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Section 1 : La gestion prévisionnelle des ressources humaines : cadre général de la gestion

1.1. La carrière : concept constamment renouvelé

1.1.4. La GPEC en pratique

La loi de cohésion sociale de 2005, dite loi Borloo, a rendu obligatoire la négociation triennale de l’élaboration d’une démarche de GPEC pour les entreprises d’au moins 300 salariés. Ce dispositif aide à dynamiser le recrutement, la formation et plus généralement l’emploi. Cependant, il est relativement peu pratiqué, même s’il est paré de tant de vertus et si souvent prôné. Gazier (1993) souligne qu’il s’agit d’une démarche lourde, coûteuse et rigide qui devrait être imposable aux grandes entreprises pouvant gérer un dialogue social. En ce sens, beaucoup de spécialistes et responsables RH témoignent de sa complexification administrative inutile. Les syndicats de leur côté y voient un moyen roué qui permet de masquer les plans sociaux et les licenciements. La plupart des entreprises réduisent la GPEC à une obligation légale, en négligeant l’importance d’informer et d’y impliquer les salariés qui, par conséquent, ne réalisent pas les opportunités que la GPEC peut présenter pour leurs carrières.

Selon Labruffe (2008), la GPEC serait « le serpent de mer de la gestion des ressources humaines » ; une procédure qui réapparait très fréquemment et qui est, dans les faits, très rarement mise en place. Cette GPEC traditionnelle ne serait donc plus adaptée à notre réalité, caractérisée par un monde de travail en continuel mouvement réclamant des fonctions multiples et évolutives. Labruffe propose alors de raisonner en termes d’une « GPEC rénovée » qui qui serait claire aux yeux des salariés et qui représenterait une gestion personnalisée de l’évolution des compétences. Cette gestion serait établie conjointement avec chaque salarié en suivant l’acheminement de sa carrière et en s’adaptant aux évolutions technologiques et fonctionnelles.

Tous ces changements organisationnels et ces transformations qui touchent les conceptions de la démarche de GPEC pèsent lourdement sur la gestion des carrières, elle aussi assujettie à de multiples conceptions.

Encadré 1. Des exemples pratiques d’utilisations de GPEC

La crise financière et économique de 2008-2009 a poussé de nombreux grands groupes à installer progressivement la GPEC dans leurs méthodes. Ils l’ont adoptée dans le but d’apporter des solutions à leurs problématiques sociales et une aide pour affronter les impératifs technologiques et économiques. Depuis 2011, l’introduction de la GPEC chez Renault a surtout favorisé la mobilité professionnelle interne et externe ainsi que les aménagements de fin de carrière. Cette démarche a évité au groupe le recours aux licenciements secs et aux plans sociaux. Son intérêt a même été constaté par les syndicats qui ont apprécié les bonnes conditions dans lesquelles la démarche s’est mise en place, principalement pour les salariés, et aussi les ajustements qui ont été faits d’une manière progressive.

Chez Veolia Environnement, un accord de GPEC a été élaboré, contenant la signature de tous les syndicats suite à deux années de concertations. Un Observatoire Métiers a été ainsi créé permettant une information sur les axes stratégiques du groupe et une communication plus efficace auprès des partenaires sociaux.

Cependant la lourdeur administrative et les difficultés liées à la mise en place de ce dispositif éveillent une certaine réticence chez les RH quant à son application. En 2013, différents responsables s’expriment sur ce qu’ils pensent de la GPEC et les problématiques qu’ils y voient.

M.M. DRH - Vice President HR chez ADP, leader mondial des services RH, Paie et Temps :

« Personnellement, je ne suis pas une fan d’un outil franco-français, hyper théorique, qui est super

compliqué et que personne ne sait utiliser. Nous avons une GPEC mise en place, mais nous sommes en train d’abandonner cette démarche très théorique et d’aller vers un outil beaucoup plus pragmatique qui est appelé « job catalogue » où sont recensées les différentes définitions et descriptions des fonctions. Evidemment, nous nous assurons quand les jobs évoluent, quand les métiers évoluent, que le job catalogue soit mis à jour. Ce job catalogue est surtout utilisé par les RH et la formation, et est consultable par tous les salariés ».

A.S. Directeur développement groupe des cadres chez Faurecia Groupe (Filiale PSA), leader en industrie automobile :

« La GPEC, c’est vraiment français de cette façon-là, ça existe dans des formes différentes dans

d’autres pays. On ne fait pas de GPEC de cette manière-là. Si on parle de manière plus directe, nous faisons ce qu’on appelle du « workforce planning » au niveau groupe. Chaque année, nous faisons un plan à moyen terme où nous parlons d’abord du business, nous regardons les tendances de changement de nos données, les projets que nous pouvons espérer avoir, et nous faisons des prévisions en termes d’effectifs, d’équipes, de bénéfices,… Nous faisons un exercice assez qualitatif mais très global. Ensuite, pour des postes clés, nous faisons un plan d’anticipation des successeurs pour les gens qu’on va faire bouger. Donc, tous les ans, nous essayons d’imaginer comment notre business va évoluer dans 5 ans et nous essayons d’anticiper nos besoins ».

F.R. Leadership developer/ Gestionnaire de cadres chez ArcelorMittal Groupe, leader mondial de l’industrie (production sidérurgique et exploitation minière) :

« C’est un très joli terme ! Nous avons un accord de GPEC groupe qui laisse penser que, sur le

papier, nous faisons très attention à ça. Même si on ne va pas être politiquement correct, mais aujourd’hui, on est plutôt dans la gestion de l’urgence, c'est-à-dire qu’on n’anticipe pas beaucoup, on a clairement du mal. Les procédures sur le papier sont claires et permettent d’anticiper après, c’est plus une question de moyens ».

J.R-V. Group HR Director chez Capgemini, leader mondial en conseil et services informatiques : « En ce moment, nous sommes plutôt dans une discussion dans laquelle nous sommes en désaccord

sur les GPEC. Pour moi, ce qui importe c’est qu’en posant la question à un collaborateur, il soit capable de voir où est sa trajectoire, ce qui m’intéresse c’est que n’importe qui peut savoir quel type de rôle il pourrait avoir après. Dans nos discussions de fin d’année, nous essayons de lier la discussion de la performance avec les progressions possibles et la discussion autour de l’employabilité afin de savoir à quel niveau de l’employabilité la personne est dans son rôle. Je n’ai pas choisi la GPEC pour gérer le personnel, c’est une obligation légale. Et mon modèle de compétences est un modèle global, ce qui fait qu’il y a peu de GPEC locale. Ce qui importe pour moi, c’est d’avoir un collaborateur et un manager qui ont une discussion intelligente pour des opportunités à l’intérieur de l’équipe, à l’intérieur du business, mais à l’intérieur de la France aussi. Mais la GPEC doit être faite uniquement avec les managers qui comprennent le business, qui comprennent ce que les clients veulent, et qui devraient proposer un vrai avenir à nos collaborateurs. Ce n’est pas du tout un exercice de RH, ni de partenaires sociaux, mais ça l’est aujourd’hui et c’est dommage ! Le business n’est pas assez fortement présent dedans, ce qui est toute l’idée ».

D.G. DRH chez Jeumont Electric (Groupe Altawest), équipementier majeur du marché de production et conversion d’électricité :

« On a une GPEC mais très simple, il ne faut pas que ce soit compliqué parce que sinon personne

n’adhère. Une GPEC ne se vit pas qu’au niveau RH, il faut qu’elle soit appliquée et comprise par les différents services. Concernant les plans prévisionnels des emplois et compétences, nous sommes obligés de les faire parce que la loi nous oblige de par les accords, de par l’accord des générations qui vient de sortir, on nous oblige à nous engager en termes de recrutement ».

Beaucoup de responsables RH voient donc la GPEC comme une obligation légale et une contrainte qui peut rendre leurs pratiques RH complexes et difficiles à mettre en place. M.R. DRH France de ING Direct conclut ainsi : « un accord GPEC, pourquoi pas, à condition qu’il soit un outil vecteur de sens

plutôt qu’une contrainte. L’heure est donc plus à la création d’une relation de confiance avec les partenaires sociaux, les collaborateurs, les managers autour de processus RH clairs et solides qu’à l’élaboration d’un dispositif GPEC ultra formalisé et potentiellement lourd à mettre en œuvre ».