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Section 2 : Les nouvelles formes de carrière

2.1. Les nouvelles carrières

2.1.2. Nouvelles carrières

Il devient courant aujourd’hui que des travailleurs changent d’employeur, de secteur, de métier et de lieu de travail, afin de chercher de nouvelles opportunités d’emploi. Ils développent ainsi des trajectoires professionnelles instables. Le concept n’est pas nouveau. En 1976 déjà, la perspective des nouvelles carrières était introduite par Hall, imaginant que bientôt la carrière déborderait de l’organisation et inclurait les expériences de formation et de travail des salariés. Ces derniers deviennent ainsi acteurs de leur carrière en se basant sur leurs opportunités, leurs valeurs personnelles et leurs aspirations. L’entreprise aurait pour seule obligation de fournir à ses employés les outils leur permettant de gérer eux-mêmes leur carrière et de développer leur autonomie professionnelle.

Hall a introduit la notion de carrière protéiforme9 ou « protean career ». Celle-ci n’est pas gérée par l’entreprise, mais regroupe l’ensemble des activités et des expériences que l’individu peut valoriser sur le marché du travail, à partir des séries de changements d’emploi (de statut ou d’identité professionnelle) et de l’apprentissage continu dont il a profité. Cette notion n’était pas répandue à cette époque, Hall étant précurseur. Mais il a repris l’idée dans les années 1990 et celle-ci s’est alors développée davantage, en prenant de l’ampleur et de la notoriété.

La carrière serait ainsi considérée comme un processus d’exploration, comme un moyen de développer son identité et ses compétences. Hall et al. (1996) mentionnent alors qu’à la place d’un jeu unique de carrière, il existe maintenant une suite de mini-mouvements (pas forcément continus) tout au long d’une vie. La carrière devient « une série d’expériences relatives au travail et d’apprentissages personnels se déroulant sur toute la vie » (p. 1). C’est dans ce contexte qu’Hall et Mirvis (1996) introduisent la notion de « carrière protéiforme », en expliquant que la carrière a pris aujourd’hui le sens et la forme d’un cheminement individualisé.

9 Certains traducteurs de HALL parlent de carrières « protéennes », mais le mot anglais a une traduction

française, qui est « protéiforme ». Cet adjectif désigne une aptitude à changer de formes et à se manifester sous des aspects variés. Il vient du héros mythologique Protée (qui était capable de modifier son apparence).

En lien avec ces évolutions, les travaux d’Arthur et Rousseau (1996) ont donné naissance au concept de carrières sans frontières ou « boundaryless careers », repris aussi par Arthur et al. (1999). Selon cette perspective, la carrière est considérée comme étant l’ensemble des expériences professionnelles d’une personne au fil du temps (Arthur et al, 1989). Cette définition semble très large, dans le sens où elle englobe toute catégorie professionnelle et s’ouvre à une grande variété de trajectoires. Et de cette manière, les définitions traditionnelles ne semblent plus appropriées pour une telle conception.

Le principe des carrières protéennes s’appuie sur l’idée d’un management de la carrière par soi-même et l’aptitude à se référer à ses propres valeurs. Celui des carrières sans frontières prend sa source dans une attirance pour la mobilité organisationnelle, à travers des opportunités de travail qui traversent les limites structurelles d’une seule organisation. Pour être plus réaliste, c’est parfois de l’attirance, mais c’est parfois aussi de la lucidité par rapport aux difficultés actuelles de l’emploi, à son côté non durable ou fragile. Cela pousse à acquérir de nouvelles connaissances et compétences, à élargir son réseau de contacts et à maintenir son employabilité.

Par la suite, les travaux de Cadin et al. (1999, 2000) conduisent au développement d’une nouvelle conception de carrière dite « nomade ». Elle a été introduite en France par Cadin (1997) en se basant sur l’expression « boundaryless career » (Arthur et Rousseau, 1996). Elle permet de mettre mieux en évidence les effets des nouvelles formes d’organisations sur les carrières. Elle repose sur l’idée que les carrières ne sont plus contraintes par les frontières des entreprises et relèvent de perspectives nettement plus individualistes et psychologiques. Plus profondément, elles rappellent que la sédentarité n’est qu’un mode de vie des êtres humains, et que le nomadisme est une autre manière de fonctionner, d’ailleurs souvent plus conquérante et dominatrice que la sédentarité.

Ce courant intègre des notions telles que la mobilité inter-organisationnelle et géographique. Il s’inscrit dans une perspective d’accumulation de connaissances. Il serait donc plus réaliste, comme le souligne Cerdin (2000), de parler d'itinéraires ou de parcours professionnels. Ces derniers donnent lieu à un cheminement dynamique constitué d'étapes plus ou moins enrichissantes, sans avoir forcément fait l’objet d’anticipations ou de programmations.

Dany (2004, p. 342) résume, quant à elle, les cinq images les plus souvent associées à la description des nouvelles carrières : des formes plus variées de parcours professionnels, un transfert de la gestion des carrières depuis l’entreprise jusqu’à l’individu, un acteur plus libre, un développement des travailleur indépendant et la métaphore de l’abeille (les entreprises s’enrichissent de la mobilité des salariés).

Dans une synthèse comparative, Delobbe (2006) présente (tableau 2), les principales caractéristiques des deux approches de carrière, à savoir la carrière classique et la nouvelle carrière.

Tableau 2 : Comparaison des carrières nomades et traditionnelles Carrière traditionnelle Carrière nomade Nature de la relation

d’emploi

Sécurité d’emploi contre loyauté

Employabilité contre performance et flexibilité Frontières de la carrière Une ou deux organisations De multiples organisations Aptitudes et compétences

professionnelles

Spécifiques à l’entreprise Transférables d’une entreprise à l’autre

Critères de succès professionnel

Salaire, promotion, statut Appréhension intrinsèque du travail

Responsabilité de la gestion de carrière

L’organisation L’individu

Formation Programmes formels Sur le tas, par l’expérience Critères d’avancement Liés à l’âge Liés à l’apprentissage

Source : “Comment gérer les carrières aujourd’hui ?”,

Delobbe, N., 2006, p. 154.

Suite à ces développements, nous présentons, ci-dessous (figure 5), une synthèse du noyau théorique qui compose ce concept de carrière nomade. Nous expliquerons ensuite les notions les plus importantes y figurant.

Figure 5 : Le schéma théorique du courant des carrières nomades Compétences de carrière

(« knowing how, whom, why »)

Expériences Capital de carrière

(professionnelles, (humain, social, culturel) bénévoles, personnelles)

Arènes institutionnelles (entreprise, métier, industrie, société)

Source : “Carrières nomades et contextes nationaux”,

Cadin, L. et al., 2000, p. 79.

Ce schéma que Cadin et al. (2000) appellent « l’enactment of careers » fait ressortir clairement que l’individu fait face à différentes expériences, qu’elles soient professionnelles, bénévoles ou personnelles. Et celles-ci deviennent des compétences de carrière. Elles constituent par la suite un capital de carrière qui sera utilisé ou investi dans divers espaces appelés arènes institutionnelles.

En continuité avec toutes ces évolutions de paradigmes, certains auteurs parlent de carrière intelligente (Arthur et al., 1995 ; Parker et al., 2009) en référence à la théorie de l’entreprise intelligente de Quinn (1992). Selon Cerdin (2015), cette conception se base sur l’apprentissage et l’investissement dans la carrière, à travers les motivations personnelles, les compétences, les expertises et les relations. Il ajoute qu’elle « fait actuellement l’objet d’un intérêt particulier pour comprendre et gérer les nouvelles carrières » (p. 31). Les individus se présentent dans ce cadre « en position d’agir en partenaires de leur entreprise pour une véritable cogestion des carrières » (p. 35).