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Chapitre II Le cinéma français et sa traduction en Chine

2.3 Entre 1964 et 2003

Le 27 janvier 1964, le rétablissement des relations diplomatiques normales est réalisé entre la Chine et la France. Cela devrait permettre de tourner une nouvelle page entre les deux pays sur le plan des échanges cinématographiques qui avaient déjà une bonne base.

Néanmoins, les changements brutaux de la conjoncture nationale en Chine n’ont

1Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1949-1983 I), Paris, L’Harmattan, 1983, pp. 157-158.

pas permis un tel développement. L’ère des “cent fleurs”1 interrompue, vint la

tempête des critiques contre les “droitiers” révisionnistes capitalistes, principales cibles de la “rééducation” et de la persécution pendant la Révolution culturelle qui a mis quasiment en arrêt les échanges cinématographiques, y compris bien entendu avec la France, pays capitaliste. Entre 1966-1976, le studio de Changchun a doublé au total 50 films, dont un seul d’origine française2.

En 1972, la normalisation successive des relations de la Chine avec les États-Unis et le Japon donnait l’impression que la fin du cauchemar était proche. La reprise des échanges en matière du cinéma entre la Chine et les pays occidentaux commençait à se préciser, nonobstant timidement.

En janvier de l’année, plusieurs films chinois ont fait leur apparition dans les salles au Japon et en France. À Paris, trois3 productions chinoises La guerre des

souterrains, La construction du pont de Nankin sur le Yangzi et le ballet filmé Le détachement féminin rouge, adapté du livret de mai 1970, étaient inscrits au début de l’année au programme du studio Saint-Séverin sous la direction de Danielle Wasserman, tandis que les autorités chinoises étaient encore plus réservées vis-à-vis des productions françaises. Le film adapté du roman de Victor Hugo, Notre Dame de Paris, postsynchronisé par le studio de doublage de Shanghai en 1972, figure parmi l’un des rarissimes films français qui ont été publiquement projetés pendant cette période. Dès le 30 décembre 1977, le Renmin Ribao publie le programme des films qui seraient projetés pour le Nouvel An 1979, année du 30ème anniversaire de la

République populaire de Chine. Cinq films étaient à l’affiche4 : Notre-Dame de Paris,

Les temps modernes de Chaplin, le film britannique Carve her name with pride, le film indien Awaara et Combat à mort, une production anticapitaliste de Hong-Kong. Notre-Dame de Paris fit un véritable “tabac”, comme le révèle Régis Bergeron dans

1Mao Tsé-toung annonce le 2 mai 1956 devant le Conseil suprême d’État la nouvelle ligne en matière de création

littéraire et artistique : “Que s’épanouissent les cent fleurs”, et pour les sciences : “Que rivalisent les cent écoles”. La formule “les cent écoles” fait référence aux lointaines périodes des Annales du printemps et de l’automne (722-481 avant J.-C.) et des Royaumes combattants (403-221 avant J.-C.) qui virent apparaître et s’épanouir de nombreuses écoles philosophiques fondées sur la pensée de Confucius, Mo Ti, Lao Tze, Chuang Tze, etc.

2麻争旗. 影视译制概论. 北京:中国传媒大学出版社,2005, p. 283.

3Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1949-1983 III), Paris, L’Harmattan, 1993, p. 11. 4Idem, p. 143.

son ouvrage1.

Si Notre-Dame de Paris pouvait faire événement en Chine, c’est parce que toutes les forces avaient été amplement réunies pour produire l’une des meilleures œuvres doublées dans l’histoire : la traduction du scénario avait été assurée par WANG Daoqian ; le directeur du studio de doublage et traducteur renommé, CHEN Xuyi, avait réalisé la version chinoise ; l’actrice LI Zi doublait Gina Lollobrigida, incarnant Esmeralda et le talentueux QIU Yuefeng doublait l’alchimiste Frollo.

Cela fait, il n’est donc pas étonnant de voir l’enthousiasme du public chinois envers ce film lorsqu’il a été projeté dans les salles au début de l’année 1979, qui annonçait la fin du ravage de la Révolution et le bel avenir que prévoyait l’application de la politique de réforme et d’ouverture. Bergeron nous fait découvrir cet enthousiasme2 : Dans les quinze jours qui suivirent le jour de l’An, 700 séances ont

été organisées par les 60 cinémas de Pékin qui l’avaient affiché ; le Cinéma de la capitale, au centre de la ville, en donna neuf par jour (de 6 heures du matin à 23h 40), faisant chaque fois salle comble. Le succès fut identique à Shanghai où chaque jour de longues files d’attente s’étiraient devant l’entrée de plus de 40 salles pour acheter les billets de ce film.

Face aux grands succès de Notre-Dame de Paris en Chine, CHEN Xuyi déclarait :

On considère le film comme un ‘ambassadeur en boîte métallique’, qui est le moyen d’échanges le plus populaire. [...] Les échanges artistiques entre la Chine et la France ont une très bonne tradition, et nous espérons que nous pourrons échanger beaucoup plus de ‘ambassadeurs en boîte métallique’ en vue de contribuer au renforcement des échanges culturels entre la Chine et la France3.

En effet, vers la fin de la Révolution culturelle, les relations commerciales sur le plan du cinéma reprenaient progressivement entre la France et la Chine. Cette dernière tendait à octroyer le “droit de cité” à plus de films français, doublés pour la plupart, à la rencontre du public chinois aux cinémas, fixes ou “ambulants” grâce aux

1Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1949-1983 III), Paris, L’Harmattan, 1993, p. 166. 2Idem, pp. 166-167.

équipes mobiles de projection. En 1976, furent ainsi distribués en Chine plusieurs films français dont la majorité étaient doublés en chinois par le studio de doublage de Shanghai qui dépassa à partir des années 1970 le studio de Changchun tant sur le plan de la quantité qu’en matière de la qualité pour tenir le haut du pavé dans la production des films doublées (voir aussi 1.2.1). On en relève notamment Le comte de Monte-Cristo, Le serpent, Ali-Baba et les quarante voleurs, Le silencieux1.

Le 15 novembre 1977, une délégation de la société Gaumont se rendit en Chine pour y rester 17 jours durant. Elle était composée d’une part, de “personnalités Gaumont” : Nicolas Seydoux, PDG, Paul Lepercq, administrateur, Michel Gué, du département étranger de la société, et Alain Poiré, directeur de Gaumont International, et de l’autre part, de Gérard Oury, réalisateur de La grande vadrouille, et Pierre Billard, critique et historien du cinéma.

Ce voyage rejoignit sur plusieurs aspects celui d’il y a plus de vingt ans fait par UniFrance film à l’invitation de CAI Chusheng, sauf que le but commercial était plus affiché, surtout face à un cinéma français traversant une grave crise2. Pierre Billard l’a

confirmé dans Le film français : “Un marché vierge de 900 millions d’habitants : de quoi faire rêver, en pleine crise de fréquentation cinématographique!3

De fait, il s’avère que la visite de la délégation Gaumont a été loin d’être vaine, surtout à un moment du tournant historique où se trouvait la “nouvelle Chine” qui, décidée à rompre avec le “chaos” pendant plus de dix ans, ne faisait qu’entrer dans un nouveau cours de réforme et d’ouverture.

Dans les années suivantes, bon nombre de productions françaises furent achetées, à des prix il est vrai très modiques (voir 1.2.3) et doublées en chinois avec notamment

1Voir aussi Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1949-1983 III), Paris, L’Harmattan, 1993, p. 119 et 吴贻弓(主编). 上海电影志. 上海:上海社会科学院出版社,1999, p. 1091. Il est à signaler que parmi les cinq films doublés par le studio de doublage de Shanghai pour l’année 1976, il y en a quatre d’origine française.

2Dans la page très documentée que Le Monde lui consacrait le 29 janvier 1975, Louis Dandrel écrivait : “Le public

déserte les salles, la production diminue, la télévision le concurrence et les pouvoirs publics l’abondonnent.” Le 25 septembre 1976, l’assemblée générale de la société des réalisateurs de films (SRF) constatait que ce cinéma était “menacé tragiquement” (Cf. Note 24, Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1949-1983 III), Paris, L’Harmattan, 1993). En 1976, la fréquentation des salles (176 millions de spectateurs) ne représentait guère plus du tiers du chiffre de 1957. En 1978, pour la première fois depuis longtemps, cette fréquentation fut en hausse (+5.08% par rapport à 1977=178.5 millions), pour baisser à nouveau en 1979 (176.5 millions) puis en 1980 (173.7 millions) (Cf. Le Nouvel Économiste, 02/03/1981).

Les Misérables (1978), “la meilleure transposition cinématographique du roman de Victor Hugo”1, Zorro (1979) qui permet à Alain Delon de figurer parmi les acteurs

français les plus connus auprès des spectateurs chinois, et dans la foulée, plusieurs réalisations de Gérard Oury entre autres La grande vadrouille (1982), qui remporta un grand succès, pourtant beaucoup moins qu’en France2, à la faveur du duo talentueux

de Bourvil, reconnu par le public chinois grâce à son interprétation impressionnante au film Les trois mousquetaires, sorti en Chine dans les années 1950, et de Louis de Funès, grand maître en comédie, et L’as des as (1984).

Les frontières de la Chine s’ouvraient de plus en plus aux films français, de même que s’intensifiaient les échanges en la matière : par exemple en 1985, une rétrospective du cinéma français (soixante-dix films3, des années vingt aux années

quatre-vingt), organisée par la Cinémathèque de Pékin, se tint dans cinq villes chinoises. Quatre-vingts personnes dont Bernadette Lafont et Michel Deville participèrent alors à une causerie académique, l’accent étant mis sur la particularité du “cinéma d’auteur”, notion jusque-là inconnue du milieu cinématographique chinois.

Pour la seule année 1985, au moins six films français furent projetés sur les écrans chinois : La tulipe noire, Le bon plaisir, Le prix du danger, La crime, etc., dont la plupart étaient postsynchronisés en chinois par le studio de doublage de Shanghai4.

Les échanges sino-français relativement dynamiques dans le domaine du cinéma pallièrent, timidement soit-il, à la crise dont souffraient alors les salles françaises, désertées par le public. Dans Le Point, Pierre Billard révélait cette atmosphère morose en disant5 : “Le cinéma français, en faveur duquel le ministre de la Culture, Jack

Lang, mène une politique d’encouragement et d’aide illustrée par un train de mesures réformatrices en janvier précédent, affronte une rude crise de mutation.” Selon lui, en

1Charles Ford, Histoire du cinéma français contemporain, Paris, France-Empire, 1977, p. 275.

2La grande vadrouille réalisait le plus gros succès du box-office en France avec 17,5 millions d’entrées à sa sortie

jusqu’à l’arrivée de Titanic de James Cameron en 1997 (Cf. France culture, 13/07/2016). Aujourd’hui, il reste le cinquième film le plus vu dans l’Hexagone après Titanic (1997), Bienvenue chez les Ch’tis (2008), Intouchables (2011) et Blanche-Neige et les sept nains (1937) (Cf. https://www.senscritique.com/liste (page consultée le 27 juin 2017)).

3Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1984-1997), Aix-en-Provence, Institut de l’Image, 1997, p. 21.

4Voir aussi吴贻弓(主编). 上海电影志. 上海:上海社会科学院出版社,1999, p. 1092 et 李静. 新时期体制演 变中的电影进口研究:博士学位论文. 山东:山东大学,2010, p. 45.

5Le Point, 04/11/1985, cité par Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1984-1997), Aix-en-Provence, Institut de

1985, le nombre de spectateurs (autour de 170 millions) était près de retrouver son niveau le plus bas (celui de l’année 1967).

Les causes pour lesquelles les salles françaises connaissaient la crise étaient à peu près les mêmes que celles de la crise subie par les cinémas chinois (voir 1.2.3). À part cela, Jacques Siclier dans Le Monde, en signalait une autre1 : “le coût des

tournages entraîne un retour aux studios rejetés par la Nouvelle Vague.”

Or les voix officielles du gouvernement chinois soufflent alternativement le chaud et le froid vis-à-vis des films français. Au cours des derniers mois de 1986, un des plus notables vieillards de la nomenclatura à l’époque, WANG Zhen, revint à la charge contre “la libéralisation bourgeoise” illustrée en l’occurrence par ceux qu’il accusait de pratiquer un nihilisme national, de dénigrer la Chine et de favoriser une occidentalisation tous azimuts. Dès le mois de décembre, des milliers d’étudiants sont descendus dans les rues de Shanghai, Hefei, Wuhan, etc. en scandant le mot “Liberté”. Par contrecoup, l’année 1987 débuta par le lancement d’une nouvelle vigoureuse campagne contre le “libéralisme bourgeois”. Plusieurs personnalités du Parti furent limogées. Au regard de ces instabilités et incertitudes politiques, on pouvait s’inquiéter d’un retour en arrière, bien que peu possible. Dans cette atmosphère regagnée de tension, l’importation des films français en Chine pouvait en pâtir. En effet, on n’en a trouvé pour l’année 1986 que La 7ème cible, dont la version chinoise était réalisée par le studio de doublage de Shanghai.

Quelles que soient les raisons pour lesquelles le nombre des films français sortis chaque année sur les écrans chinois reste fluctuant, la qualité en matière de leur version chinoise, doublée ou sous-titrée, ne cesse de s’améliorer. En 1984, La raison d’État, traduit par XU Zhiren et postsynchronisé par le studio de doublage de Shanghai l’année dernière, décrocha le prix des meilleurs films doublés, décerné par le ministère de la Culture ; l’année suivante, c’était La tulipe noire qui reçut cet honneur, accordé par le ministère de la Radio, du Cinéma et de la télévision, qui prendrait désormais le Bureau du cinéma sous sa tutelle ; en 1989, Coup de tête de

1Le Monde, 18/08/1985, cité par Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1984-1997), Aix-en-Provence, Institut de

Jean-Jacques Annaud, fut sélectionné pour obtenir ce même prix.

Dans les années 1990, qui annoncaient la fin de la guerre froide, une nouvelle impulsion aux réformes et la relance de l’ouverture par les autorités chinoises allaient donner aux films français l’opportunité d’accéder à des millions de spectateurs dans l’Empire du Milieu. On a trouvé pour les deux années 1990 et 1991, au total une quinzaine de productions françaises diffusées en Chine. On en relève entre autres La zizanie, À gauche en sortant l’ascenseur, Le professionnel, Roselyne et les lions, L’aile ou la cuisse, etc., dont la plupart étaient doublés par le studio de doublage de Shanghai1.

Dès le printemps 1992, Shanghai accueillit le Festival international de télévision qui fut l’occasion pour Catherine Deneuve et XIE Jin, réalisateur du Détachement féminin rouge et de La Guerre de l’Opium, de se rencontrer.

En 1993, du 7 au 14 octobre, le premier Festival international du film de Shanghai (SIFF) a eu lieu dans la plus grande des salles de projection (1 200 sièges) du centre cinématographique de la ville, achevé à la mi-décembre 1991. La création du festival a fait événement. Ayant une réputation croissante au fil du temps, il est devenu, avec Tokyo, le seul festival asiatique classé dans la “catégorie A” par la Fédération internationale des associations de producteurs de films (FIAPF), au côté de Sundance, Venise ou encore Berlin2. Son but était de prime abord commercial : “offrir

l’occasion de présenter les nouveaux films chinois aux distributeurs, aux médias et au public, et surtout de vendre et d’acheter.”3 “Établir la liaison avec le circuit

international”4, tel fut son slogan. C’est aussi une grande occasion pour les

producteurs et distributeurs français de faire la promotion d’une variété de leurs films en les vendant le plus que possible en Chine. Selon la source d’UniFrance film, près de 200 films dont une vingtaine de films français et coproductions sont présentés

1Voir aussi吴贻弓(主编), 上海电影志. 上海:上海社会科学院出版社,1999, p. 1093 et 李静. 新时期体制演 变中的电影进口研究:博士学位论文. 山东:山东大学,2010, p. 45.

2http://www.lejournalinternational.fr/Festival-international-du-film-de-Shanghai_a890.html (page consultée le 28

juin 2017)

3Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1984-1997), Aix-en-Provence, Institut de l’Image, 1997, p. 225. 4Idem.

chaque année au Festival1. Ce dernier a eu lieu tous les deux ans jusqu’en 2001. En

2002, fut organisée la sixième édition, suivie en 2004 de la septième, et une fois par an dans le futur.