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dynamique de l’activité de recherche : l’exemple du CNRS

DE LA POLITIQUE SCIENTIFIQUE À LA POLITIQUE DE L ’ INNOVATION

Selon Dominique Vinck, la politique de recherche est aujourd’hui guidée par la « politique de l’innovation », qu’il définit comme le « rapprochement des activités de recherche

fondamentales et appliquées » (Vinck, 2002). Selon Morgan Jouvenet, alors que la politique de

recherche était jusqu’alors caractérisée par une action directe de l’État sur la recherche, la politique de l’innovation « [vise] plutôt à optimiser les conditions de la concurrence et de la

complémentarité entre divers types d’organisations » (Jouvenet, 2012).

Christophe Bonneuil et Pierre-Benoît Joly rappellent que depuis la Seconde Guerre mondiale, la politique technologique française était structurée autour de grands programmes portés par les organismes de recherche. Le discours sur la science est « construit

sur le triptyque : la science comme bien public, le schéma linéaire de l’innovation et le lien entre changement technique et croissance économique ». À partir des années 1970, un nouveau discours apparaît qui insiste sur le rôle de l’innovation technologique : « ce paradigme traditionnel de la science comme

bien public, […] est remplacé par le paradigme de la science comme source de compétitivité économique »

(Bonneuil et Joly, 2013, p.30).

Ce changement d’orientation s’accompagne de l’incitation à protéger les connaissances scientifiques par des brevets. L’adoption du Bayh-Dole University and Small Business Patent Act par les États-Unis en 1980 incite les chercheurs universitaires à déposer des brevets, et marque, selon Bernadette Bensaude-Vincent, la fin de « la frontière jadis bien nette entre la

recherche académique et le monde des affaires » (Bensaude-Vincent, 2009, p.34). De bien public, la

science devient un « bien appropriable » (Bensaude-Vincent, 2009, p.34). Le financement de la recherche doit servir le renforcement technologique et la compétitivité des industries. Ce tournant néolibéral marque l’entrée dans « l’ère de la commercialisation de la science » (Bonneuil et Joly, 2013, p.30).

Les décideurs politiques sont intéressés en premier lieu par le développement économique et par la rationalisation et visent donc « à réduire la place et l’autonomie des

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professions universitaires, en développant la recherche sous contrat ou en changeant ses modes d’évaluation »

(Pestre, 2010, p.120). Ces transformations institutionnelles qui touchent l'organisation de la sphère scientifique s'accompagnent, selon Pestre, de transformations « dans les disciplines, les

pratiques et outils du travail scientifique ».

Or, selon M. Dodet, P. Lazar et P. Papon, le processus de R&D est différent de l’innovation. Le Manuel de Frascati définit la R&D comme un ensemble d’activités servant à « accroître la somme des connaissances (…) ainsi que l’utilisation de cette somme pour de nouvelles

applications »74. Les auteurs donnent une définition plus précise. La recherche fondamentale, la

recherche finalisée et le développement, constituent les trois phases du processus de R&D qui regroupe « l'ensemble des activités scientifiques et technologiques qui produisent des connaissances et qui

s'appuient sur les savoirs acquis pour mettre au point des techniques nouvelles, engager des processus innovants, développer des applications » (Dodet, Lazar, Papon, 1998, p.6). Si les auteurs font la

différence entre recherche « fondamentale » et « finalisée », il n’existe pas de frontière étanche entre ces deux types d’activités, la recherche fondamentale peut parfois avoir des perspectives d'applications, tout comme la recherche appliquée peut par moments s’intéresser à des aspects plus « fondamentaux » (Dodet, Lazar, Papon, 1998, p.7).

Le développement constitue une phase plus appliquée, « il consiste à mobiliser

systématiquement toutes les connaissances issues de la recherche en vue de fabriquer de nouveaux produits ou de nouveaux dispositifs techniques, […], ou encore de mettre au point ou de perfectionner des procédés industriels » (Dodet, Lazar, Papon, 1998, p.7).

L’innovation, enfin, est, selon M. Dodet, P. Lazar et P. Papon, une étape qui se distingue de la R&D de par son inscription dans « la branche commerciale des entreprises ». Il s’agit de la phase « de diffusion d'un produit ou d'un procédé nouveau, répondant à un besoin ou, le cas échéant,

contribuant à le créer » (Dodet, Lazar, Papon, 1998, p.8).

Depuis la Seconde Guerre mondiale, une majorité d’économistes défend l’impact de la recherche sur la compétitivité des industries, bien qu’ils ne s’accordent pas parfaitement

« sur les processus qui conduisent des investissements en R&D à une véritable efficacité économique »

(Dodet, Lazar, Papon, 1998, p.20). Cependant, les décideurs politiques expriment aujourd'hui des doutes sur la pertinence des investissements publics dans le domaine de la recherche du fait, selon les auteurs, d’« une vision trop mécaniste des relations entre recherche et

innovation » (Dodet, Lazar, Papon, 1998, p.20). En effet, les politiques de la recherche et de

67 la technologie depuis la Seconde Guerre mondiale ont été inspirées par un modèle linéaire implicite (mis en avant par Uhlmann en 1978) :

« Les connaissances résultant des découvertes scientifiques seraient la source privilégiée des innovations technologiques, dans une continuité monodirectionnelle entre science, technologie et innovation. Un investissement en recherche produirait, par une sorte de réaction en chaîne, des découvertes et des inventions débouchant elles-mêmes sur des innovations et des brevets, puis, finalement, sur un accroissement de la compétitivité des entreprises et le développement des marchés, donc de la richesse des nations » (Dodet, Lazar, Papon, 1998, p.21).

Ce modèle, qui a fonctionné dans l’immédiat après-guerre (certaines réussites en chimie ou en électronique ont contribué à conforter cette conception), est aujourd'hui remis en question. Il est désormais admis que l'innovation est un processus beaucoup plus « interactif », qui dépend de l’ensemble des relations entre les entreprises et leur environnement économique et scientifique (Ibid., p.21).

Ce modèle interactif mise sur la complémentarité entre les connaissances « codifiées », qui sont majoritairement celles des laboratoires publics de recherche à travers les publications scientifiques par exemple, et les connaissances « tacites », qui correspondent davantage au savoir-faire des laboratoires privés. Or, l'enjeu pour les entreprises est « l’accès

à l'ensemble des connaissances codifiées pour les transformer en savoir-faire techniques » (Ibid., p.21-22).

Les exigences aujourd’hui de la politique de recherche, qui tendent à encourager la constitution de réseaux de recherche pour favoriser la production et le transfert des connaissances, est un modèle qui tend à gommer la distinction formelle entre recherche fondamentale et recherche appliquée (Ibid., p.23).

Le mode de fonctionnement de la recherche que l’on peut qualifier de « traditionnel » (Ibid., p.35) évolue donc selon des perspectives d’applications sous l’effet, dans un premier temps, de la nécessité de rechercher des financements auprès de partenaires extérieurs aux institutions scientifiques, mais également sous l’effet des « nouvelles exigences de la société ». En effet, le besoin en ressources favorise l'interdisciplinarité et l'ouverture aux partenaires extérieurs (industries).

« Il en résulte que les découpages disciplinaires perdent une part de leur pertinence de même que les distinctions entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Les constants besoins en ressources augmentent la perméabilité des connaissances » (Vinck, 2000, p.25).

Dans le même temps, dans les années 1970 se fait de plus en plus pressant « l’intérêt pour

68 science relève désormais de « choix politiques et éthiques » (Pestre, 2003, p.120). Ces évolutions amènent la recherche à fonctionner « selon des modalités renouvelées, dont les lignes de

force sont la finalisation, la pluridisciplinarité et l’ouverture à des partenaires extérieurs » (Dodet, Lazar,

Papon, 1998, p.35). La notion de finalisation implique, au niveau de la définition de la politique de recherche, que « les champs de recherche retenus résultent d’une négociation entre les intérêts

des différents acteurs concernés. L’attention se focalise sur des problèmes à résoudre. Le travail est encadré par des critères de temps, d’efficacité économique et d’acceptabilité sociale » (Dodet, Lazar, Papon, 1998,

p.35).

Dans cette perspective, l’interdisciplinarité est revendiquée pour répondre aux besoins d’une demande complexe et elle nécessite la mobilisation de différentes compétences intervenant de façon simultanée ou séquentielle (Ibid., p.35). Ce type d’« architecture » requiert des collaborations multiples entre groupes d’appartenances diverses, ce qui constitue un double défi pour les institutions de la recherche existantes. : d’abord elles sont

contraintes de s’ouvrir à des partenaires extérieurs au « champ habituel de la recherche », ensuite, elles sont poussées à une « mobilité intellectuelle des équipes et une flexibilité des organisations » puisque ces « regroupements fonctionnels »

ont logiquement une durée de vie limitée (Ibid., p.36).

« Ces évolutions semblent aller à l’encontre des caractéristiques du fonctionnement « traditionnel » des institutions scientifiques, qui étaient marquées par une inscription territoriale (celle de la Nation), par une temporalité propre (celle de la recherche fondamentale), par des objectifs pilotés par la société (ceux de l’intérêt général) et par une organisation disposant de sa propre rationalité (celle de l’argumentation) » (Pailliart, 2005, p.146).

C’est ce nouveau modèle qui est décrit par le modèle de la « Triple Hélice » de Loet Leydesdorff et Henry Etzkowitz (Leydesdorff et Etzkowitz, 1997). Selon ce modèle, c’est au cœur des relations entre les institutions académiques, les entreprises et l’État que se construisent la science et l’innovation technique. Il s’agit d’une évolution par rapport à une période précédente – et récente – durant laquelle les échanges bilatéraux entre les universités et l’industrie, entre industrie et sphère gouvernementale ou encore entre université et sphère gouvernementale constituaient les conditions d’apparition de l’innovation technologique.

Selon le modèle de la Triple hélice, les innovations naissent aujourd’hui à l’interface de trois dynamiques sous-jacentes : 1) la création de richesse 2) la production de connaissances et 3) l’expression et la coordination politique d’intérêts différents.

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« Une telle configuration est rendue possible grâce à l’émergence de centres de recherche et d’organisations qui mettent en relation universités et entreprises industrielles et auxquels participent les autorités locales » (Shinn et Ragouet, 2005, p.183).

L’objectif est de créer un environnement propice à l’innovation dans lequel on retrouve des start-ups issues de l’université – ou des organismes de recherche -, des entreprises et des laboratoires de recherche public. « L’État n’impose pas ces arrangements, mais les favorise souvent », par exemple par une aide financière directe ou indirecte (Etzkowitz et Leydesdorff, 2000). Le modèle de la triple hélice renvoie ainsi à un grand nombre d’institutions qui ont vu le jour dans les dernières décennies : parcs d’innovation technologique, incubateurs technologiques, pôles de compétitivité (Renaud, 2015), etc.

Cependant, « l’apparition de cette strate institutionnelle ne se fait pas aux dépens des formes

institutionnelles antérieures » (Shinn et Ragouet, 2005, p.186). En effet, dans ce modèle de la

Triple hélice, science et technologie continuent à être produites au sein des institutions classiques, l’université et les organismes de recherche gardent un rôle central.

« Nous partons de l’hypothèse que l’université joue un rôle potentiellement prédominant puisque la fonction de production de connaissances est de plus en plus intégrée dans l’infrastructure de la connaissance » (Etzkowitz et Leydesdorff, 2000).

D’ailleurs, les auteurs notent aussi que « les disciplines nouvellement créées sont souvent la raison

d’être de cette hausse des attentes ». Selon les auteurs, ces nouvelles disciplines ne peuvent pas se

résumer à de simples sous-divisions des anciennes comme au XIXе siècle (Ben David et Collins, 1966). « Tout récemment, de nouvelles disciplines sont nées d’une synthèse d’intérêts pratiques et

théoriques […] La science des matériaux et d’autres domaines comme la nano-technologie, qui sont sur la liste des technologies essentielles de toutes les nations, ont vu le jour de [cette] manière » (Etzkowitz et

Leydesdorff, 2000).

LA CRÉATION DE L’ANR EN 2005ET LE RENFORCEMENT DE L’ORIENTATION DE

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