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Pendant la Révolution culturelle (1966-1976)

Chapitre I La traduction AV en Chine : éléments d’histoire

1.2 Après 1949

1.2.2 Pendant la Révolution culturelle (1966-1976)

Entre 1966 et 1976, la Chine fut ravagée dix années durant, par une révolution, dite culturelle. De tous les milieux concernés, cependant, ce fut le cinéma qui paya le plus lourd tribut à la fureur iconoclaste de la vindicative JIANG Qing3, quatrième et

dernière épouse de MAO Tsé-toung. Ce dernier, convaincu qu’il existait une “ligne noire” à l’affût du pouvoir, prit l’initiative d’un mouvement rectificatif contre les “droitiers” révisionnistes qui défendraient le capitalisme en l’embellissant.

Ce mouvement, déformé par certains, la “bande des quatre” à la tête, se dégradait rapidement jusqu’aux excès ultra-gauchistes. Était entièrement affecté le monde des

1麻争旗. 影视译制概论. 北京:中国传媒大学出版社,2005, p. 289.

2Idem, p. 288.

intellectuels, dont une majorité des cinéastes, persécutés pour les uns, et “rééduqués” à la campagne pour d’autres. Leurs films, tournés au cours des trente années écoulées, étaient mis en cause. Et aucun des quinze studios qui existaient en Chine en 1966 ne fut épargné par cette tempête extrêmement violente1. Quant aux

conséquences désastreuses qu’avait causées cette révolution en la matière, Régis Bergeron parle des structures traditionnelles du cinéma qui volèrent en éclat2 :

L’association des cinéastes fut dissoute, le ministère de la Culture mis en sommeil, la section de propagande du comité central remplacé par un groupe sous la direction de YAO Wenyuan devenu chef de la censure (Cette section ne fut réactivée qu’au début de 1977 sous la direction de KENG Piao). La cinémathèque fut mise à sac, beaucoup de films détruits ; elle fut à ce point ravagée qu’on dut lui chercher un nouveau local après 1976. L’institut de cinéma de Pékin se borna surtout à recruter des soldats démobilisés dont beaucoup n’avaient aucun goût pour le cinéma. JIANG Qing ne tarda pas à faire évacuer de ses locaux le studio de Pékin, particulièrement visé, et on y installa l’Institut du commerce extérieur. Il dut chercher un autre lieu où reprendre ses activités : une université. Le déménagement et l’emménagement ne coûtèrent pas moins de seize millions de yuans.

Ce faisant, il est peu douteux que la production nationale cinématographique a stagné pendant ces dix années. On tourna seulement de rares opéras, des documentaires et films scientifiques et éducatifs, même si la situation a commencé à timidement s’améliorer à la fin de la Révolution.

Face à la monotonie et au schématisme des films (d’actualités) nationaux, le public chinois, ennuyé et stressé, était loin de trouver la consolation à travers les très rares productions importées qui restaient pourtant relativement diversifiées avant la Révolution.

À mesure que les relations entre la Chine, déjà trahie par Khrouchtchev qui rompit unilatéralement l’accord d’assistance et de coopération sino-soviétique, et l’U.R.S.S., “polluée” du révisionnisme aux yeux de certains dirigeants chinois, se

1Chiffre cité par le ministre de la Culture Huang Zhen au cours d’une conférence de presse le 27 septembre 1979,

repris par Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1949-1983 II), 1984, Paris, L’Harmattan, p. 254.

détérioraient, on arrêtait quasiment l’importation des films soviétiques qui disparaissaient des écrans chinois pour y en réserver deux seulement, Lénine en octobre (《 列 宁 在 十 月 》), doublé en 1950 par le studio de Changchun, et Lénine en

1918 (《 列 宁 在1918 》), doublé à son tour en 1951 par le studio de Shanghai. Il est à

noter que ces deux productions soviétiques, accessibles déjà au public chinois pendant les années 50, comptaient parmi les rares films étrangers qui ont gardé droit de cité sur les écrans du pays pendant la Révolution.

En même temps, d’autres pays qui avaient été proches de la Chine choisirent le côté de l’U.R.S.S. Ainsi apparut-il la scission au sein du camp socialiste. Ce faisant, les échanges cinématographiques avec ces pays, traduits entre autres par l’invitation des délégués, l’organisation des festivals et des semaines du cinéma, et enfin l’importation des films, s’avéraient peu réalisables.

Si une faible quantité de films importés des pays capitalistes avaient commencé à se frayer un chemin à travers le marché chinois à partir des années 50, ils ont été de nouveau repoussés pendant la Révolution où régnait le courant ultra-gauchiste qui montrait apparemment aucune sympathie envers le capitalisme et surtout l’impérialisme américain.

Dans ce cas-là, il ne restait que très peu de pays qui ne fussent proches ni de l’U.R.S.S., ni des pays capitalistes, les États-Unis en particulier. En fait, la quasi-totalité des films importés pendant ces dix années désastreuses venaient de Corée du nord, du Vietnam, d’Albanie et de Roumanie.

Le doublage, prenant son élan dans les années 50, restait toujours l’un des principaux moyens permettant au public chinois d’accéder aux films étrangers importés de ces quelques pays socialistes susmentionnés. Parmi les plus populaires, on cite notamment les trois films coréens Le front invisible (《看不见的战线》, studio de

Changchun, 1970), Blooming flowers villages (《 鲜花 盛开 的村 庄》, studio de

Changchun, 1972 ) et The flower selling girl (《卖花姑娘》, studio de Changchun, 1972,

traduit par l’écrivain féminin HE Mingyan), sans oublier le documentaire Un envoyé du peuple chinois frère, qui fixe les images du dernier séjour officiel de Zhou Enlai au Corée du Nord, quelques films albanais sur les luttes contre le fascisme Victoire sur la

mort1 (

《宁死不屈》, studio de doublage de Shanghai, 1969), Njesiti Guerril (《地下游 击队》, studio de doublage de Shanghai, 1969) ou encore Attaque à l’embuscade (《伏 击战》, studio de doublage de Shanghai, 1969), etc.

Lorsqu’il s’agit de la traduction des films étrangers pendant la Révolution, un phénomène assez répandu mérite d’être mentionné, à savoir le doublage des “films de référence”(内 参 片). Ces derniers regroupent les films importés qui, ne passant pas

dans les salles de cinéma, sont réservés à des groupes ou individus “particuliers” qui sont des privilégiés.

Ces films ne sont pas nouvellement nés de la Révolution. Avant, dans les années 50-60, des studios, le studio de doublage de Shanghai en particulier, étaient chargés de doubler un certain nombre de “films de référence” pour quelques dirigeants du Comité central ou le personnel responsable des affaires étrangères ayant pour objectif de se renseigner sur les situations politique, économique, culturelle et militaire au monde.

L’utilité de ces films était de toute évidence lorsque plusieurs productions japonaises telles que La guerre et les hommes (《战争和人》), L’amiral Yamamoto (《山 本五十六》), La bataille d’Okinawa (《冲绳决战》) furent doublés en tant que “films de

référence” tout au début des années 70, à l’appel de l’ancien Premier ministre ZHOU Enlai qui, restant toujours en vigilance, soupçonnait la résurrection du militarisme de ce voisin qui avait occupé le sol chinois pendant quinze ans et qui en avait été chassé depuis seulement un quart de siècle.

Or, la majorité des “films de référence” doublés s’éloignèrent pendant la Révolution, de la tâche dont ils avaient été initialement chargés pour rendre service, comme un tribut séduisant, aux ambitions politiques de la “bande des quatre” qui, en s’en servant, racolait des proches contre les adversaires. Les saboteurs du pouvoir se permirent ainsi de voir ce qu’ils voulaient, tandis que le grand public, renfermé, a dû se contenter des opéras filmés, des documentaires et d’un certain nombre de films importés de quelques rares pays solidaires de la Chine, qui se répètent à tant de fois

1Titre français du film, emprunté de Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1949-1983 II), Paris, L’Harmattan, 1984,

que les spectateurs purent en réciter facilement les dialogues.

Il est à signaler que le doublage des “films de référence” est plus difficile et plus compliqué que celui des films destinés à la projection publique, puisque les premiers, “clandestins” en quelque sorte, n’ont pas de scénarios avec eux, ce qui obligerait les traducteurs à exercer leur travail, tout occupés à écouter ce qui est énoncé aux films. Malgré tout, d’après les statistiques concernées1, le nombre des “films clandestins”

doublés atteindrait jusqu’en 1976 à plus de 200.

La prospérité des “films de référence” fut loin de recouvrir la récession du marché cinématographique tant qu’intérieur qu’international durant ces dix années instables, bien que la situation morose ait commencé à s’améliorer à l’arrivée du président Nixon, reçu par MAO Tsé-toung à Pékin le 21 févier 1972 et suivi en septembre par le Premier ministre nippon Tanaka qui, débarquait à son tour dans la capitale chinoise, prélude à une normalisation presque immédiate des relations diplomatiques entre les deux pays qui s’étaient affrontés des décennies durant. En 1972, des films chinois font leur apparition sur plusieurs écrans en Égypte, au Japon et en France ; à l’occasion de la fête nationale 1975, le 1eroctobre, l’abondance des

films nouveaux qui sortirent attesta d’une reprise générale de l’activité des studios. Mais dans l’ensemble, le grand public qui avait souffert d’une grande crise à l’échelon national, a éprouvé aux temps du caporalisme peu de satisfactions intellectuelles qu’aurait pu lui apporter le cinéma étranger. Selon les données établies par MA Zhengqi2, entre 1966-1976, le studio de Changchun a doublé au total 50 films,

dont 26 coréens, 6 vietnamiens, 6 albanais, 5 roumains, 2 soviétiques et 1 pour chacun des pays suivants : Angleterre, États-Unis, France, Allemagne de l’Ouest et Pologne. Le même studio ne doubla en moyenne que 5 films par an, soit 1/8 d’avant la Révolution.

À propos de la monotonie des styles et genres des films projetés pendant la Révolution, un commentaire plus ou moins satirique s’est vite popularisé : “Au cinéma chinois, documentaires et actualités ; au cinéma soviétique, Lénine et

1http://www.wenxuecity.com/news/2015/10/30/4674050.html (page consultée le 13 juin 2017) 2麻争旗. 影视译制概论. 北京:中国传媒大学出版社,2005, p. 283.

stéréotypes ; au cinéma coréen, pleurs et rires ; au cinéma vietnamien, avions et canons ; au cinéma albanais, ni foi ni loi ; au cinéma roumain, malin et câlin.”1 [ma

traduction]

1.2.3 En 1977 et après la politique de réforme et d’ouverture (depuis