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Le manuel de 2 ème as, édition 2006/2007

Chapitre V : Présentation des manuels scolaires de FLE, traducteurs des finalités au sein du système éducatif

5.4 Le manuel de 2 ème as, édition 2006/2007

Le manuel dont il est question s’inscrit dans une optique de réforme comme le veut le discours officiel à travers le nouveau programme destiné aux élèves de 2èmeas, toutes filières confondues. En effet, ce nouveau manuel vient concrétiser la réforme du FLE sur le terrain en se démarquant autant que faire se peut de celui qui l’a précédé tant par la forme que par le fond.

Il est pertinent de remarquer que c’est une nouvelle équipe d’auteurs, composée seulement de trois membres dont deux inspecteurs de l’éducation et de la formation et un professeur d’enseignement secondaire qui ont eu l’insigne honneur d’élaborer ce manuel de la réforme. Ce qui signifie implicitement que l’institution éducative algérienne opte pour une nouvelle vision des choses dans la conception scolaire en faisant appel à une nouvelle équipe constituant une véritable rupture avec le regard monolithique antérieur.

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A l’inverse de leurs prédécesseurs, les membres de cette nouvelle équipe jugent nécessaire de présenter le contenu de l’ouvrage dans un avant-propos informant ses utilisateurs du principe de fonctionnement de ses activités pédagogiques.

Il comporte selon ses auteurs :

1. Des activités de compréhension qui ont pour objectif de préparer les apprenants à donner du sens aux messages qu’ils perçoivent

2. Des activités de langue sous forme d’exercices d’acquisition et de consolidation. 3. Des activités d’expression qui favorisent le réemploi des savoirs et des savoir faire acquis à travers des situations réelles ou fictives.

4. Des activités de recherche.

5. Des activités complémentaires pour le renforcement des acquis et l’initiation à la lecture des textes longs.

6. Des activités créatrices. (Manuel de 2èmeas, édition 2006 : 4).

Comme nous pouvons le noter à partir de ‘’ce menu pédagogique’’ où l’apprenant apprend à donner du sens aux messages qu’il perçoit, acquiert et consolide la langue cible, réemploie le savoir acquis dans l’espace extrascolaire, fait des recherches, s’initie à la lecture des textes longs et pour couronner le tout s’implique dans des activités créatives, les auteurs de ce manuel semblent s’inscrire dans un projet didactique trop ambitieux, tendant vers la perfection de l’E/A du FLE.

Ce discours didactique semble se conformer à cette nouvelle perspective actionnelle qui correspond à la prise en compte d’un nouvel objectif social lié aux progrès de l’intégration européenne, celui de préparer les apprenants non seulement à vivre mais aussi à travailler, dans leur propre pays ou dans un pays étranger avec des natifs de différentes langues étrangères. Il ne s’agit plus seulement de communiquer avec l’autre, mais d’agir avec lui en langue étrangère.

Ce n’est vraiment pas le cas de l’apprenant algérien qui évolue dans un univers linguistique très particulier, où l’espace imparti à l’expression francophone reste

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officiellement le cours de langue dont le volume horaire est insuffisant pour concrétiser à la fois tous les objectifs ciblés dans ce manuel. Il faut reconnaître, en toute honnêteté, que les objectifs envisagés s’écartent fondamentalement de la réalité du terrain où les conditions de travail ne sont jamais réunies, surtout en milieu rural où l’usage de la langue française est un fait très rare pour parler de transfert extrascolaire ! Les auteurs de ce manuel précisent également que ‘’cet ensemble d’activités se déroule dans des séquences d’apprentissage intégrées dans des projets didactiques dont la thématique vise les savoirs civilisationnels. Elle se justifie par le fait que l’apprenant est invité à une réflexion sur les problèmes de la citoyenneté et des mutations que nous réserve le monde de demain’’ (Manuel 2ème as, 2006/2007 : 4).

Par cette précision, ils montrent que la conception de l’ouvrage s’inscrit dans de nouvelles donnes liées à un contexte international imposant une nouvelle vision du monde et invitant l’apprenant à le regarder dans ses mutations.

Ce qui incite par conséquent à dire que l’acte d’enseigner et celui d’apprendre ne s’appuie plus désormais exclusivement sur la seule compétence linguistique. ‘’Inviter l’apprenant à une réflexion sur la citoyenneté et des mutations du monde demain’’ consiste explicitement à l’inscrire dans un projet de société où il usera de sa compétence socioculturelle pour apprendre à s’ouvrir sur ce monde continuellement instable.

Ce qui implique manifestement que les potentialités culturelles servant de support à l’apprentissage linguistique sont prises en charge dans le souci pédagogique des auteurs de ce manuel. Cependant, force est de constater que les concepteurs de l’ouvrage semblent se focaliser sur la maîtrise de la langue en tout lieu et en toute circonstance sans pour autant donner l’allusion que des faits culturels sont liés à ce compartiment linguistique.

Toutes les activités ciblées dans l’avant-propos du manuel semblent conforter notre constat. Elles visent essentiellement des fonctions langagières qui s’inscrivent beaucoup plus dans le discours du ‘’français scolaire’’ amputé de sa substance

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culturelle que dans une approche interculturelle. Les auteurs préfèrent parler de‘’ projets didactiques dont la thématique vise les savoirs civilisationnels’’ que de dire les choses explicitement et parler d’un E/A basé essentiellement sur des représentations interculturelles. Parler également ‘’d’installation de compétences disciplinaires et de compétences transversales’’ (Manuel, p.4) consiste à éviter implicitement de considérer la langue comme véhicule culturel et s’inscrire dans une démarche plutôt fonctionnelle.

En effet, le discours didactique semble obéir à une circonspection tacite où la dimension interculturelle est sous-jacente. En comparaison avec le manuel de 1èreas, édition 2005/2006, conçu une année plus tôt par une équipe de trois membres dont un inspecteur de l’éducation et de la formation et deux professeurs de l’enseignement secondaire, ce manuel de 2èmeas, élaboré une plus tard, dans une atmosphère de réforme, qui devrait s’inscrire dans une optique de continuité, présente des modifications dignes d’intérêt dans la configuration de l’ouvrage : Le nombre de projets est revu à la hausse en dépit d’un volume horaire réduit et reconduit tel quel sans la moindre modification, à raison de trois heures par semaine.

En outre, le manuel présente quatre projets didactiques contre trois en 1èreas, répartis arbitrairement sur l’année car l’alternance des projets observée en 1èreas n’est pas reprise en 2èmeas. Ce qui pourrait signifier que les deux équipes ont travaillé séparément, sans consultation préalable : la présentation, la progression et la répartition des objets d’étude connaissent des modifications sans pour autant traduire un quelconque souci pédagogique de la part des concepteurs.

Une plongée préliminaire dans le sommaire du manuel de 2èmeas en usage confirme un tant soit peu cette discontinuité avec le manuel de 1èreas du moins dans la configuration de l’ouvrage. Le sommaire présente l’intitulé du projet, les intentions communicatives, les objets d’étude et les séquences de l’E/A. Alors que le manuel

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de 1èreas présente dans son sommaire, en plus des rubriques citées, une autre activité réservée aux techniques d’expression orale et écrite telles la prise de notes, la lettre administrative, la fiche de lecture, etc.

Ce manuel qui vient lui succéder, une année plus tard, ne comporte pas cette partie des techniques d’expression pour des raisons que les auteurs ne justifient pas. Le sommaire de ce manuel, en usage en deuxième année secondaire, est présenté à des fins de fidélité aux objectifs attendus de l’E/A annoncés dans l’avant-propos où il est dit que ‘’la thématique vise les savoirs civilisationnels’’ (Manuel, p.4).

Projet 1 : Concevoir et réaliser un dossier documentaire pour présenter les grandes réalisations scientifiques et techniques de notre époque.

Intentions communicatives Objets d’étude Séquences

Exposer pour présenter un fait Le discours objectivé 1. Présenter un fait, une notion, un phénomène

2. Démontrer, prouver un fait 3. Commenter des

représentations graphiques et/ ou iconiques

Projet 2 : Mettre en scène un procès pour défendre des valeurs humanistes Intentions communicatives Objets d’étude Séquences Argumenter pour plaider une

cause ou la discréditer

Le plaidoyer et le

réquisitoire 1. Plaider une cause 2. Dénoncer une opinion, un fait, un point de vue.

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Projet 3 : Présentez le lycée, le village, la ville ou le monde de vos rêves pour faire partager vos idées vos aspirations

Intentions communicatives Objets d’étude Séquences 1. Relater pour informer et agir sur le

destinataire

2. Relater pour se représenter un monde futur Le reportage touristique et le récit de voyage La nouvelle d’anticipation 1. Rédiger un récit de voyage 2. Produire un texte touristique à partir d’un reportage

3. Rédiger un texte d’anticipation 4. Imaginer et présenter le monde de demain

Projet 4 : Mettre en scène un spectacle pour émouvoir ou donner à réfléchir (Classes de lettres)

Intentions communicatives Objets d’étude Séquences

Dialoguer pour raconter Le discours théâtral 1. Scénariser un texte

2. Elaborer une saynète à partir d’une bande dessinée

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Comme nous pouvons encore le remarquer, le sommaire du manuel expose quatre projets dont la progression et l’alternance semblent arbitraires. En effet, le même projet proposé en 1èreas, une année plus tôt, comportant le discours ex positif et le discours conversationnel et présidant l’apprentissage, est présenté dans deux projets distincts en 2èmeas et où ‘’Dialoguer pour raconter’’ clôture l’E/A.

‘’Qu’entendons-nous par ‘’la thématique vise les savoirs civilisationnels ?’’

A première vue, les auteurs du manuel semblent inscrire leur conception dans une perspective civilisationnelle, exhortant implicitement l’apprenant à l’ouverture sur l’altérité et l’invitant à se démarquer du repli sur soi. Viser une optique civilisationnelle, c’est manifestement préparer l’apprenant à une vision interculturelle et à éduquer son regard sur l’Autre en lui reconnaissant le droit à la différence.

Cependant, nous constatons que le sommaire ne semble pas traduire explicitement ce nouveau regard dans l’espace scolaire dans la mesure où l’on continue à faire l’entrée de l’apprentissage par le discours ex positif dans lequel la langue utilisée perd son statut de véhicule culturel et se substitue à une langue de spécialité, donnant accès à un savoir scientifique et technique, plutôt qu’à des représentations interculturelles permettant à l’apprenant algérien de se situer par rapport au monde qui l’entoure.

Cette entame de l’apprentissage par la démarche ex positive est reconduite pratiquement dans tous les manuels de l’enseignement secondaire de la réforme. Encore une fois, on constate que la part impartie au texte littéraire est infime car laissée en fin d’année, au risque que l’année s’achève sans que l’apprenant puisse s’y frotter profondément. Ce qui incite à noter que sa place demeure dérisoire dans la conception scolaire, en dépit d’une réforme qui ne semble pas suivie d’effets observables dans les pratiques de classe.

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Pourtant, tous les didacticiens reconnaissent unanimement que le texte littéraire, proposé comme support à l’E/A, constitue une excellente opportunité et un meilleur atout pour l’accès à la maîtrise d’une langue étrangère et à sa culture.

Si ‘’les savoirs civilisationnels’’ signifient ouverture de l’apprenant sur le monde qui l’entoure et sur l’altérité et abandon du repli sur soi, nous devons reconnaître, à notre corps défendant, que les intitulés des projets ‘’concevoir et réaliser un dossier documentaire pour présenter les grandes réalisations scientifiques’’ à titre d’exemple, laisse transparaître une visée plutôt fonctionnelle où la langue de spécialité prend le pas sur celle de la communication interculturelle.

Par conséquent, nous pouvons dire que les deux manuels appartenant à deux générations différentes, conçus par deux équipes différentes dans deux contextes différents, demeurent confinés dans une même vision méthodologique évacuant la substance culturelle et éludant le regard interculturel.