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Pour toute recherche, il convient de mener une réflexion et un positionnement ontologique puis épistémologique, ce qui conditionne ensuite les méthodes de recherche retenues. L’ontologie consiste à se demander quelle est notre conception de la nature de la réalité. Ainsi, on se demande si l’on considère le monde comme « réel » ou comme « construit ». Suite à cela, il convient de choisir l’épistémologie retenue, soit la nature de la relation entre le chercheur et son objet de recherche. Le positionnement épistémologique dépend donc du positionnement ontologique, et conduit à s’inscrire dans un certain paradigme. Enfin, de ces positionnements successifs découle un choix méthodologique, car toutes les méthodologies de recherche ne sont pas forcément adaptées au positionnement épistémologique retenu.

L’exposé qui suit permet donc d’expliciter notre positionnement épistémologique et de faire état de la posture paradigmatique retenue. Après avoir exposé les principaux paradigmes souvent mobilisés en sciences de gestion (voir 1.), nous explicitons ainsi notre propre posture paradigmatique : le « positivisme aménagé » ou le « réalisme transcendental » (voir 2.).

1. Les principaux paradigmes en sciences de gestion

De façon à donner une cohérence globale au projet de recherche, le positionnement épistémologique du chercheur doit être exprimé (Royer et Zarlowski, 2003 ; Miles et Huberman, 2003), notamment au travers du choix d’un paradigme. Un paradigme peut être défini comme un ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné (Kuhn, 1983). Il s’agit donc d’une sorte de « vision du monde » partagée par une communauté. En sciences de gestion notamment, Giordano (2003) invite le chercheur à se positionner par rapport à trois paradigmes principaux : les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste. Pour cela, trois questions principales doivent être résolues (Giordano, 2003) : (1) Quelle est la nature de la réalité ? (i.e. objective, interprétée ou bien

168 construite) ; (2) Quelle est la relation du chercheur avec l’objet de recherche ? (i.e. indépendante ou interdépendante) ; (3) Quel est le projet de construction de connaissances du chercheur ? (i.e. expliquer, comprendre ou construire). Le tableau suivant présente les trois principaux paradigmes de recherche, leur positionnement ontologique et épistémologique, ainsi que leur projet de construction de connaissance.

Positivisme Interprétativisme Constructivisme

Statut de la connaissance

Il existe une essence propre à l’objet et à la connaissance.

L’essence de l’objet ne peut être atteinte (constructivisme modéré ou interprétativisme) ou n’existe pas

(constructivisme).

Nature de la réalité (Ontologie)

La réalité est une donnée objective indépendante.

La réalité est

perçue/interprétée par des sujets connaissant.

La réalité est une construction de sujets connaissant qui

expérimentent le monde. Il y a co-construction par des sujets en interaction. Relation

chercheur-objet de recherche (Epistémologie)

Indépendance : le

chercheur n’agit pas sur la réalité observée.

Empathie : le chercheur interprète ce que les acteurs disent ou font, qui eux-mêmes interprètent l’objet.

Interaction : le chercheur co-construit les

interprétations et/ou des projets avec les acteurs. Projet de connaissance et processus de construction de connaissances Décrire, expliquer, confirmer : fondé sur la découverte de régularités et de causalités.

Comprendre : fondé sur la compréhension empathique des représentations d’acteurs.

Construire : fondé sur la conception d’un phénomène/projet. Chemin de la connaissance Statut privilégié de l’explication. Statut privilégié de la compréhension. Statut privilégié de la construction. Tableau 3. Les principaux paradigmes de recherche, d’après Giordano (2003, p. 9)

D’autres classifications des paradigmes de recherche existent. Par exemple, Lincoln et Guba (2000) proposent quatre paradigmes principaux : le positivisme, le post-positivisme, la théorie critique, le constructivisme. Le paradigme post-positiviste, également parfois qualifié de « réaliste », est en partie pertinent dans le cadre de cette thèse, ce qui nous incite à l’expliciter. Ce paradigme peut être considéré comme une évolution raisonnable du modèle positiviste, provenant notamment des sciences dures. En effet, aujourd’hui, les recherches en gestion se revendiquent en général d’une posture « post-positiviste » et non « positiviste ». L’ontologie de ce paradigme se fonde sur la conscience de l’existence d’une réalité imparfaitement appréhendable. Les résultats proposés sont donc « globalement vrais » : on cherche à tendre vers une réalité objective, dont on n’est cependant jamais certain. L’épistémologie, dans ce paradigme, repose sur un « objectivisme modéré », car on a conscience qu’il est impossible d’être totalement extérieur et indépendant de l’objet de recherche étudié.

Afin de déterminer notre propre posture paradigmatique, nous répondons aux trois questions proposées par Giordano (2003). Le tableau suivant présente le résultat de ce questionnement.

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Question posée Réponse du chercheur Paradigme de référence

Quelle est la nature de la réalité ?

La réalité est considérée comme indépendante du chercheur...

... mais est perçue par lui.

Post-positivisme Interprétativisme Quelle est la relation du

chercheur avec son objet de recherche ?

Le chercheur n’agit pas sur la réalité observée... ... mais il interprète de ce que disent les acteurs, alors que ces-derniers interprètent aussi l’objet de recherche.

Post-positivisme Interprétativisme

Quel est le projet de connaissance ?

Décrire et expliquer...

... mais surtout, comprendre un phénomène.

Post-positivisme Interprétativisme Tableau 4. Positionnement du chercheur en vue de déterminer sa posture paradigmatique Ce tableau révèle un positionnement intermédiaire entre post-positivisme et interprétativisme, justifiant le choix d’une posture « positiviste aménagée », expliquée dans la partie suivante.

2. L’adoption d’une posture « positiviste aménagée » ou « réaliste transcendentale »

La classification des paradigmes existants ne doit pas être considérée comme rigide. Les contours de ces paradigmes sont flous. Perret et Séville (2003) rapportent ainsi qu’il est possible d’adopter une « position épistémologique aménagée » consistant à emprunter des éléments à des paradigmes a priori distincts. Notamment, Miles et Huberman (2003) estiment dommageable l’existence de positions tranchées et de cloisons entre les paradigmes. Ils reconnaissent et encouragent la possibilité d’emprunter des éléments à des paradigmes différents, se situant eux-mêmes entre positivisme et interprétativisme. Dans la première édition de leur ouvrage sur les méthodes qualitatives (daté de 1985), les auteurs présentent un continuum paradigmatique allant du positivisme à l’interprétativisme avec, entre les deux, une posture qu’ils qualifient de « positivisme aménagé » et dont ils se revendiquent. Dans les éditions suivantes, ce positionnement est requalifié en « réalisme » (édition de 1998), puis en « réalisme transcendental » (édition de 2003) du fait du caractère polysémique du terme « réalisme ». Se situant entre positivisme et interprétativisme, ils jugent « complexe mais non impossible l’application d’une approche réaliste à visée compréhensive » (Miles et Huberman, 2003, p. 16). Plus précisément, Miles et Huberman (2003, p. 16) définissent ainsi leur positionnement réaliste transcendental : « Nous croyons que les phénomènes sociaux existent non seulement dans les esprits mais aussi dans le monde réel – et que des relations légitimes et raisonnement stables peuvent y être découvertes. Le caractère légitime de ces relations vient des régularités et des séquences qui lient les phénomènes entre eux ». Explicitons à présent ce positionnement, en nous basant sur les propos des auteurs. D’abord, on retrouve dans ce positionnement la vision interprétativiste. Même si Miles et Huberman (2003) considèrent que les phénomènes sociaux existent « objectivement », ils reconnaissent que la connaissance est un produit à la fois historique et social. Par ailleurs, l’importance de l’interprétation et du ressenti subjectif, ainsi que du « rendre signifiant » est reconnue. Pour résumer, le postulat de l’existence « objective » des phénomènes sociaux ne remet aucunement en cause l’importance des perceptions et des représentations des individus qui sont jugées importantes pour comprendre ces phénomènes sociaux (Miles et Huberman, 2003, p. 17). Par

170 ailleurs, le positionnement réaliste transcendental reprend des éléments issus de la vision positiviste. Ainsi, les auteurs estiment qu’il est possible de mettre à jour des régularités et des relations causales qui, sans prendre la forme de lois à portée générale, permettent de lier les phénomènes et les concepts entre eux dans une structure explicative. Pour résumer, « le réalisme transcendental appelle à la fois une explication causale et des preuves pour montrer que chaque entité ou évènement est un exemple de cette explication. Ainsi, nous avons besoin non seulement d’une structure explicative mais aussi d’une compréhension idiosyncratique de la configuration en présence » (Miles et Huberman, 2003, p. 17). Dans cette posture, les méthodologies qualitatives ainsi qu’une démarche inductive sont privilégiées (Miles et Huberman, 2003). Dans le cadre de notre recherche, l’Open Marketing est une démarche que nous estimons réelle et observable. En étudiant une population d’organisations marketing, nous cherchons à mettre à jour les « régularités » qui permettent de déterminer qu’une organisation met en place ou non une démarche d’Open Marketing. De plus, nous nous efforçons de mettre à jour une structure explicative de l’Open Marketing, notamment en utilisant un modèle61 permettant d’appréhender le contexte permettant à cette démarche de se déployer. Ceci correspond donc à la dimension « positiviste » ou « post-positiviste » du réalisme transcendental. Néanmoins, nous avons pleinement conscience que le discours des répondants par lequel nous essayons de mettre à jour l’Open Marketing et d’améliorer la compréhension de cette démarche relève de leur ressenti propre et subjectif. Ainsi, dans la recherche, nous recueillerons des données factuelles, mais aussi des représentations, des perceptions et des opinions d’acteurs. A titre d’exemple, nous traduirons l’existence de l’Open Marketing au travers du ressenti des acteurs quant à l’ouverture de leur organisation à des prestataires extérieurs et quant à l’existence selon eux d’une logique d’apprentissage inter- organisationnel par laquelle des apports sont explicitement recherchés. De plus, notre compréhension de l’Open Marketing proviendra aussi d’une interprétation subjective du discours des acteurs. Cette interprétation peut en effet être considérée comme une interprétation parmi d’autres possibles.

Pour résumer, l’Open Marketing est considéré comme une démarche réelle que l’on cherche à observer, mais qui est approchée par l’interprétation des représentations et du ressenti des acteurs. Une posture « post- positiviste aménagée » ou « réaliste transcendentale » au sens de Miles et Huberman (2003) est donc adoptée dans la thèse. Par cette posture, nous estimons que les phénomènes sont observables dans la réalité, tout en étant intimement liés aux représentations des acteurs ainsi qu’à notre propre interprétation.

La Section 1 nous a permis d’exposer notre posture paradigmatique pour la thèse. Après avoir présenté les principaux paradigmes en sciences de gestion, il est apparu important de dépasser les frontières de ces paradigmes. En nous basant sur des travaux académiques, nous choisissons donc une posture positiviste aménagée qui emprunte des éléments à deux paradigmes distincts : le post-positivisme et l’interprétativisme. Une fois notre posture paradigmatique explicitée, il nous faut exposer la stratégie générale de la recherche, qui doit être cohérente avec le positionnement épistémologique et paradigmatique retenu.

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