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Chapitre III Le sous-titrage en Chine : un choix quotidien

3.1 Qu’est-ce que le sous-titrage?

3.1.4 La traduction

Si le repérage, la simulation et l’incrustation dépendent plus des efforts des techniciens, l’étape de la traduction concerne directement le travail du sous-titreur. Et c’est cette étape qui fait l’objet de notre étude. Ici, lorsque nous parlons de l’opération du sous-titrage, c’est cette phase dont il s’agit.

Alors qu’est-ce que c’est exactement cette opération ? Quels sont les éléments qui feraient l’objet du sous-titrage? Pour y répondre, on se permettrait d’emprunter la définition assez complète que propose Jorge Díaz Cintas :

Le sous-titrage peut être défini comme une pratique de traduction qui consiste à présenter, en général sur la partie inférieure de l’écran, mais pas toujours (au Japon, les sous-titres sont disposés verticalement sur le côté droit de l’écran) un texte écrit qui s’attache à restituer :

1. le dialogue original des locuteurs, qu’ils soient ou non à l’écran ;

2. les éléments discursifs qui apparaissent à l’image (les lettres, les insertions, les graffiti, les pancartes, les écrans d’ordinateurs et tout ce qui est du même ordre) ; 3. d’autres éléments discursifs qui font partie de la bande son, comme les

1Jean-François Cornu, 2008, “Pratiques du sous-titrage en France des années 1930 à nos jours”, pp. 9-16 dans

Jean-Marc Lavaur et Adriana Serban, 2008, La traduction audiovisuelle-approche interdisciplinaire du sous-titrage, Bruxelles, de Boeck, p. 13.

chansons, les voix émanant de postes de télévision, de radios ou d’ordinateur etc.1

À travers cette définition qui ne manque pas de précision, on voit que les dialogues originaux, bien que fondamentaux, ne sont pas les seuls éléments qu’il s’agit de sous-titrer, et que tous les éléments discursifs transmis par les deux canaux visuel et auditif feraient l’objet du sous-titrage. Cela se rejoint au modèle typologique conçu par Dirk Delabastita qui met en rapport les diverses transformations qu’un film (ou un programme de télévision) original peut subir, dont le sous-titrage2. Il nous

semble nécessaire de le détailler pour que soit mieux dégagée la nature de cette opération, traduisant des textes audiovisuels émaillés de spécificités techniques et sémiotiques.

Inspiré du modèle tripartite (compétence-norme-performance) élaboré par Gideon Toury3, D. Delabastita a construit une typologie fondée sur le fait que le film

et la télévision transmettent le message en général à travers deux canaux matériels : le canal visuel et le canal acoustique, et plusieurs codes ou systèmes sémiotiques. Ces derniers peuvent être subdivisés en deux groupes : les codes verbaux (linguistiques, paralinguistiques) et les codes non-verbaux (vestimentaires, de maquillage, de politesse, cinématographiques, iconographiques, etc.).

Il est à préciser que les notions de canal et de code ne se recoupent pas, le premier concernant la transmission matérielle du texte, et le deuxième portant sur les structures et les règles génératrices du message. La distinction entre les deux canaux sert de base à cette typologie, puisqu’ils assurent la transmission du verbal qui, de ce point de vue, décidera dans une large mesure la marge de manœuvre des traducteurs. Elle sera jointe par la distinction entre signes verbaux et signes non-verbaux pour

1Jorge Díaz Cintas, 2008, “Pour une classification des sous-titres à l’époque du numérique”, pp. 27-41 dans J.-M.

Lavaur et A. Serban, 2008, La traduction audiovisuelle-approche interdisciplinaire du sous-titrage, Bruxelles, de Boeck, p. 27.

2Voir Dirk Delabastita, “Translation and Mass communication : film and TV translation as evidence of cultural

dynamics”, dans Babel 35 (4), 1989, pp. 193-218 et José Lambert et Dirk Delabastita, 1996, “La traduction de textes audiovisuels : modes et enjeux culturels”, pp. 33-58 dans Yves Gambier, 1996, Les transferts linguistiques dans les médias audiovisuels, Lille, Presses universitaires du Septentrion.

3Voir Gideon Toury, In search of a theory of translation, Tel-Aviv, The porter institute for poetics and semiotics,

former les quatre catégories de combinaisons suivantes1 :

a. transmission visuelle + signes verbaux (par ex. le générique, des lettres, des pancartes)

b. transmission visuelle + signes non-verbaux

c. transmission acoustique + signes verbaux (par ex. les dialogues)

d. transmission acoustique + signes non-verbaux (par ex. la musique d’accompagnement, le bruitage)

Tous ces signes peuvent être soumis à cinq types de transformation, empruntés à la rhétorique ancienne2 :

A. repetitio : le signe est reproduit sans aucune modification formelle

B. adiectio ou reproduction accompagnée par des ajouts ou des amplifications C. detractio : la reproduction est incomplète, il y a réduction

D. transmutatio : les composants sont reproduits mais dans un ordre textuel différent

E. substitutio : le signe est remplacé par un autre signe plus ou moins équivalent, appartenant à un code différent

Voici la typologie qui résulte de la combinaison des deux axes3 :

transmissi on (canal) Type de signe (code) repetiti o adiecti o detracti o transmutat io substituti o Visuel verbal non-verbal Acoustiqu e verbal non-verbal

Figure 1 : relations potentielles entre un film de départ et un film d’arrivée

1Dirk Delabastita, “Translation and Mass communication : film and TV translation as evidence of cultural

dynamics”, pp. 193-218 dans Babel, 1989, 35 (4), p. 199.

2José Lambert et Dirk Delabastita, 1996, “La traduction de textes audiovisuels : modes et enjeux culturels”, pp.

33-58 dans Yves Gambier, 1996, Les transferts linguistiques dans les médias audiovisuels, Lille, Presses universitaires du Septentrion, p. 39.

Suivant la logique de ce tableau, le sous-titrage pourrait être décrit comme suit :

signes verbaux visuels x adiectio=sous-titrage : repetitio de signes qui composent le film original, sauf adiectio de nouveaux signes visuels verbaux.

Cette conception semble pourtant quelque peu simpliste, si l’on tient compte de ce fait que les sous-titres, souvent compris dans le cadre de l’image originale, au lieu de se placer en dehors, la mutilent, partiellement, mais pas moins que le doublage le fait sur la bande-son, surtout lorsqu’ils deviennent encombrants. De ce point de vue, il semble par voie de conséquence plus approprié de décrire le sous-titrage comme un procédé de substitutio partielle de signes visuels et non-verbaux par des signes visuels verbaux, associé à la repetitio des signes constitutifs de l’original.

Ce modèle typologique, figuratif, montre non seulement l’interdépendance de différentes composantes liées à l’opération du sous-titrage, dont l’objet ne concerne pas simplement les dialogues, mais tous les signes verbaux1 que Jorge Díaz Cintas

avait numérotés dans sa définition, ainsi qu’à d’autres transformations qui mènent de la version originale au produit fini2, mais aussi l’ensemble des éléments interactifs

catégorisés en groupes de signes qui, délimités dans le cadre de l’image, constitue un tout, un texte multimodal, et qu’un sous-titreur fidèle se doit de prendre au sérieux pour comprendre le langage cinématographique et pour enfin se faire comprendre par le spectateur chinois qui ignore plus ou moins la langue française.

Quant au statut du sous-titrage en tant qu’une opération traduisante, on en parlera dans le chapitre suivant (voir 4.1).