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UN FREIN À LA PRISE EN COMPTE DE L ’ INTERDISCIPLINARITÉ DANS LA CARRIÈRE DES CHERCHEURS

dynamique de l’activité de recherche : l’exemple du CNRS

UN FREIN À LA PRISE EN COMPTE DE L ’ INTERDISCIPLINARITÉ DANS LA CARRIÈRE DES CHERCHEURS

Selon D. Vinck, nous l’avons vu, les disciplines ne sont pas des espaces cloisonnés, les circulations entre les différentes disciplines sont fréquentes et les découpages et cloisonnements sont avant tout institutionnels (Vinck, 2000, p.61).

Ainsi, si l’interdisciplinarité est une pratique courante chez les chercheurs, elle peut se révéler un frein à l’avancement des carrières. Si l’interdisciplinarité est de plus en plus affichée dans les programmes de recherche, elle est mal prise en compte dans la carrière des chercheurs, il convient alors de souligner « la souffrance du chercheur interdisciplinaire [qui] provient

des difficultés de sa propre reconnaissance et promotion, de la difficulté de publication dans les grandes revues disciplinaires, des efforts consentis sans reconnaissance institutionnelle adéquate pour organiser l’interdisciplinarité tellement louée » (Joulian et al., 2005).

En effet, « [les] mécanismes de régulation des disciplines scientifiques influencent les conditions de

possibilité d’une pratique de l’interdisciplinarité » et les démarches interdisciplinaires des

chercheurs peuvent se heurter à des « régulations disciplinaires » (Vinck, 2000, p.64) comme des mauvaises évaluations ou encore des difficultés à publier les résultats.

Dominique Vinck relève des différences de plusieurs registres entre disciplines qui peuvent être un frein à l’interdisciplinarité : 1) des enjeux institutionnels (les enjeux de carrière qui ne sont pas les mêmes selon les disciplines) ; 2) la position relative des chercheurs et enseignants au sein de leur discipline fait que « les risques encourus par la pratiques

de l’interdisciplinarité sont différents » ; 3) les visées scientifiques, que l'on peut résumer entre des

visées applicatives ou de connaissances fondamentales ; 4) la nature des exigences, du langage et de la formalisation des résultats ; 5) les méthodes, les démarches (ex : type de rapport au terrain) ; 6) la temporalité ; 7) la manière de formuler un sujet de recherche (Vinck, 2000, p.101-102).

81 De plus, la démarche de l’interdisciplinarité réclame un temps long pour « construire

l’intercompréhension » (Joulian et al., 2005), ce qui n'est pas compatible avec la logique du court

terme instaurée par la recherche sur projet. Pour ajouter à ces contraintes, Dominique Vinck rappelle que l’ouverture interdisciplinaire est aussi une conséquence des besoins en ressources. Les chercheurs sont forcés de rechercher des financements auprès d’organismes variés, publics et privés, et par là-même élargissent « leur champ d’intérêt et d’approche pour saisir

des opportunités nouvelles en dehors de leur stricte spécialité » (Vinck, 2000, p.25).

3.3.2 De l’interdisciplinarité à la convergence NBIC : le

rôle central des « nanos » dans ce mouvement

Au niveau de la politique de recherche, il convient de noter le poids du programme de la convergence NBIC dans l’injonction à l’interdisciplinarité. En effet, depuis les années 2000 et le programme américain NBIC, la convergence tend à remplacer l’interdisciplinarité dans les politiques scientifiques.

Dominique Vinck relève trois acceptions de la convergence. La première concerne le rapprochement, voire l’hybridation, de plusieurs domaines des sciences lorsqu’elles travaillent à l’échelle nanométrique ; la seconde concerne l’intégration qui se « ferait depuis

l'échelle nanométrique par inscription de l'intelligence dans le façonnage le plus fondamental de la matière qui compose les matériaux, les machines et le vivant » ; la troisième, enfin, découle des deux

précédentes « les sciences et les technologies ne convergent que si ceux qui les font eux-mêmes convergent ». Ainsi cette perspective implique « la construction de politiques et de programmes de recherche et de

développement conjoints, le rapprochement physique et institutionnel et l'hybridation des disciplines scientifiques mais aussi de l'ensemble des acteurs concernés (industriels, instances de régulation, aménageurs de territoire, porte-paroles de la société, etc. » (Miège et Vinck, 2012, p.2). La convergence NBIC influence les évolutions récentes qui consistent à encourager les regroupements dans un même lieu des établissements de recherche et des entreprises privées, ce qui s’observe dans les Instituts de recherche technologique (IRT), les plateformes technologiques, les pôles de compétitivité, etc.

L’évolution vers la convergence prend sa source dans le développement de la technoscience 85 selon Bernadette Bensaude-Vincent, car celle-ci entraîne un

bouleversement de « la carte du savoir », c’est-à-dire une remise en question du découpage du savoir en disciplines (Bensaude-Vincent, 2009, p.57). Selon Bernadette Bensaude-Vincent,

85Le terme « technoscience » a été introduit dans les années 1970 par le philosophe belge Gilbert Hottois.

Il désigne d’abord une « mutation des rapports entre science et technique ». Ainsi, « la technique ne serait plus dépendante

82 l’organisation disciplinaire contribue à maintenir une marge d’autonomie car chaque discipline a la possibilité de créer ses propres normes. De plus, l’université offre un cadre qui permet à une discipline d’évoluer selon une dynamique propre, et indépendamment des revendications techniques extérieures. En revanche, la philosophe note que lorsque la science devient plus dépendante de la technique, cela oblige des spécialistes de différentes disciplines à travailler ensemble. Ainsi, si la technoscience ne remet pas en cause la recherche fondamentale, elle « remet en question la revendication d’autonomie de la science par rapport aux enjeux

économiques et sociaux » (Bensaude-Vincent, 2009, p.64).

Les « nanos » constitueraient, selon Bernadette Bendaude-Vincent, « un terrain privilégié

pour enrichir la notion de technoscience, car elles ne sont ni vraiment une science, ni vraiment une technologie »

(Bensaude-Vincent, 2009, p.65).

La « research technology », qui naît au XIXe siècle en Allemagne (Shinn, 2000) serait la source de la technoscience (Bensaude-Vincent, 2009, p.47). Ce type de recherche conduit à la fabrication de dispositifs génériques, qui « favorisent à leur tour le brassage des disciplines ». Le microscope à effet tunnel (STM), instrument à la base des nanotechnologies, est un instrument générique au sens de T. Shinn. Il s’agit d’un instrument générique dans le sens où il n’a pas été inventé pour répondre à une utilisation déterminée et une application particulière. Il permet de mieux connaître les propriétés de la matière et peut être utile aux physiciens comme aux chimistes ou aux biologistes.

Mais la convergence « ne relève pas seulement d’une dynamique des savoirs », elle présuppose

« une volonté politique qui assigne un but à la production du savoir », ainsi que le montre le but

assigné par Mihail Roco (promoteur de la convergence et auteur du rapport à la base du lancement de la NNI) dans le titre de son rapport « pour augmenter les performances humaines » (Bensaude-Vincent, 2009, p.71). Ainsi, les premiers usages du terme « technoscience » dans les années 1980 lui prêtaient trois caractéristiques : « l’orientation vers des applications, la présence

de la technique comme outil indispensable à la production de savoir, l’hétérogénéité des acteurs »

(Bensaude-Vincent, 2009, p.80). A cela s’ajoute, avec les « nanos » et surtout la convergence des technologies, un processus de recomposition du savoir provoqué par la technoscience.

« Non seulement elle bouscule les cloisons disciplinaires, mais elle transforme aussi la connaissance en un processus téléologique orienté vers une fin assignée par décision politique » (Bensaude-Vincent, 2009,

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LE RÔLE PARTICULIER DES SCIENCES POUR L’INGÉNIEUR DANS CETTE

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