• Aucun résultat trouvé

L’adaptation comme procédé de traduction

Chapitre IV La compréhension du langage cinématographique

4.1 Le sous-titrage cinématographique : une opération traduisante

4.1.2 L’adaptation comme procédé de traduction

À travers la définition conçue par Bastin, on voit qu’une ligne de démarcation entre la traduction et l’adaptation est établie. Quoique plusieurs surfaces de

1Georges Bastin, 1993, “La notion d’adaptation en traduction”, pp. 473-478 dans Meta : Journal des

traducteurs,1993, 38 (3), p. 478.

2Idem.

3Georges Bastin, La notion d’adaptation en traduction, thèse de doctorat, Paris, École supérieure d’interprètes et

recouvrement montrant la coïncidence de ces deux opérations soient cernées (le processus, les modalités, les conditions et les contraintes), une double aire de différenciation est mise en œuvre, à savoir l’adaptation globale, restant “fidèle”, non pas au vouloir-dire de l’auteur, objet de la traduction, mais à sa visée qui, objet de l’adaptation, est définie comme “l’objectif global poursuivi par l’auteur1”.

Dans cette optique, l’adaptation ponctuelle ne fait plus partie de l’adaptation proprement parler et elle regagne ainsi sa place légitime dans le cadre de la traduction, en tant qu’un des procédés de celle-ci.

Ce rétablissement du statut de l’adaptation (ponctuelle) serait partagé par J.-P. Vinay et J. Darbelnet qui indiquent, dans leur fameuse Stylistique comparée du français et de l’anglais (1958), sept procédés de la traduction, dont l’adaptation2.

Selon eux, cette dernière s’applique à “des cas où la situation à laquelle le message se réfère n’existe pas dans LA, et doit être créée par rapport à une autre situation, que l’on juge équivalente. C’est donc ici un cas particulier de l’équivalence, une équivalence de situations3”. Pour mieux s’expliquer, ils ont cité un exemple d’un bon

père anglais qui, rentrant chez lui après un long voyage, “(he) kissed his daughter on the mouth”. Cet énoncé aurait été traduit littéralement en français par “il embrassa sa fille sur la bouche”. Comme cet élément culturel anglais n’est pas courant en France, une traduction littérale ou mot à mot risque de rendre le lecteur-récepteur français confus ou perplexe. Dans ce cas-là, il vaut mieux adopter une démarche adaptative en traduisant cet énoncé par “il serra (tendrement) sa fille dans ses bras” par exemple.

Un autre exemple peut se tirer du transfert d’une exclamation que l’on entend souvent au film français : “oh mon Dieu!”. On peut aisément la traduire en anglais par “oh my God” sans se soucier d’autre chose que des servitudes linguistiques, car “Dieu” ou “God” est une donnée culturelle commune dans la société occidentale. Mais lorsqu’il s’agit de traduire cette exclamation française vers une langue comme le

1Georges Bastin, 1993, “La notion d’adaptation en traduction”, pp. 473-478 dans Meta : Journal des

traducteurs,1993, 38 (3), p. 477.

2Les six autres, correspondant à des difficultés d’ordre croissant, sont l’emprunt, le calque, la traduction littérale, la

transposition, la modulation et l’équivalence (voir J.-P. Vinay et J. Darbelnet, Stylistique comparée du français et de l’anglais, Paris, Didier, 1958, pp. 46-55).

chinois, c’est tout autre chose que de transcoder, car il n’existe pas dans la société chinoise un tel élément religieux. Dans ce cas-là, on tend à adapter ponctuellement cette expression française aux habitudes de la langue chinoise en la rendant par disons “我 的 天 啊” ou “我 的 老 天 爷”, par l’utilisation d’un concept “naturel” et “le plus

proche” de “Dieu”.

Certains “puristes”, harcelés par la traduction littérale, protesteraient contre l’adoption d’une démarche adaptative “inutile”. Bien entendu, on peut toujours choisir de traduire “oh mon Dieu” par “( 我 的 ) 上 帝 啊” ou “he kissed his daughter on the

mouth” par “il embrassa sa fille sur la bouche”, puisqu’au fond, la traduction est, comme le disait Jiří Levý, “as a decision process”1, surtout lorsque le traducteur veut

introduire de la couleur locale.

Il est vrai que l’adaptation ponctuelle n’est pas obligatoire. Bastin avait bien signalé qu’elle est “facultative, car d’une portée limitée sur l’effet de sens global” (voir 4.1.1). Mais comme le rappellent Nida et Taber, “chaque langue a son génie”2

et chaque langue reflète explicitement ou implicitement les mentalités propres à son peuple et les modalités culturelles. Pour paraphraser Nida, chaque langue-culture a son génie. De ce point de vue, force nous est d’admettre que les recouvrements absolus des aires conceptuelles des signes entre deux langues ne sont que des coïncidences, même lorsqu’elles sont issues d’une même famille.

On pourrait peut-être se permettre un certain degré de transposition mécanique par souci de “l’authenticité” de la langue-source ou de l’introduction de l’exotisme dans la langue-cible, à condition que cela n’affecte pas l’effet de sens global. Mais comme il existe rarement des correspondances préétablies entre deux langues, le non-respect de la langue-cible ne produirait que le psittacisme ou du galimatias qui n’a de nom dans aucune langue. Des textes nés de la conversion mécanique ne sont pas lisibles pour le récepteur et l’équilibre communicationnel préexistant sera rompu. Le traducteur ne pourrait pas dans ce cas-là, remplir sa fonction de médiateur, sa raison d’être.

1JiříLevý, “Translation as a decision process”, dans Scientia Traductionis n°11, 2012, pp. 72-96.

Dans cette optique, l’adaptation ponctuelle n’est donc plus “facultative”, et elle devient même un procédé nécessaire, en tant qu’une “partie intégrante de l’activité traduisante1”. Suivant cette voie royale, on peut pousser le raisonnement jusqu’à

l’extrême. Si traduire n’est pas inévitablement trahir, comme le maudit le fameux aphorisme traduttore, traditore, c’est tout d’abord, et par essence, “adapter”, puisqu’au moment de cette opération, il s’agit toujours de deux systèmes linguistiques, dont l’un est exprimé et figé, et l’autre, encore potentiel, est destiné à être adaptable et adapté.

Vinay et Darbelnet soulignent, eux aussi, l’importance décisive de ce procédé traductionnel :

Le refus de procéder à des adaptations qui portent non seulement sur les structures, mais aussi sur le déroulement des idées et leur présentation matérielle dans le paragraphe, se trahit dans un texte parfaitement correct par une tonalité indéfinissable, quelque chose de faux qui décèle invariablement une traduction2.