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Section 2 : Les nouvelles formes de carrière

2.2. Le rôle de l’individu dans la gestion de sa carrière

2.2.2. Des facteurs individuels déterminants

Il faut sortir de la seule sphère organisationnelle et se placer au niveau des cheminements individuels pour expliquer les nouvelles carrières. De ce point de vue, les principaux facteurs qui influencent les choix professionnels sont les traits de personnalité, les compétences détenues, le plateau de carrière, les décisions individuelles, le niveau d’informations et les spécificités liées au genre, à l’âge, à l’origine sociale et à l’influence parentale.

13 « Qui est donc le ‘salarié self RH’ ? », article de R. Giry, FocusRH, 08 février 2017.

- La personnalité :

La personnalité est une variable centrale dans les choix de carrière. Elle est composée d’une multitude d’éléments, ce qui la rend complexe et difficilement saisissable. Pour la définir, Allport (1970) l’assimile à une « organisation dynamique des systèmes psycho- physiques qui déterminent le comportement caractéristique et les pensées » de chacun (p. 34). Cet auteur identifie différents traits de personnalité à partir des sources de motivation, des besoins et des valeurs.

Plus les valeurs qu’un individu met en avant convergent avec celles de son organisation, plus il s’identifie à cette organisation. Dans un contexte professionnel donné, chaque personne a des besoins spécifiques. Or, selon McClelland (1961), c’est cette satisfaction qui détermine le niveau de motivation au travail. Cet auteur insiste sur les besoins d’accomplissement, de pouvoir ou d’affiliation. Les premiers aident la personne à s’impliquer professionnellement et à se dépasser. Les deuxièmes expriment l’envie d’avoir de l’influence sur les personnes et les situations. Les derniers, enfin, poussent à établir des relations d’échange et de partage affectif avec les autres.

Maslow (1962, p. 174) dresse une autre typologie de besoins, avec des différences individuelles notoires, même si certains besoins primaires doivent être traités pour tous (par exemple physiologiques ou sécuritaires) avant que d’autres (plus sociaux ou personnels) ne puissent se manifester.

De leur côté, Herzberg et al. (1959) ont analysé deux types de besoins. Certains sont passifs. Quand on n’y répond pas, on ne fait qu’alimenter l’insatisfaction. D’autres sont plus mobilisateurs. Ils se rattachent au contenu du travail et incluent, notamment, la reconnaissance, la réalisation de soi, l’intérêt des tâches, l’avancement ou les responsabilités qu’on a pu prendre. Tous ces éléments peuvent être satisfaits par un parcours de carrière dynamique et stimulant.

- Les compétences et les positions occupées :

Les compétences d’un individu résultent de l’accumulation de connaissances et des expériences acquises tout au long de son parcours professionnel. Mais elles n’ont de sens

qu’actualisées (et efficaces) dans un emploi donné. Les dernières fonctions occupées influent énormément les futurs choix de carrière, comme le confirme Forbes (1987) : “later positions were more predictive of career attainment than were early promotions”14 (p. 110).

En outre, les diplômes obtenus et le niveau de formation initiale d’une personne déterminent fortement ses possibilités d’accéder à des positions bin rémunérées, ainsi qu’à des emplois ou des fonctions valorisés (Gonzalez et Nauze-Fichet, 2002). Ce constat est toujours vrai aujourd’hui dans un contexte de travail très sélectif. L’individu qui souhaite avancer et atteindre le haut des échelles professionnelles et managériales doit s’efforcer de détenir et de développer des compétences utilisables sur le long terme.

- Le plateau de carrière :

Pour définir le plateau ou le plafonnement de carrière, Ference et al. (1977) l’associent au « moment où la probabilité d’obtenir une affectation verticale est faible » (p. 602). Sur le plan théorique, deux grands mouvements ont imprégné ce concept. « Le premier se caractérise par l’adoption d’une définition objective du concept de plateau de carrière basée sur l’ancienneté dans le poste actuel. A l’opposé, le second adopte une définition plutôt subjective du concept, faisant appel à la perception ou au sentiment des sujets à l’égard du plafonnement de carrière » (Beauchamp et Fabi, 1993, p. 86).

Ce deuxième courant semble plus adapté à la réalité de l’organisation. Mieux vaut lier le plateau de carrière à l’individu qu’à l’organisation. Dans une telle optique, ce phénomène serait, selon Cardinal et Lamoureux (1992, p. 83), le reflet des sentiments d’échec ou de frustration qu’un individu ressent quand il constate la fin de sa progression de carrière. En situation de plateau de carrière, les personnes développeraient une attitude négative au travail en refusant d’apporter le soutien nécessaire à leurs collaborateurs, en cherchant des sources d’intérêt en dehors de l’entreprise, en résistant aux changements professionnels ou organisationnels, en s’absentant ou en témoignant d’un manque de ponctualité (Feldman et Bolino, 1996). Leur efficacité organisationnelle serait alors affectée et elles seraient davantage portées à remettre en question leur engagement envers l’organisation (Feldman, 1988).

14 « Les dernières positions ont mieux prédit les objectifs de carrière que les premières promotions. » (Forbes,

La situation de plateau affecterait donc profondément les personnes qui s’y trouvent. Celles-ci seraient contre-productives, avec des risques pour la santé physique et surtout psychologique (Gaertner, 1988). Elles vivraient un sentiment d’ennui, mêlé de cynisme, d’émotivité ou d’état dépressif, de baisse de l’estime de soi et d’épuisement professionnel.

- Les décisions individuelles :

Un individu peut entreprendre des actions pour prendre en main son destin, ce qui influence alors sa carrière (London et Mone, 1987). Les décisions peuvent être prises d’une manière individuelle, par exemple en quittant une entreprise ou un emploi, en acceptant une mobilité. Mais l’individu peut également montrer son envie d’avancer, sa volonté d’apprendre, sa disponibilité et son investissement au travail, ce qui le rendra visible et attractif pour les formes d’évolution qu’il souhaite.

- Les sources d’information :

Le niveau d’information qu’un employé détient sur les postes accessibles, les opportunités existantes, les exigences d’affectation ou les éventuelles possibilités d’avancement influence beaucoup son cheminement de carrière. La qualité et la quantité des informations sont meilleures lorsque l’individu appartient à un réseau relationnel dans l’organisation. Ce réseau de relations, que nous étudions en détails dans le deuxième chapitre, est un facteur déterminant de la gestion du parcours professionnel. Selon St-Onge et al. (2004), la connaissance d’acteurs clés et les alliances collectives ou personnelles donnent plus de chance à un employé d’évoluer dans l’organisation.

- Les effets de genre :

A travers une étude conduite sur les carrières, Ornstein et Isabella ont montré en 1990 que les caractéristiques des carrières des hommes et des femmes sont très différentes. Par exemple, on remarque plus d’interruptions dans la carrière de la femme que dans celle de l’homme. Le moment où on passe d’un stade de carrière à un autre et la façon dont ce passage se produit sont différents chez la femme ou chez l’homme. Les hommes ne donneraient pas le même sens aux expériences vécues au même moment ou au même âge. Ils vivraient, de ce

fait, des expériences professionnelles différentes de celles des femmes (Tremblay et Aubry, 1994).

Cette disparité est souvent à l’avantage de l’homme, au sens où ce dernier priorise son activité professionnelle et se montre plus opportuniste. L’homme percevrait d’une manière plus forte le besoin de sécuriser sa carrière, et d’une manière plus positive ses opportunités d’avancement. Il tirerait une meilleure satisfaction de son organisation, de ses supérieurs et de ses possibilités de développement. Contrairement à la femme, il donnerait moins d’importance au climat relationnel ou aux avantages sociaux, ayant moins besoin d’équilibrer l’ensemble de ses implications (par exemple familiales et professionnelles).

De ce fait, le rythme de progression de carrière des hommes est plus rapide que celui des femmes, même si les choses semblent évoluer. Les hommes ont tendance à se mettre en valeur, à faire valoir leurs compétences, leurs expériences ou leur potentiel. Les femmes sont plus discrètes et réservées en matière d’auto-affirmation et de mise en scène de leurs performances.

- L’âge et les phases de transition :

De nombreuses études ont mis en évidence l’impact de l’âge sur le développement de la carrière. Sheehy (1977) ou encore Levinson et al. (1978) ont expliqué que la vie adulte était structurée par différentes phases de transition qui influencent l’évolution des attitudes de chacun à l’égard de son environnement et de son milieu familial ou professionnel.

Parmi ces stades de transition, le plus critique est celui qui se trouve à mi-vie et à mi- carrière, en général à l’âge de la quarantaine, au regard de ses implications considérables sur le parcours professionnel de la personne. Neugarten (1976) considère le besoin de réévaluation personnelle comme la question prépondérante de cette phase. C’est à ce moment que la personne se rend compte du parcours qu’elle a suivi et de celui qu’elle aurait voulu faire.

Cette remise en question peut être une source de frustration et de diminution d’estime de soi dans le cas où l’individu réalise qu’il n’a pas pu atteindre les objectifs qu’il s’était fixés. A l’opposé, ce peut être une source de stimulation, comme le souligne Neugarten

(1976), en mettant en avant le développement et les exploits réalisés sur les plans personnel et professionnel. Un tel bilan aiderait l’individu à ajuster la direction qu’il souhaite accorder à sa vie professionnelle et personnelle.

- Les caractéristiques sociodémographiques :

L’acquis social de l’individu peut fortement influencer les orientations de carrière et les capacités de réussite. L’origine familiale, la catégorie socio-professionnelle des parents et le statut de la mère (Gonzalez et Nauze-Fichet, 2002) peuvent expliquer en grande partie les diversités de positions professionnelles au même titre que la formation initiale et la réussite scolaire, qui est un élément majeur pour la réussite professionnelle.

La pluralité et la complexité des facteurs individuels qui guident une personne dans ses choix de carrière ne nous permettent pas de les analyser dans le détail. Nous avons surtout cherché à approfondir ceux que nous considérons comme les plus importants. La personnalité, notamment, est l’une des variables les plus utilisées dans les travaux de recherche sur la carrière. Pour en rendre compte, nous avons adopté la principale théorie référente dans ce domaine, celle des ancres de carrière.