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Position des enseignants face à la dimension culturelle/interculturelle

Chapitre I : La dimension culturelle entre théories et pratiques

1.1 La dimension culturelle, notre objet de recherche

1.1.2 Position des enseignants face à la dimension culturelle/interculturelle

1.1.2 Position des enseignants face à la dimension culturelle/interculturelle

La formation à l’enseignement culturel/interculturel ne fait pas toujours partie de la formation des professeurs de langue étrangère, appelés souvent à parfaire un code linguistique imposant une urgence prioritaire. M. Byram souligne ‘’qu’en dépit d’un large éventail de publications, il manque à l’étude de la culture un axe précis. Le peu de recherche empirique qui existe a été effectué sur une petite échelle et vient souvent de la pratique individuelle des enseignants sans considérations théoriques, et s’intéresse plus aux résultats qu’aux processus d’enseignement et d’apprentissage’’. (M. Byram et al, 1991)

Les rencontres pédagogiques, journées de formation, séminaires, colloques auxquels prennent part, habituellement, les enseignants de langue française excluent de leur thématique de formation la prise en charge pédagogique de la dimension

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culturelle/interculturelle. Les professeurs stagiaires ont rarement entendu parler de compétence langagière ou de communication et encore moins de compétence culturelle au cours de leurs études universitaires ou dans l’exercice de leur fonction. Les journées pédagogiques auxquelles nous avons personnellement assisté, en notre qualité d’enseignant de FLE pendant de longues années, au niveau du secondaire, ont toujours

privilégié le principe de fonctionnement de la langue exempt de sa culture. ‘’Le guide du professeur’’, un document élaboré à l’intention des enseignants du

secondaire, propose des pistes méthodologiques relatives au traitement pédagogique du contenu retenu, se focalise essentiellement sur le traitement morphosyntaxique de la langue et consolide le registre métalinguistique, en usage, dans l’espace scolaire. L’auteur du guide d’accompagnement méthodologique ne fait aucune allusion au traitement du contenu à forte charge culturelle, pourtant mis en relief dans les programmes : ’’sur un plan plus spécifique, l’enseignement du français doit permettre la familiarisation avec d’autres cultures francophones pour comprendre les dimensions que chaque culture porte en elle, l’ouverture sur le monde pour prendre du recul par rapport à son propre environnement, pour réduire les cloisonnements et installer des attitudes de tolérance et de paix’’. (Programme de 1èreas, mars 2005 : 25).

Ce vocabulaire à forte charge culturelle qui est souvent implicite dans l’objet d’étude semble exclu du discours méthodologique dans ce guide. L’auteur du document précise, en effet : ’’Ce guide vise à expliciter la démarche adoptée dans le manuel de français de 3èmeas et son contenu. Il présentera le manuel, son organisation et donnera des explications quant à la progression et à la démarche adoptées’’. (Guide du professeur de 3èmeas : 31). Il se limite à l’explicitation de la configuration générale du manuel sans plus. La dimension culturelle/interculturelle demeure tributaire de la bonne volonté des enseignants dans les pratiques de classe. Les concepteurs de manuels scolaires balisent souvent le champ d’étude et de feed-back des élèves, en tronquant l’objet d’étude de support de ses éléments para textuels et de son contenu culturel. C‘est pourquoi, certains textes sont anonymes, présentés sans titre, ni référence bibliographique, empêchant l’apprenant de les situer dans leur contexte

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socioculturel. Il est important de préciser que les passeurs du savoir ne sont pas tenus par leur hiérarchie à accorder un peu plus de crédit à l’aspect culturel/interculturel dans leurs prestations dans la mesure où même les inspecteurs de langue française de tous les paliers de l’enseignement privilégient la compétence linguistique qui semble bénéficier d’une priorité implicite.

Jean-Claude Beacco reconnaît que ‘’nombre d’enseignants de langue n’ont que très peu de contacts directs avec les pays étrangers dont ils enseignent la langue, pour des raisons économiques évidentes (…) Ils peuvent être conduits facilement à privilégier des représentations non filtrées et largement imaginaires, ou encore répugner à enseigner la culture civilisation d’une société dont ils savent ne pas avoir d’expérience directe…’’ (J.C Beacco, 2000 : 90). C’est pourquoi, l’exploitation des potentialités culturelles offertes par les manuels dans l’espace scolaire algérien, à tous les niveaux de l’apprentissage, demeure problématique.

Il faut encore reconnaître que la perspective culturelle dans la didactique des langues est encore marginale, et si elle intéresse, elle demeure néanmoins sans véritable légitimité. G. Zarate reconnaît que ‘’la dimension culturelle est souvent minorée dans les matériaux d’enseignement. Si on veut lui accorder une place équitable, ce choix relève de la responsabilité directe de l’enseignant.’’ (G. Zarate, 1993 : 72). Former des enseignants de langue à l’acquisition d’une compétence culturelle demande d’explorer de nouvelles voies ouvertes avec des outils viables. Comme le rappelle, encore, si bien G. Zarate ’’l’enseignant de langue occupe plus ou moins consciemment une position stratégique dans tout système éducatif puisqu’il construit cet espace interstitiel entre le semblable et le différent, l’intérieur et l’extérieur, le lointain et le proche’’ (G. Zarate, 1993 : 11). Le discours didactique d’appui à l’enseignement de la langue, au niveau des manuels scolaires algériens, est souvent orienté sur le perfectionnement linguistique. Il ne semble pas traduire clairement les recommandations du discours officiel qui exhorte explicitement à la prise en charge pédagogique de la dimension culturelle/interculturelle dans l’espace scolaire algérien.

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La conception scolaire demeure, malgré elle, tributaire de vieux réflexes qui semblent résister à cette nouvelle vision du monde. Autrement dit, ‘’Créer un manuel revient à choisir des valeurs, des normes, des représentations sur lesquelles se fondent les espérances d’assurer la cohésion sociale, l’harmonie des rapports entre les hommes et les institutions, la littérature constituée par les manuels scolaires demeure intentionnelle et engagée’’ (S. Mollo-Bouvier et Y. Pozo Medina, 1991 : 12). Ce qui signifie que les objets d’étude et les thèmes retenus à l’E/A sont des supports pédagogiques qui participent au choix des valeurs, des normes et des représentations à défendre dans un manuel scolaire. Par conséquent, la présence d’un texte, d’une image, d’une caricature dans un ouvrage scolaire n’est pas neutre. Elle est le reflet implicite des attentes pédagogiques et des finalités éducatives.

Une plongée préliminaire dans les manuels scolaires de FLE issus de la réforme, au niveau du secondaire, montre le peu de crédit accordé à la dimension culturelle et aux échanges interculturels. Le constat est fortement ressenti au niveau des critères pédagogiques qui président aux choix des supports aux objets d’étude, notamment dans le choix des textes de lecture, dans les domaines d’expérience, dans les sources d’informations, dans les thèmes retenus et chez les auteurs.

Dans les avant-propos des manuels, les auteurs se montrent plus explicites lorsqu’il s’agit d’objectifs linguistiques et peu allusifs quand il s’agit d’objectifs culturels :

‘’Il favorisera votre apprentissage de la langue par des activités d’expression orale et écrite dans le cadre de projets didactiques. Ces activités visent à décloisonner les divers aspects à prendre en charge pour cet apprentissage la grammaire, l’organisation des textes et les contraintes liées aux situations de communication’’ (Manuel de 1èreas, édition 2005/2006, p.2).

La même position des auteurs s’observe dans le manuel de 2èmeas :

‘’En somme, ce manuel sera une aide efficace à l’installation des compétences disciplinaires et des compétences transversales au programme dont l’articulation favorise le décloisonnement des matières et l’intégration des activités’’ (Manuel de 2èmeas, édition 2006/2007, p.4).

Le manuel de 3èmeas s’inscrit dans le même discours :’’Des exercices en rapport avec les points de langue jugés les plus importants sont proposés en fin de dossier’’ (Manuel de 3èmeas, édition 2007/2008, p.5). De même, le questionnaire d’appui à la compréhension des textes retenus

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dans tous les manuels de la réforme semble beaucoup plus évaluer un savoir plutôt linguistique. L’ensemble des questions rédigées pour la compréhension des textes de lecture est constitué d’interrogations partielles contraignant l’apprenant à puiser les réponses à partir des textes de support, sans lui donner la possibilité de s’en détacher.

En effet, la part impartie à l’interrogation totale est insignifiante. Ce qui incite à dire que ce déséquilibre flagrant au profit de l’interrogation partielle ne favorise pas visiblement l’ouverture de l’apprenant sur l’altérité à laquelle aspire la réforme. En outre, l’interrogation partielle de support semble consolider un métalangage usuel tout au long du manuel au détriment du processus de communication qui implique d’autres éléments pour assurer l’intercompréhension car ‘’la grammaticalité n’est pas la condition nécessaire et suffisante de la production du sens’’ (P. Bourdieu, 1982, 116). C’est donc un leurre de penser que seule la maîtrise du code linguistique permet la compréhension d’un texte ! ‘’Car apprendre une langue étrangère, c’est apprendre une culture nouvelle, des modes de vie, des attitudes, des façons de penser, une logique autre, nouvelle, différente, c’est entrer dans un monde mystérieux au début, comprendre les comportements individuels, augmenter son capital de connaissances et d’informations

nouvelles, son propre niveau de compréhension’’ (J. Courtillon, 1984 : 52). Le registre métalinguistique de support à l’E/A semble consolider davantage un savoir

linguistique plutôt qu’un savoir faire ou un savoir être. La démarche évaluative retenue comme outil d’appréciation des prestations orales et écrites a l’air de prendre en compte beaucoup plus les performances linguistiques de l’apprenant que son savoir être. Tout le questionnaire servant d’appui aux activités pédagogiques est construit d’un métalangage visant le principe de fonctionnement de la langue en dehors de l’authenticité communicative.

Le manuel semble imposer une norme linguistique scolaire à laquelle l’apprenant est censé se conformer sans pour autant lui offrir d’autres possibilités linguistiques pour penser et agir en langue étrangère. Il suffit de prendre l’exemple de la construction de l’interrogation servant de support à la compréhension des textes où il n’est présenté que

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les constructions admises : ‘’où se passe la scène ? Où se passe-t-elle ? Où la scène se passe-t-elle ?’’ Et où il est exclu les autres formes dont l’usage est attesté par l’enquête du français fondamental, pour s’en convaincre : ‘’Elle se passe où ? Où elle se passe ? Où c’est qu’elle se passe ? Où qu’elle se passe ?’’.

Comme répercussion, il se produit un fossé considérable entre la langue que l’élève apprend au sein de l’institution scolaire et celle qu’il entend dans ses rapports informels avec des francophones, notamment par le biais des chaînes télévisées étrangères, du moins pour l’apprenant algérien qui dispose de peu d’opportunités d’usage linguistique, en tirant la conclusion que ce qu’il apprend à l’école reste confiné dans l’espace scolaire. La langue orale courante est très éloignée dans son lexique et dans ses règles morphosyntaxiques de la langue standard. Ainsi, on continue d’enseigner seulement le français standard, ce qui rend l’élève inapte à communiquer dans le français d’aujourd’hui, dans une situation de communication réelle. Plus pertinent encore, faut-il le souligner, selon une perspective communicative ou selon une approche par compétences, les manuels d’enseignement du français ‘’qu’ils s’adressent à des Français ou à des étrangers, partent d’une hypothèse qui est toujours présente, sinon formulée : l’activité linguistique du sujet parlant reste la même, qu’il s’agisse d’utiliser la langue oralement ou par écrit. Les différences d’utilisation, tant sur le plan du lexique que sur celui de la grammaire ou de la phonétique, sont passées sous silence ou minimisées’’ (E. Wagner, préface à l’ouvrage de M. Csécsy, 1968 : 7).

Mais en plus, c’est le français écrit littéraire ou français cultivé, qui est à la base des descriptions grammaticales et promu comme modèle d’écriture, en négligeant les autres types de discours écrit. Le discours métalinguistique retenu dans ce manuel s’inscrit dans cette optique. Les auteurs utilisent un français standard tout au long du manuel tout en excluant implicitement la langue orale de leur discours didactique.

Et pourtant, ‘‘l’usage d’une langue varie avec le temps, les descriptions grammaticales, qui se veulent un reflet de l’usage, varient également. Les représentations ou conceptions des grammairiens au sujet de la langue évoluent sans cesse, se raffinent avec le temps. Les grammaires sont ainsi appelées à être continuellement modifiées, non seulement dans leurs premiers moments (…) mais tout au cours de

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l’histoire’’ (C. Germain et H. Séguin, 1995 : 11). Ce qui encourage à dire que l’on continue à ignorer ou à sous-estimer le français oral en faveur de l’écrit dans le discours didactique des manuels scolaires. Ce qui laisse supposer également que le manuel ‘’ ne fournit pas au maître une description satisfaisante de la langue qu’il enseigne, ni à l’élève une description suffisante de la langue qu’il doit apprendre’’ (Roulet, 1978 : 28). Tout porte à penser, par conséquent, que l’objectif normatif semble prendre le pas sur l’objectif sociolinguistique induisant un E/A où les enseignants tâchent de doter les élèves d’un bagage purement linguistique, tout en reléguant l’objectif culturel au second plan.