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Section 1 : Le cadre épistémologique

1.2. La démarche d’analyse de la recherche

Concernant la démarche scientifique, on peut saisir essentiellement deux logiques à partir desquelles, comme le précise Aktouf (1987), les modes opératoires se construisent pour définir une stratégie d’accès au réel et pour choisir les moyens du recueil et de l’analyse des données.

Dans l’optique déductive, on analyse le particulier à partir du général. On rend compte d’une situation concrète spécifique à l’aide d’une grille théorique générale préétablie. Le processus de la recherche débute donc avec les analyses théoriques, traduites dans des hypothèses testables, pour ensuite les vérifier sur le terrain, à partir d’un échantillon représentatif.

La démarche inductive consiste, au contraire, à tenter des généralisations à partir de cas particuliers qu’on compare et confronte, et à partir desquels on découvre des régularités sur le terrain. Une formalisation théorique est alors « induite » des observations du chercheur. Elle sert à organiser, structurer ou classer ce qui a été perçu. « L’idée centrale consiste à introduire des énoncés généraux à partir d’expériences particulières, rigoureuses et systématiques » (Prévot, 2005, p. 13).

Dans le même ordre d’idées, Charreire et Durieux (1999) expliquent que « pour explorer, le chercheur adopte une démarche de type inductive et/ ou abductive alors que pour tester, celui-ci fait appel à une démarche de type déductive » (p. 59). Les auteurs ajoutent que les trois démarches revêtent des caractéristiques différentes.

En démarche inductive, la règle est une résultante des faits. En démarche déductive, c’est la règle qui est imposée aux faits. Quant à la démarche abductive, elle implique l’observation de faits réguliers en lien avec des cadres conceptuels existants. Cela permet de conjecturer les relations entre les objets, pour ensuite les tester et les discuter. L’abduction essaie de résoudre la difficulté cognitive montrant qu’on n’appréhende pas le réel sans catégories mentales, et qu’il y a donc toujours de quoi aider à penser ce qu’on pense. On ne nie pas qu’en observant, on fait appel implicitement à des « théories » (ou à des modèles interprétatifs). Cependant, le lien entre faits et théories est souple. Il n’infère rien à priori,

mais ne suppose pas non plus qu’on pourrait repérer des faits en soi, sans l’aide de catégorisations préalables. Eco (1988) a comparé ainsi les trois démarches et a proposé des schémas inférentiels sous la forme de la figure suivante.

Figure 15 : Description des trois formes de démarche d’analyse

Déduction Induction Abduction

1 2 2

1 2 1 3

* Les cases en traits pleins représentent les stades de l’argumentation pour lesquels on a des propositions déjà vérifiées.

* Les cases en pointillés représentent les stades de l’argumentation produits par le raisonnement.

Source : “Le signe”, Eco, U., 1988, p. 50.

En conséquence, la démarche que nous adoptons dans le cadre de notre recherche est en grande partie abductive. Ce choix est dicté par la nature exploratoire de nos questions de recherche, comme le préconise Koenig (1993). La mobilisation d’une démarche abductive ne consiste pas à partir d’une hypothèse, mais à y parvenir. Elle présente, entre autres, l’intérêt majeur d’ajuster régulièrement la problématique de la recherche au terrain. Elle ne dispose pas du confort d’un procès déductif, dans la mesure où elle ne s’organise pas autour d’une règle centrale qui éclairerait les faits. Au contraire, elle explore et cherche à relier, à organiser et à analyser des données, des signes ou des faits dont on pourrait penser qu’ils découlent d’une loi possible, mais encore inconnue. David (1999) considère l’abduction comme un processus d’interprétation, qu’il juge indispensable pour construire des modèles et analyser des situations de gestion.

Ce choix n’empêche pas le recours, à certains moments de notre recherche, à la déduction et à l’induction. En effet, Dumez (2016) explique, en reprenant les théories de Peirce, que « déduction, induction et abduction ne s’opposent pas comme trois modes de raisonnement mais se combinent en pratique dans des séquences de logique de découverte »

Résultat Règle Cas Résultat Résultat Règle Cas Règle Cas

(p. 193). Il ajoute que « l’abduction ne tire son sens que de la démarche inductive qui la suit (après que la déduction ait permis de préciser les effets attendus sur lesquels travaille l’induction) » (p. 194). En ce sens, l’induction part d’un échantillon pour y trouver matière à généralisation, et l’abduction est un moyen d’y préparer (Peirce, 5.196)38.

Partant du fait que « l’abduction démarre avec un fait surprenant » (Dumez, 2016, p. 190), ce type de fait, pour nous, serait l’importance prise par l’ouverture de la gestion des carrières à toutes sortes d’environnements qui la sortent d’un dispositif interne aux entreprises. Dans ce cadre, si la démarche abductive est basée sur un échange entre théories et résultats, en évitant l’effet de circularité que l’on reproche à l’étude qualitative, l’induction, quant à elle, favorise l’émergence de concepts à partir de résultats. De cette manière, elle permet un retour à la théorie (Dumez, 2013). La démarche abductive de notre recherche s’inscrirait alors, selon la pensée de Peirce, dans un continuum liant la démarche empirico- inductive, qui permet de créer des concepts et des théories à partir des observations empiriques, à la démarche déductive, où on vérifie la validité de ces concepts et théories à des fins d’en tirer des énoncés généraux.

Ce raisonnement a été repris notamment par David (1999) qui appelle à dépasser l’opposition entre ces démarches. Notre recherche emprunte ainsi, comme il le suggère, « une boucle récursive » qui comporterait abduction, déduction et induction. En mobilisant ces trois logiques de raisonnement, nous commençons par confronter un ensemble de codes et de principes au terrain. Par exemple, nous avons vérifié que les organisations continuent à s’intéresser à la gestion des carrières de leurs salariés. En même temps, nous avons fait émerger du terrain des notions qui ont contribué à compléter les principes énoncés habituellement par les théories des carrières. Nous y avons découvert des régularités sur la base de cas particuliers (Wacheux, 1996). Pour finir, notre logique abductive nous a permis de relever les données qui posent problème (Pellissier-Tanon, 2001) et de procéder par va-et- vient entre notions et données (Charreire et Durieux, 1999). Nous en avons tiré des conjectures (Koenig, 1999), en formulant des propositions théoriques et managériales susceptibles de pousser les acteurs (DRH, salariés) à réagir (adaptation, créativité) face à une nouvelle conception de parcours professionnels.

38 La référence aux travaux de Peirce se fait habituellement sous la forme d’une notation qui comprend un

premier chiffre indiquant le volume des Collected Papers et un deuxième chiffre indiquant le paragraphe contenant la citation.