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En 1977 et après la politique de réforme et d’ouverture (depuis 1978)

Chapitre I La traduction AV en Chine : éléments d’histoire

1.2 Après 1949

1.2.3 En 1977 et après la politique de réforme et d’ouverture (depuis 1978)

Après la chute de la bande des quatre, les échanges avec le reste du monde sont redynamisés. Et la mise en œuvre de la politique de réforme et d’ouverture, initiée à la 3ème session plénière du 11ème Comité central du Parti communiste chinois (PCC), qui

se tint en décembre 1978, marque la vraie fin du temps de la fermeture au monde et à la culture extérieure.

Le 30 octobre 1979 où s’ouvrit le 4ème congrès des travailleurs de la littérature et

de l’art à l’échelon national, DENG Xiaoping, l’un des plus importants initiateurs de la politique d’ouverture, dit d’une manière très claire : “Nous devons emprunter et apprendre tout ce qui est progressiste des œuvres de la littérature et de l’art traditionnelles et étrangères.”2

C’est dans ce contexte favorable que les contacts sur le plan cinématographique entre la Chine et le reste du monde ne cessent de se multiplier. Les désirs de voir les productions étrangères d’une grande variété, privé pendant la Révolution culturelle, seront enfin satisfaits pour le public chinois grâce aux efforts faits par un nombre croissant des studios qui se consacrent à la traduction du cinéma.

En 1977, un total de 13 films étrangers sont doublés en chinois, dont 6 au studio de doublage de Shanghai, 5 à celui de Changchun et les 2 autres faits par le studio de Beijing. Dans les années 80, le nombre moyen des films étrangers faisant l’objet du doublage augmenta à 35 par an ; en 2000, ce nombre continue de grimper jusqu’à 42,

1Voici le texte original : “中国电影新闻简报,苏联电影总是那一套,朝鲜电影又哭又笑,越南电影飞机大炮, 阿尔巴尼亚电影莫名奇妙,罗马尼亚电影又搂又抱.” (voir aussi 麻争旗. 影视译制概论. 北京:中国传媒大 学出版社,2005, p. 283)

2麻争旗. op. cit., p. 292. Voici le texte original : “我国古代的和外国的文艺作品,表演艺术中一切进步的和优

qui est partagé entre le studio de doublage de Shanghai (28), le studio de Changchun (7) et le studio du 1erAoût (7)1.

Il est à signaler que bon nombre de ces films doublés étaient destinés à la projection à la télévision. Au fil du développement économique grâce à l’application de la politique de réforme et d’ouverture, le niveau de vie du peuple chinois s’est beaucoup amélioré. Ce qu’illustre la rapide généralisation de la télévision. Le pas s’est accéléré dans les années 1980. On estimait en janvier 1986 qu’un cinquième des Chinois pouvaient regarder la télévision, que les récepteurs seraient près de quatre-vingt-cinq millions à la fin de l’année2. Dès 1988, ce pourcentage monte en

flèche et 64% de la population recevaient alors ou allaient recevoir dans un très bref délai des émissions télévisées grâce à la mise sur orbite de deux satellites de communication achetés à l’étranger et au lancement de son premier satellite de télédiffusion prévu pour émettre cent soixante-douze heures par semaine3. Adopté le

12 avril, le septième plan quinquennal prévoyait qu’en 1990, 75% de la population aurait accès à la télévision4.

Les grands progrès de la télévision étaient accompagnés de la crise du cinéma. Les salles de cinéma couvertes ou à ciel ouvert (les équipes de projection à la campagne) perdirent à jamais le monopole de la diffusion des films étrangers doublés ou sous-titrés en chinois. La désaffection du public pour le cinéma s’accentua avec l’essor de la télévision. Selon une enquête publiée en mai 1986 par Le Quotidien de l’économie, le passe-temps le plus populaire pour les Pékinois était de regarder la télévision5. En janvier 1996, on comptait en Chine 260 millions de postes de

télévision et 850 millions de téléspectateurs, dont plus de 500 millions ruraux6.

L’engouement du public chinois pour la télévision a stimulé l’importation des films et des programmes étrangers qui ont largement contribué à l’enrichissement et à la diversité en la matière. De nombreux productions étrangères étaient achetées au

1麻争旗. 影视译制概论. 北京:中国传媒大学出版社,2005, p. 284.

2Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1984-1997), Aix-en-Provence, Institut de l’Image, 1997, p. 53. 3Idem, p. 95.

4Ibid., p. 53. 5Ibid. 6Ibid., p. 55.

forfait et faisaient l’objet de la traduction. L’activité du doublage, en ce moment, battait son plein et devenait le principal moyen permettant à un vaste public chinois d’accéder aux films ou aux programmes importés. Selon MA Zhengqi1, ces derniers

sont divisés en trois catégories principales : les films, les séries télévisées et les documentaires. En ce qui concerne la première catégorie, on relève notamment Waterloo Bridge (《魂断蓝桥》), Marie Curie (《居里夫人》), Casablanca (《卡萨布兰 卡》), Autant en emporte le vent (《飘》), Tess (《苔丝》), l’As des As (《王中王》), etc.

La croissance des productions importées en Chine s’accompagne d’une amélioration constante de la qualité en matière de leur doublage. Grâce aux progrès techniques, les conditions de l’enregistrement du son se sont beaucoup améliorées. En 1977, les techniciens du son attachés au studio de doublage de Shanghai ont pris l’initiative, en coopération avec leurs homologues, de construire un studio fort d’absorption du son, permettant de procéder à l’enregistrement multicanal et à multiples microphones. À la fin des années 1980, on importa un équipement avancé qui, perfectionné de la technique appliquée à la télévision, annonçait la fin de l’ancienne démarche consistant à projeter tout un film par segments en vue de le doubler2. En outre, cet équipement permit de réaliser le synchronisme par le biais du

contrôle du code temporel (time code), réduisant ainsi largement le risque de désynchronisation entre l’image et la voix doublée.

À force d’expérience, les professionnels du studio de doublage de Shanghai divisent huit étapes en vue de doubler un film : visionnage du film, 1ère vérification

(des dialogues traduits), 2ème vérification, exercices, mise en scène, simulation,

rattrapage et mixage3. Chaque étape étant étroitement liée à l’autre s’avère cruciale.

Quant à ceux qui travaillent au studio du 1er Août, ils mettent la traduction des

dialogues originaux et la mise en scène au centre de leurs préoccupations tout en coordonnant le travail du réalisateur, des comédiens et des techniciens du son.

Grâce aux efforts des artistes, on pourrait entendre parler le chinois standard sans

1麻争旗. 影视译制概论. 北京:中国传媒大学出版社, 2005, p. 290. Pour savoir plus sur l’évolution du doublage pour la télévision, consultez le même ouvrage : 290-306.

2Idem, pp. 285-286.

accent ni fautes de prononciation. Conscients de leur voix théâtralisée et peu naturelle, les comédiens s’efforcent de s’en affranchir dans la tentative de parler comme on le fait dans la vie réelle tout en se mettant dans la peau du personnage doublé.

Pour récompenser les efforts dans l’amélioration de la qualité du doublage, on créa en 1979 à l’initiative du Ministère de la Culture de la République populaire de Chine le prix qui serait accordé aux meilleurs films doublés1. Depuis, bon nombre

d’œuvres doublées ont reçu ce prix et on en cite notamment Kimi yo funme no kawa o watare (《追捕》), Limelight (《舞台生涯》), Tess (《苔丝》), Saving Private Ryan (《拯 救 大 兵 瑞 恩》), Pearl Harbor (《 珍 珠 港 》), etc. En outre, on fit ajouter également aux

“Coqs d’or”, attribués par l’Association des cinéastes, le prix récompensant les meilleurs films doublés, dont Forrest Gump (《阿甘正传》) par le studio du 1erAoût.

Par ailleurs, le nombre des studios pratiquant l’activité de doublage était en forte croissance. À part les quelques studios mentionnés plus haut, le Département international de CCTV, créé en 1987, joue un rôle déterminant dans la postsynchronisation des programmes télévisés importés, y compris bien entendu des films étrangers. En même temps, des TV régionales (Beijing, Shanghai, Guangdong, Shandong, Jiangsu, etc.) ont commencé à former des équipes chargées de doubler des films ou des séries télévisées étrangers. Ces dernières années, elles ont produit d’innombrables chefs-d’œuvre tels que Growing Pains (série télévisée,《成长的烦恼》),

Le Grand restaurant (film,《大饭店》), The Thorn Birds (film,《荆棘鸟》), 东京ラブ ス ト ー リ ー (série,《 东 京 爱 情 故 事 》) par Shanghai TV ; Woof ! (série,《 童 犬 埃 里 克》),The Black Stallion (série,《黑骏马》), Sophie’s world (film,《苏菲的世界》), Notre

Dame de Paris (film,《巴黎圣母院》) par Hubei TV ; Get Smart (film,《糊涂侦探》), L'Île

mystérieuse (film,《神秘岛》) par Henan TV et The adventures of Sinbad (série,《辛巴 达历险记》) par Liaoning TV, etc.2

Pendant que l’activité de doublage était en plein essor, le sous-titrage a commencé à reprendre de la force, notamment à partir des années 1990. En 1994, le

1麻争旗. 影视译制概论. 北京:中国传媒大学出版社, 2005, p. 285.

Ministère de la Radio, du Cinéma et de la Télévision1 a enfin approuvé l’avis du

directeur de China Film, WU Mengchen qui proposait au Bureau du cinéma d’adopter le système de la distribution cinématographique en partage de recettes2, alors en

vigueur à l’échelon international. Depuis, China Film aurait droit à l’importation de dix films étrangers par an qui seraient distribués en partage de recettes selon la proportion de 4-6 entre l’étranger et la Chine. 1/3 de ces films étaient importés des États-Unis, 1/3 provenant de l’Europe et 1/3 du reste des pays3. Le 12 novembre 1994,

le premier film en partage de recettes The Fugitive (《亡命天涯》), production Warner,

fut projeté à Beijing, rapportant le gros lot de 25 millions de yuans4. Le voyage des

superproductions hollywoodiennes en Chine commença.

En novembre 2001, la Chine adhéra à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En tant que pays membre, elle devrait ouvrir davantage le marché cinématographique. Le nombre des films étrangers sous le régime de la distribution en partage de recettes en Chine augmente de dix à vingt.

Le changement de modes de distribution ravive le marché chinois qui, sous le régime de l’économie planifiée, était en dépérissement. En effet, l’importation des films étrangers en partage de recettes, qui coexistent désormais avec ceux au forfait, est considérée comme l’un des moyens les plus efficaces à redynamiser le marché chinois du cinéma alors morose5. Néanmoins, il y en a peu qui ont signalé l’impact de

ce changement sur la traduction du cinéma.

Avant, la plupart des films étrangers importés en Chine étaient achetés au forfait. Le prix de chaque film variait entre vingt ou trente mille dollars6. Un tel prix ne

pouvait acheter que des productions à bas coût, dont la majorité étaient sorties dans

1À partir de l’année 1985, le cinéma cessa d’être sous la tutelle du Ministère de la Culture pour être pris en charge

par le nouveau Ministère de la Radio, du Cinéma et de la Télévision.

2Ce système consiste à faire partager les recettes rapportés par la projection d’un film entre le producteur, le

distributeur et les salles de cinéma, contrairement au système de la distribution au forfait en fonction duquel le détenteur (producteur ou réalisateur) d’un film le vend à l’acheteur (China Film dans le cas de la Chine) en lui cédant le droit de possession sans partage de recettes. Avant 1994, la plupart des films étrangers importés en Chine étaient achetés au forfait.

3王 言. “大 片”轰 炸中 国 银幕. 燕 赵都 市 报, 25/12/2008. Il est à signaler qu’en réalité, les proportions ne sont pas toujours respectées. Plus de détails, consultez 李 静. 新 时 期 体 制 演 变 中 的 电 影 进 口 研 究 : 博 士 学 位 论 文. 山 东:山东大学,2010, pp. 46-47.

4王言. op. cit.

5李静. op. cit., p. 46.

les pays d’origine il y a plusieurs années, voire des dizaines. Zorro, sorti en France en 1975, vit le jour en Chine en 1979 ; Notre Dame de Paris, projeté en France en 1956, ne rencontra le public chinois qu’en 1972 ; Waterloo Bridge, distribué aux États-Unis en 1940, ne le serait en Chine que plus de quarante ans plus tard (1988), etc. Pour projeter les films au forfait, c’était seul l’acheteur qui décidait où et quand.

Après la mise en œuvre du système de la distribution en partage de recettes en 1994, le décalage entre la projection d’un film dans le pays d’origine et celle en Chine est largement réduit, voire nul. Titanic sortit dans les salles chinoises en novembre 1998, soit six mois après sa première projection aux États-Unis. Le 5 novembre 2003, The Matrix Revolutions (《 黑 客 帝 国III 》) sortit simultanément aux États-Unis et en

Chine. Il en est de même pour Harry Potter and the Deathly Hallows I (《哈利·波特与 死 亡 圣器 》 ( 上 )) qui sortit le 19 novembre 2010. Valérian et la Cité des mille planètes

de Luc Besson n’a connu qu’à peine un mois d’écart entre la France (26/7/2017) et la Chine (25/8/2017).

Dans ce cas-là, le doublage nécessitant beaucoup plus de temps peut être moins adapté à ce nouveau mode de distribution des films étrangers en Chine par rapport au sous-titrage. D’ailleurs, le coût du doublage est beaucoup plus élevé. À la poursuite des profits, on hésite à faire ce choix.

Les nécessités commerciales ne sont pas la seule raison en faveur de la reprise de l’activité de sous-titrage. À mesure que le taux d’analphabétisme baisse1 et que le

niveau culturel s’améliore, l’envie de voir la version originale s’accroît. L’un des témoignages serait la création de la section “Films et séries télévisées originaux” par CCTV en mai 1999, qui consiste à projeter la version originale sous-titrée des films et séries télévisées importés. Ce faisant, on satisfait le besoin d’apprendre des langues étrangères pour les uns et le désir de voir la version originale pour d’autres en projetant à la télévision par exemple Waterloo Bridge, Bathing Beauty (《出水芙蓉》).2

À cela, s’ajoutent l’explosion des DVD avec menus et le développement de la vidéo et des magnétoscopes qui multiplient les possibilités d’accès à la version

1Selon les données élaborées par le Bureau national des statistiques de la République populaire de Chine, le taux

d’analphabétisme du pays était de22.81/ 23.5% en 1982, 15.88% en 1990, 6,72 % en 2000, et 4,08% en 2010.

originale des films de divers pays. Ce faisant, le sous-titrage constitue le principal moyen d’aider les amoureux de ces films à surmonter la barrière des langues. Cette pratique continue de jouer un rôle croissant au fil du développement éclair d’Internet en Chine. Ce dernier produit un impact significatif sur la traduction AV, sur l’accessibilité aux médias en général et sur l’activité du sous-titrage en particulier. Il donne naissance à un phénomène qui joue désormais un rôle essentiel dans la circulation des films étrangers en Chine : les fansubs. On en parlera plus loin (voir le chapitre III).

Conclusion

Dès la projection en Chine des premiers films étrangers intertitrés, le problème des langues se pose. De l’explication au doublage en passant par le sous-titrage, la traduction AV en Chine ne cesse d’évoluer.

L’art muet ne fait que camoufler cette pratique et l’avènement du parlant la fait distinguer en introduisant la division babélienne des langues. L’envie de conquérir le marché cinématographique chinois qui, envahi par les films étrangers avant la fondation de la Chine nouvelle, est désormais sous la tutelle du gouvernement du pays, se traduit par la recherche incessante de solutions innovantes. L’un des résultats réside dans l’évolution et le développement des modes de la traduction AV, par exemple l’introduction de la technique Earphone dans les années 1940, inventée par la société américaine en vue d’élargir l’envergure dans la projection de ses productions dans des salles chinoises dont “Da Guang-ming” à Shanghai.

Si avant 1949, l’évolution de la traduction AV en Chine est notamment restée sous l’emprise des nécessités commerciales des pays étrangers, elle a été particulièrement influencée par les besoins de l’État dès la fondation de la Chine nouvelle. Sous les auspices du gouvernement, la pratique du doublage ne naît à la fin des années 1940 que pour prendre son élan jusqu’aux années 1990, par le souci de consolider la ligne idéologique tout en chassant les films étrangers du genre “pollution spirituelle”, par la

préoccupation de cultiver le peuple dont la majorité était analphabètes en enrichissant sa vie spirituelle, et par la nécessité d’améliorer la qualité du cinéma chinois en empruntant ce qui est progressiste chez les productions étrangères. À partir des années 1990, le marasme du marché cinématographique chinois et le désert régnant dans les salles ont conduit le gouvernement à procéder à des changements en la matière. La permission de la distribution en partage de recettes, complétée par celle au forfait, sollicite davantage d’activités de sous-titrage afin de capter les premiers spectateurs, attirés par de nouveaux moyens de distraction, notamment la télévision.

Les progrès technologiques influent d’une manière bien marquée sur le développement de la traduction AV dont la qualité ne cesse de s’améliorer en offrant de meilleures conditions. L’invention de nouveaux micros et de nouveaux systèmes de captation perfectionne l’enregistrement du son et le contrôle sur la postsynchronisation. De nouveaux procédés techniques en vue de perfectionner la manière d’imprimer les sous-titres sur l’image accroissent le confort de lisibilité de ceux-ci et leur discrétion (voir le chapitre III).

L’irruption de nouveaux supports utilisés pour la distribution des films (télévision, DVD, magnétoscopes, Internet, la technologie portable, etc.) entrant en concurrence avec le cinéma, pose de nouveaux défis à la traduction AV en général et au sous-titrage en particulier, sur lequel la taille des écrans et la disponibilité dans le visionnage du film ont de l’incidence, souvent décisive (voir aussi 5.2).

Désormais, les deux modes principaux de la traduction AV coexistent et contribuent aux échanges cinématographiques entre la Chine et l’étranger en favorisant la circulation des films étrangers dans ce pays. À mesure que le niveau culturel de l’ensemble du peuple chinois ne cesse de s’améliorer, et que les intérêts commerciaux l’emportent sur les soucis politique et idéologique, de plus en plus de cinéphiles revendiquent l’accessibilité à la version originale des films importés. Ce faisant, le sous-titrage s’avère de plus en plus un choix quotidien dans la Chine contemporaine (voir le chapitre III).