Esprit d’entreprise Linéaire – transitoire

Autonomie/ indépendance Transitoire – spiralique

Service/ dévouement Homéostatique – spiralique

Source : “Career concepts and career management in organizations”,

Driver, M., 1979, p. 93.

En conclusion, la théorie des ancres de carrière a fourni un meilleur éclairage sur la conduite des parcours professionnels et les choix individuels de carrière. L’apport de Schein est particulièrement intéressant car il améliore la connaissance de soi et propose aux directeurs et responsables RH un moyen de comprendre les besoins, les attentes et les valeurs des individus vis-à-vis de leurs carrières, à travers un outil validé par de nombreux travaux empiriques.

Conclusion

Le concept de carrière est au centre de ce chapitre. En cherchant à le cerner, nous avons abordé, dans un premier lieu, son aspect collectif, relié aux techniques et aux modèles sur lesquels repose la gestion des carrières au sein des organisations. Nous avons poursuivi par l’exploration de son aspect individuel.

Qu’elles soient environnementales, organisationnelles ou individuelles, plusieurs variables influencent la carrière. En lien avec notre recherche, nous avons insisté sur les variables individuelles, et spécialement la personnalité, à partir de la théorie des ancres de carrière de Schein. Celle-ci aide à comprendre l’orientation des choix individuels de carrière en fonction de préférences pour la compétence technique/ fonctionnelle, la compétence de direction, les besoin d’autonomie/ indépendance, de sécurité/ stabilité, d’esprit d’entreprise, de service/ dévouement, de défi ou d’harmonisation avec le mode de vie.

Le concept des ancres présente un double intérêt. Pour la personne, la connaissance de son ancre de carrière lui permet de guider son parcours professionnel et de planifier plus facilement ses choix de carrière. Dans les organisations, cela donne aux directeurs et responsables RH un moyen de mieux comprendre les besoins, les attentes et les valeurs des individus vis-à-vis de leur carrière, ainsi que de leur proposer des plans professionnels et des postes plus adaptés à leur ancre préférentielle.

En ce qui concerne la gestion des carrières, notre analyse a pu mettre en lumière l’évolution progressive des modèles de prévision des emplois, qui passent d’une prédominance quantitative à une inspiration beaucoup plus qualitative. La difficulté qu’ont généralement les organisations à mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois les a incitées à obtenir des salariés qu’ils prennent en charge leur carrière.

Aujourd’hui, les entreprises se désengagent de plus en plus de l’élaboration et de la planification des parcours de leurs salariés (sauf là où elles ont des besoins précis, susceptibles d’être anticipés). En contrepartie, elles leur apportent des aides et du soutien par rapport à leur évolution, ainsi qu’au sens et au rythme à donner à leur itinéraire professionnel. Pour les organisations comme pour les salariés, il faut s’adapter à ces nouvelles perspectives pour optimiser la gestion des carrières. C’est ce que le chapitre 2 va tenter d’approfondir.

Chapitre 2 : La gestion des carrières : à la croisée entre

entreprise, salarié et environnement institutionnel

« C’est à travers un tissu social plus ou moins bien disposé que l’être humain fait agir sa responsabilité. Sans une solidarité de réseau qui la soutienne ou la complète, l’action

individuelle se vide de ses forces. » (Pierre Louart, 2004b, p. 495)

Introduction

Les relations qui lient les individus à leur emploi se sont modifiées (Cohen-Haegel, 2010). On observe de nouveaux types de contrats, de statuts, d’implications, avec des fluctuations d’objectifs ou de places dans les systèmes de travail. L’évolution verticale par promotion et la construction d’un rapport durable avec son employeur ne représentent plus la norme dans les organisations d’aujourd’hui. L’entreprise représente la sphère au sein de laquelle chaque personne trouve les moyens de répondre à ses aspirations, tout en y trouvant des satisfactions psychologiques.

Aujourd’hui, les organisations incitent de plus en plus les salariés à prendre le contrôle de leur carrière. Cependant, « mettre au cœur de l’employabilité l’individu ne signifie pas que l’entreprise n’a plus de rôle à jouer. La responsabilité de l’individu s’exerce avec le soutien de l’entreprise qui lui apporte les outils nécessaires à travers sa politique de gestion des carrières » (Cerdin, 2015, 112). Les organisations continuent donc de s’y intéresser, mais elles jouent un rôle indirect d’accompagnement. Elles ne se sentent responsables que d’un soutien aux progressions individuelles, sans prendre d’engagements. Elles « ne veulent plus investir sur leur personnel » (Hoffman et Casnocha, 2013, p. 17), d’autant que leurs capacités à suivre l’employabilité ou les trajectoires professionnelles d’une manière durable sont limitées.

Néanmoins, pour éviter de mettre tout le poids du devenir professionnel sur les seuls salariés, de plus en plus de spécialistes RH préconisent une cogestion de la carrière et de

l’employabilité. Ils voudraient que les responsabilités de la satisfaction professionnelle et de la progression du parcours personnel soient partagées entre l’employeur et le salarié. Ce dernier est appelé à s’engager dans la démarche de construction de son projet professionnel. De son côté, l’employeur est chargé de soutenir ou de valoriser ce projet. Et il ne faut pas négliger, dans ce cadre, le rôle de facteurs externes et d’acteurs de l’environnement organisationnel, institutionnel et relationnel, qui peuvent influencer les démarches individuelles, en intervenant sur les parcours professionnels ou sur les pratiques organisationnelles de gestion de carrière.

Section 1 : La diversification des démarches et pratiques de