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Chapitre IV La compréhension du langage cinématographique

4.4 La saisie du sens

4.4.3 La lecture des images

Un film, ce sont tout d’abord, et par essence, des images. Le cinéma est à l’image ce que la littérature est au verbe. Le caractère essentiel du cinéma est d’être

1Bien que les fautes de traduction ne fassent pas l’objet de notre étude, il est à noter qu’elles sont beaucoup plus

nombreuses sur l’écran que dans les œuvres littéraires traduites. Ceci est notamment dû au manque de temps (par exemple un film américain est demandé d’être presque simultanément projeté aux États-Unis et en Chine) et à peu de standardisation dans ce domaine.

image, plus précisément une suite d’images animées dont l’organisation logique et dialectique est un langage. De ce fait, pour comprendre le langage cinématographique, il faut au premier plan savoir “lire” les images, c’est-à-dire que le spectateur doit disposer de ce que M. Colin1 appelle “la compétence spectatorielle”.

Il apparaît que lire des images est beaucoup plus facile que lire des œuvres littéraires, puisque celles-ci sont régies par un ou plusieurs codes linguistiques (bilingues ou plurilingues) dont l’apprentissage plus ou moins systématique en ce qui concerne la grammaire, le vocabulaire est indispensable à leur appréhension. Par contre, l’image n’a ni l’un ni l’autre. Présentant le réel concret ainsi que ses relations spatiales telles qu’elles sont dans le monde sensible, l’image filmique, pour être compréhensible, ne demande apparemment aucun apprentissage, au moins systématique. S’il est besoin d’apprentissage, celui-ci se fait plutôt empiriquement dans la vie quotidienne. Il suffit d’avoir une certaine expérience accumulée au fil du temps2 pour pouvoir saisir le sens immédiat d’un film. Ce qui fait du cinéma un

divertissement presque démocratique.

Or, comme nous l’avons inlassablement souligné, l’art cinématographique, de par les implications qu’il détermine, consiste à signifier tout autre chose que ce qui est montré. Le cinéma se perçoit, et ne se pense pas, mais il donne à penser. L’image filmique n’existe pas pour elle-même, elle sert à signifier, à suggérer. On rejoint ici à J. Mitry :

Les éléments rapportés par la narration ne constituent que l’élément premier du film, son niveau élémentaire de compréhension. Il convient de saisir les implications qui découlent de l’ordonnancement de tels faits et de les saisir

instantanément3.

1M. Colin, “Interprétation sémantique et représentations spatiales dans la bande image”, cité par Teresa

Tomaswkiewicz, Les opérations linguistiques qui sous-tendent le processus de sous-titrage des films, Poznań, Adam Mickiewicz University press, 1993, p. 16.

2Selon une enquête menée en la matière, D. Machefer a pu conclure dans sa thèse que les enfants, qui sont aptes à

reconnaître et à identifier les images bien avant la maîtrise de la lecture, ne réussiraient à lire et à comprendre un film à la manière des adultes que lorsqu’ils auraient atteint au moins l’âge de 8 à 10 ans. (Voir Danielle Machefer, Deux aspects de traduction : sous-titrage et doublage, cité par Charles Soh Tatcha, Sens et doublage cinématographique, thèse de doctorat, Paris, École supérieure d’interprètes et de traducteurs, 1997, p. 325)

3Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma, Paris, Éditions du Cerf, 2001, p. 469. C’est l’auteur qui

Si certains spectateurs, par disposition mentale ou par manque de connaissances cinématographiques, s’en tiennent au niveau élémentaire de compréhension, le sous-titreur ne peut pas considérer le film qui fait l’objet de son travail, comme un pur divertissement. D’un côté, contrairement au spectateur ordinaire qui choisit les films qui l’intéressent, le sous-titreur n’a pas ou rarement le droit, lorsqu’il est en fonction, de choisir selon ses intérêts des films qu’il va traduire ; de l’autre côté, son travail exige de lui une attention très soutenue lui permettant d’aller au-delà de l’aspect descriptif des images pour cerner ce qui est symbolique et suggéré. Non seulement il doit savoir lire les images, mais aussi, et c’est le plus important, être capable de suivre la logique de la succession d’images, de décrypter ce qui est derrière les choses représentées, de les interpréter.

Pour ce faire, un apprentissage systématique et soutenu de la lecture des images est bien nécessaire. Quoique l’image filmique n’ait pas de règles grammaticales, syntaxiques, elle dispose de ses propres règles d’organisation régies par le code cinématographique. Ces règles-là font l’objet de bon nombre de recherches auxquelles les cinéastes, les théoriciens et les critiques (Ch. Metz, A. Bazin, J. Epstein, J. Mitry, etc.) ont consacré tant de travaux. À partir d’une approche interdisciplinaire, le traducteur-sous-titreur doit se servir consciemment et habilement de ces travaux précieux et avoir la volonté d’explorer d’autres domaines au lieu de s’en tenir à son “fief” assez restreint. Ce faisant, il pourrait mieux déchiffrer les relations fugitives mais bien étroites entre les images, la logique narrative assurée par leur ordonnance et ce qui est exprimé (implicite) à travers ce qui est montré (explicite).

La compétence spectatorielle sera bien renforcée par l’acquisition d’une base relativement solide des connaissances cinématographiques, complétées par la fréquentation des salles de cinéma. De même qu’un (bon) traducteur littéraire doit lire beaucoup de romans, de pièces de théâtre, etc., de même le sous-titreur doit lui aussi être un habitué des salles de cinéma. À force de voir des films, il pourra non seulement décrypter ce qui est signifié, mais la manière de signifier qui varie selon les œuvres, les genres et les auteurs.

Dans Belle d’Amma Asente1, on fait peindre Dido, nègre adoptée et sa cousine,

Elizabeth, blanche, dans un même tableau. Toutes les deux sont également et aussi décemment présentées. Si l’on sait associer, en les comparant, ce tableau à plusieurs autres précédents qui montrent tous des esclaves noirs s’agenouillant devant les Blancs, ce tableau-là, mis en gros plan, prend d’emblée un sens profond : abolition de l’esclavage et égalité raciale entre Blanc et Noir.

On peut trouver un exemple analogue dans le film Païsa (de Rossellini) à la fin duquel, après les fusillades dans les marais, une image montre un noyé qui descend le cours du fleuve. Après une lecture profonde des images qui précèdent, on s’aperçoit que ce n’est plus une victime isolée, ce sont les conséquences de la guerre qui se trouvent ramassées en une seule vision bouleversante, image de désolation, de silence et de mort, une mort dérisoire qu’entraîne le flot, indifférent.

L’intérêt de saisir toutes les nuances de sens assurées par l’enchaînement à la fois logique et chronologique des images consiste à mieux comprendre les dialogues pour les traduire. Le sens du dialogue dépend étroitement du contexte audio-visuel ou plutôt audio-logo-visuel. Le verbal devrait sans cesse s’associer au non-verbal. Néanmoins, aucune association ne peut se faire qu’à travers la mobilisation dynamique de ce que M. Lederer appelle les compléments cognitifs.