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Chapitre II Le cinéma français et sa traduction en Chine

2.2 De 1949 à 1963

Tout au début de la fondation de la Chine nouvelle, il y avait très peu de place à laisser aux productions françaises sur les écrans chinois. D’un côté, les films soviétiques étaient fortement privilégiés grâce à l’alliance établie entre l’U.R.S.S., grand frère et la Chine qui, baignée dans une ambiance de critiques contre les impérialistes capitalistes, préféraient les productions étrangères d’origine des pays partageant la même idéologie qu’elle ; de l’autre côté, point clé, la France ne reconnaissait pas alors la République populaire de Chine et n’entretenait des relations diplomatiques qu’avec le régime de Tchang Kaï-Chek, enfermé dans son réduit de Taïwan.

1李静. 新时期体制演变中的电影进口研究:博士学位论文. 山东:山东大学,2010, p. 23.

2周铁东. 新中国电影对外交流. 电影艺术, 2002 (1), p. 113.

Malgré tout, des échanges entre la Chine et la France sur le plan cinématographique se furent faits sous la poussée des organisations, telles que UniFrance film, le Syndicat français des producteurs et exportateurs de films, ayant pour vocation de promouvoir le film français à l’international, et des cinéastes qui s’intéressent au cinéma chinois pour les uns (André Bazin, Georges Sadoul, Régis Bergeron, etc.) et veulent faire sortir celui-ci dans le monde extérieur pour les autres (SITU Huimin, CAI Chusheng, etc.).

Ainsi, pour la première fois, une délégation chinoise, composée de deux vétérans, SITU Huimin, vieux routier des studios de Hollywood, Hong-Kong et Shanghai, et CAI Chusheng, réalisateur de Chanson de pêcheur, “premier film chinois à recevoir une récompense dans un festival international (prix d’honneur du Festival de Moscou de 1935)1” et alors membre de l’Assemblée nationale populaire, arriva en 1956 au

Festival de Cannes, hôte d’UniFrance film et du Syndicat français des producteurs et exportateurs de films. Bien qu’à l’époque, les productions chinoises n’aient pas encore le droit de s’y présenter, la venue de cinéastes chinois au Festival de Cannes contribua à susciter de l’intérêt auprès des Français, et en donnant le signe d’ouverture, elle ouvra réciproquement une voie pour les films français qui allaient progressivement et pourtant modérément à la rencontre du public chinois. Ceci était largement favorisé par la vulgarisation de la nouvelle technique du doublage dans un nombre croissant des studios.

Entretemps, CAI Chusheng accorda à Régis Bergeron, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages au sujet de l’histoire du cinéma chinois, un entretien publié le 20 juin 1956 dans L’Humanité. Dans cet entretien, CAI Chusheng fit un bilan général pour les années 1949-1955 en communiquant des chiffres de production : “[...] nous avons projeté dans le même temps 242 films étrangers doublés en langue chinoise et notre but-nous commencerons dès cette année-est de diffuser également largement les films français2”. Il est à préciser que jusqu’au moment où cet entretien eut lieu, la

1Nicolas Idier (éd.), Shanghai : Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, coll.

« Bouquins », 2010, p. 1225.

Chine venait d’acheter Fanfan la tulipe et Sans laisser d’adresse. Ces deux films, doublés par le studio de doublage de Shanghai pour sortir en 1956, figurent depuis la fondation de la Chine nouvelle en 1949, parmi les premiers films français destinés à être projetés sur les écrans chinois.

D’ailleurs, le délégué CAI exposa en même temps les projets pour l’année 1956 : [...] doublage de 68 films étrangers-dont des films français, sans pouvoir toutefois en indiquer le nombre ni les titres1.

Il semble que le chemin menant à un grand marché cinématographique à haut potentiel commençait à se dégager devant les productions françaises, surtout lorsque CAI Chusheng, avant terminer son voyage en France, confia à Bergeron : “Nous espérons que, si cela est possible, nous organiserons cette année une semaine du cinéma français et que nous inviterons à cette occasion les cinéastes français à visiter notre pays.”2

C’était une promesse bien tenue, puisque dès le mois d’octobre de la même année, Gérard Philipe, incomparable interprète du Cid, Jacques Flaud et des dirigeants d’UniFrance film se rendirent en Chine pour cette semaine durant laquelle 3 000 000 de spectateurs applaudirent les films français sélectionnés3.

Ces échanges bilatéraux assez dynamiques prévoyaient et expliquaient en quelque sorte la projection d’un certain nombre de films français sur les écrans chinois dans les deux années qui viennent malgré le contexte politique peu favorable à ce genre d’échanges. En 1957, Le rouge et le noir (deux parties), doublé par le studio de doublage de Shanghai, remporta un grand succès quand il fut largement projeté dans les salles du pays ; l’interprétation magistrale du rôle de Julien Sorel par Gérard Philipe, déjà familier aux spectateurs chinois grâce à son admirable incarnation de Fanfan dans Fanfan la tulipe, sorti en Chine l’année précédente, assura dans un premier temps la popularité des films français auprès d’un public désireux d’en connaître plus sur le monde extérieur. En 1958, l’autre production française Les trois mousquetaires, dont le doublage était également réalisé par le studio de doublage de

1Régis Bergeron, Le cinéma chinois (1949-1983 I), Paris, L’Harmattan, 1983, p. 155. 2Idem.

Shanghai, allait à la conquête du public chinois, séduit mortellement par la cocasserie de Bourvil, doublé par le talentueux QIU Yuefeng, prêtant sa voix à de nombreux acteurs dans les films étrangers importés en Chine.

À part les films susmentionnés qui firent un grand fracas dans l’Empire du Milieu, d’autres tels que Jeux interdits, Si tous les gars du monde, Tamango, etc. furent tous projetés publiquement avant 1964, dans les salles, et aussi à travers les “cinémas ambulants” dont le nombre avait impressionné Gérard Philipe qui racontait comment, dans un village perdu, une jeune fille qui avait vu des films français grâce à l’une des équipes de projection et l’avait reconnu, avait alerté toute la population aussitôt massée sur son passage.1

Le 17 décembre 19582, fut sorti en France Le cerf-volant du bout du monde,

première coproduction franco-chinoise, fruit de la bonne volonté des deux cinéastes français et chinois Roger Pigaut et WANG Kia-yi, par l’intermédiaire de Joris Ivens, ce qui fit avancer un grand pas dans les relations cinématographiques entre les deux pays et laissa plus de possibilités aux films français de faire le voyage en Chine.

Or, si plusieurs films français furent achetés par la Chine, les échanges cinématographiques entre ces deux pays restaient toujours problématiques à l’époque. Le fait que la Chine n’avait pas encore de relations diplomatiques avec la France constituait évidemment un grand obstacle.