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L ES S CIENCES DU VIVANT HISTORIQUEMENT OPPOSÉES AUX S CIENCES DE L ’ INGÉNIEUR

4.2.2 qui n’induisent pas nécessairement de l’interdisciplinarité

L ES S CIENCES DU VIVANT HISTORIQUEMENT OPPOSÉES AUX S CIENCES DE L ’ INGÉNIEUR

Cette question du couplage des Sciences de la vie et de la technologie, ou des Sciences de l’ingénieur, n’est pas nouvelle, et rappelle le débat déjà engagé au moment de l’essor des biotechnologies. Rappelons d’abord l’opposition dont a fait l’objet la création du département des Sciences pour l’ingénieur (SPI) au CNRS de la part des autres départements (Gagnepain, 2007). Seuls les physiciens ont finalement accepté d’y participer, la chimie et la biologie se montrant résolument contre. Jean-Jacques Gagnepain parle d’une forme d’ « élitisme », ou d’ « intégrisme » des biologistes qui « ne voulaient pas s’impliquer dans cette

aventure et ni même être « pervertis » » (Gagnepain, 2007).

Plus tard, le département SPI a été quasiment absent au lancement du programme biotechnologies. Un certain nombre de laboratoires des Sciences de la vie (SDV) passent aux SPI.

« Dans la mentalité SDV de l’époque, les laboratoires transférés en SPI étaient des laboratoires trop “industriels” sans légitimité en SDV » (Gagnepain, 2007).

Il existe à ce moment-là une volonté de la direction générale du CNRS de lancer une action autour des biotechnologies en créant un projet pluridisciplinaire. La direction de la valorisation de la recherche souhaite alors superviser le programme du fait du potentiel industriel, en servant d’interface entre les laboratoires et les industries. Divers départements, dont celui des Sciences de la vie, sont s’impliqués et n’acceptent pas la participation de la direction de la valorisation, préférant rester en charge de leurs relations avec l’industrie. Or,

196 il apparaît que les collaborations des SDV avec l’industrie sont faibles. La création d’un institut pluridisciplinaire est envisagée par la direction du CNRS, auquel s’oppose le département des Sciences de la vie (Gagnepain, 2007). Ainsi le rapprochement entre les biologistes ayant rejoint le département SPI et les SDV pour créer une force dans les biotechnologies ne se fait pas. « Pire, ces chercheurs sont jugés comme des « parias » et le parcours de

recrutement s’avère jonché d’obstacles » (Gagnepain, 2007). La direction générale a toutefois

souhaité poursuivre le programme biotechnologies mais celui-ci s’est fait principalement autour du rapprochement entre la biologie et la chimie. L’implication des Sciences de l’ingénieur n’est apparue que de manière occasionnelle, à travers des programmes interdisciplinaires, mais en aucun cas dans un souci de coopération entre les deux départements. Les programmes interdisciplinaires « ont joué un rôle de transfert de technologies, en

mettant l’accent sur l’interdisciplinarité » (Gagnepain, 2007). Selon J.J. Gagnepain, il n’y a pas eu

de volonté du département SPI de se positionner sur les biotechnologies. « D’une part, car les

Sciences pour l’ingénieur avaient d’autres préoccupations, d’autres part, car les SDV voyaient leur arrivée d’un mauvais œil ». Les SDV préféraient alors acheter les plaques de silicium à une société américaine, seul fournisseur mondial, « ils n’éprouvaient pas le besoin de faire développer des produits

de future génération avec les laboratoires SPI qui en avaient les compétences ». Aussi, les SPI n’ont pas été très présentes dans les biotechnologies, travaillant au développement industriel dans d’autres sujets. Les Sciences de la vie étaient, elles, au cœur des biotechnologies mais très limitées dans le partenariat industriel. J.J. Gagnepain pose la question du lien entre l’absence de rôle véritable du CNRS dans les biotechnologies et l’absence de développement industriel des biotechnologies en France (Gagnepain, 2007).

Ce retour au développement du thème des biotechnologies à l’intérieur du CNRS est intéressant parce qu’il permet de saisir l’évolution du côté des Sciences de l’ingénieur. Le thème de la santé étant aujourd’hui central dans les politiques de recherche, aussi bien européenne que nationale, les Sciences de l’ingénieur, si elles ont été absentes du développement des biotechnologies, entendent aujourd’hui saisir le potentiel que représente pour leur propre renouvellement et diversification le rapprochement avec les Sciences de la vie. Un terrain qu’elles investissent à travers le développement des « nanobio ». En revanche, la réticence des Sciences de la vie ne semble, elle, pas encore dépassée.

Aussi, plus que la disparition des technologies, développées par les Sciences de l’ingénieur à l’Itav, suite à la fin des projets de « bionano », le changement d’orientation

est marqué davantage par l’opposition entre les Sciences de la vie et les Sciences de l’ingénieur sur la question de la direction de l’Itav. Il s’agit de rejeter une activité

197 scientifique guidée par les applications, et donc une structure prioritairement dédiée au transfert de technologie.

L’Itav aujourd’hui est une unité de recherche qui fait une large part à l’interdisciplinarité. L’équipe de biologie résidente a développé des collaborations avec la chimie, les mathématiques, mais aussi avec l’informatique, et qui a permis de valoriser certains résultats, tout comme d’améliorer des technologies d’imagerie. Les technologies d’imagerie sont utilisées ici dans un but d’améliorer la connaissance en biologie, la priorité va à la production de connaissances, non guidée en priorité par des intérêts stratégiques. La volonté de développer des applications qui puissent servir au diagnostic, par exemple, est beaucoup plus présente chez les chercheurs du « labo SI ». Il n’est pas étonnant que la médiatisation des injonctions politiques passe par les Sciences de l’ingénieur puisqu’il s’agit d’un secteur disciplinaire traditionnellement plus proche du secteur industriel que la biologie ou la physique fondamentale.

Ainsi, la question posée ici est de savoir si l’activité de l’Itav aujourd’hui présente des différences avec l’activité de n’importe quel autre laboratoire du CNRS. Il est en effet difficile d’affirmer que ces collaborations interdisciplinaires et les valorisations auxquelles elles ont donné lieu ne se seraient pas déroulées de la même façon si chaque équipe était restée dans son laboratoire d’origine. Il n’existe aucun élément qui permette de démontrer le rôle déterminant de l’Itav, en tant que structure dédiée, dans ces réalisations.

6.3 Désaccord des partenaires non académiques avec

l’orientation du CNRS à l’Itav

L’Itav est partie intégrante de la structuration du site de Langlade après l’explosion de l’usine AZF, et les différents partenaires financiers impliqués sur l’Oncopôle ont tous tenté d’imprimer leur vision. Le fondateur voulant en faire un objet de décloisonnement et souhaitant une gouvernance élargie, plusieurs parties prenantes ont exprimé, durant la phase de construction du projet, leur vision de ce que devait être l’Itav, et toutes ont pensé pouvoir jouer un rôle dans la gouvernance. La CAGT parce qu’elle était propriétaire du bâtiment. La Région et la Fondation InNaBioSanté parce que les deux finançaient des projets. Si la gestion par le CNRS n’a pas reçu d’opposition, en revanche, les parties prenantes non-académiques revendiquaient un droit de regard sur la sélection des projets sélectionnés à l’Itav. C’est à travers les compte-rendu de réunions de l’association Oncopôle que l’on a pu avoir accès à ces discussions, puisqu’elle est le lieu d’échange entre toutes les parties prenantes du campus.

198 Entre 2003 (date de soumission du projet Itav au CIADT) et 2009 (date de l’inauguration du Centre Pierre Potier), avant que ne soit entériné le projet d’UMS du CNRS, plusieurs pistes ont été étudiées afin de trouver un mode de gouvernance approprié à l’Itav: association, fondation, GIS (Groupement d’intérêt scientifique), GIP (Groupement d’intérêt public)298.

En effet, une des questions posées au moment de passer du projet Itav à sa concrétisation est celle de la construction et de la gestion du bâtiment. Alors que le modèle économique de l’Itav n’est pas clairement défini par le porteur de projet, la CAGT accepte de prendre la maîtrise d’ouvrage du bâtiment, sous l’impulsion de Philippe Douste-Blazy qui pousse à la concrétisation de l’Oncopôle. Les institutions académiques ne sont pas enthousiastes à l’idée de s’impliquer dans la gestion de ce nouvel institut de recherche. L’Inserm parce qu’il est déjà chargé de construire un nouveau centre de recherche sur l’Oncopôle afin d’y regrouper ses équipes sur le cancer. Quant au CNRS, si la déléguée régionale avait soutenu l’Itav par la constitution du dossier FEDER pour l’acquisition des équipements, au niveau national ce projet Itav n’était pas soutenu et le porteur de projet ne se cachait pas de vouloir une structure « hors CNRS » ou tout autre organisme de recherche. Ainsi, le porteur de projet plaide en 2008 pour que le pilotage soit assuré par un partenariat entre la CAGT et la Fondation InNaBioSanté.

« Il est essentiel que ce projet soit porté fortement politiquement au niveau local : l’interdisciplinarité, le décloisonnement des « chapelles », l’innovation des organisations demandent en permanence des aiguillons politiques »299.

Le financement de l’Itav n’étant pas encore défini, la CAGT pose une condition à la maîtrise d’ouvrage du bâtiment, celle de l’implantation d’une pépinière d’entreprises spécialisées dans les biotechnologies au côté de la partie recherche, c’est-à-dire des plateformes technologiques de l’Itav. Quant à la question de la gestion des plateformes technologiques de l’Itav, elle non plus n’est pas tranchée en amont. Elle se pose pendant la construction du bâtiment et elle devient pressante lors de son inauguration. Nous avons eu accès à des compte-rendu de réunions relatives à la question de la gouvernance de l’Itav qui nous ont été fournis par l’une des parties prenantes. Dans ces discussions interviennent le porteur de projet, l’État à travers le Secrétaire Général aux Affaires Régionales (SGAR), la délégation régionale du CNRS, la CAGT, le Conseil Régional, la Fondation InNaBioSanté,

298Nous avons pu récupérer des comptes-rendus de réunion qui retracent les débats entre les différentes

parties prenantes autour de la question du statut juridique à donner à l’Itav.

199 le PRES Université de Toulouse, l’association de préfiguration de l’Oncopôle, l’Université Paul Sabatier300, le directeur R&D de Pierre Fabre301.

La création d’un GIS a largement retenue l’attention du fondateur de l’Itav. Une convention de création d’un GIS a été proposée en 2005, entre le CNRS, l’Inserm, l’Inra, l’UPS, l’INPT, l’Insa, le Conseil Régional Midi-Pyrénées, le Conseil Général de la Haute Garonne, la Communauté d’agglomération du Grand Toulouse et la communauté d’agglomération du Sicoval. Mais le CNRS s’oppose à l’idée d’un GIS dans lequel il n’aurait pas la personnalité morale302. Quant à l’Inserm, il a refusé de s’engager dans l’Itav, en grande

partie du fait qu’il se voyait déjà contraint de construire plus de 10 000 m² de locaux sur le site de l’Oncopôle.

La CAGT, propriétaire du bâtiment, a une vision assez proche du fondateur de l’Itav, c’est la raison pour laquelle elle a accepté d’investir dans le projet et d’en prendre la maîtrise d’ouvrage. Il est envisagé de laisser la gestion de l’Itav à la Fondation InNaBiosanté (jusqu’en 2008 son président est aussi le président de la CAGT) et de regrouper les partenaires académiques et industriels dans une UMS (Unité mixte de service) ou une USR (Unité de service et de recherche) du CNRS. La nécessité de créer une unité de recherche du CNRS apparaît comme le moyen le plus sûr d’apporter à l’Itav les moyens financiers et humains (techniciens et ingénieurs) nécessaires à son fonctionnement, tandis que les chercheurs seraient détachés provisoirement de leur unité de recherche d’appartenance pour venir travailler à l’Itav dans le cadre de projets303.

« Les appels à projets, il faut bien les financer. Alors la Région met un peu au pot, la Fondation InNaBioSanté met un peu au pot, la Fondation RITC304 a financé des projets de

l’Itav, mais y a rien de pérenne là-dedans. Donc la seule chose que la France connaisse en termes de financements pérennes c’est les unités de recherche »305.

Ainsi, jusqu’à l’inauguration du bâtiment, les différents partenaires ne sont pas parvenus à s’accorder sur la question du statut306.

300 Liste détaillée des partenaires académiques et institutionnels de l’Itav en annexe n°9, p. XXII. 301 Il n’apparaît que sur un seul des comptes-rendus auxquels nous avons eu accès.

302Entretien avec l’ancienne déléguée régionale du CNRS.

303C’est cette option d’organisation pour l’Itav qui est d’abord présentée par la CAGT : MID e-news,

« Biotechnologies : premiers projets financés dans le cadre de l’Itav », 6 janvier 2006,

http://archives.midenews.com/politiques-publiques/886-biotechnologies-premiers-projets-finances-dans-

le-cadre-de-l-itav.html

304 Recherche et Innovation Thérapeutique en Cancérologie.

305Entretien avec un chercheur ayant participé aux réflexions sur la création de l’Itav, 30.04.2013.

306 Les compte-rendu de réunions de l’association Oncopôle font été de discussions au sujet de la

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