• Aucun résultat trouvé

La politique institutionnelle comme appareil de gestion et de contrôle

5. Fins et moyens : penser, lutter et vivre de façon alternative

5.3. Le rapport des militant.es queers à la politique institutionnelle

5.3.1. La politique institutionnelle comme appareil de gestion et de contrôle

entrevues, la politique institutionnelle ne constitue pas un lieu de changement profond, mais bien plutôt un lieu de contrôle (parmi d'autres) des systèmes hétérosexiste, cisnormatif, raciste, sexiste; bref, un lieu où les oppressions et les rapports de domination se reproduisent et se consolident. Sztulwark et Benasayag (2003), décrivent d'une façon similaire, la politique institutionnelle et les gouvernements élus démocratiquement. Selon les deux auteurs, la politique institutionnelle n'est qu'un appareil de gestion et de contrôle. Les gouvernements ont donc pour seul objectif de gérer les modes d'organisation et de distribution. Cette gestion est devenue tellement présente et importante dans le système capitaliste qu'elle est perçue comme le seul lieu possible de pouvoir. Les deux auteurs constatent que la gestion est tellement centrale qu'elle finit même par gouverner les corps (30; 33-34; 39-40). En revanche, ils affirment que l'idée selon laquelle la politique institutionnelle serait le seul lieu de pouvoir est un leurre : on ne change pas les choses en prenant le pouvoir. La politique, qui est « la vie elle-même » (2003, 32), serait en dehors de cet appareil statique de gestion. Sybile, dans une perspective similaire, affirme que les lieux de pouvoir sont multiples et qu'il ne faut pas les négliger.

« La culture est politique. Tout est politique. Ce n'est pas seulement l'État et le gouvernement qui font la politique. Le fait de décider d'acheter du café bio équitable c'est politique, de décider de recycler. C'est un geste politique quand tu décides de faire du compost ou de troquer des choses. Ce sont des choix de vie qui ont un fond politique. » (Sybile).

Amélia n'hésite pas à dire que la politique institutionnelle est une machine qui n'a pas vocation à susciter de profonds changements, car elle est un appareil de régulation. Elle dit :

« … je crois que l'intentionnalité est un leurre en politique. Pour moi le politique est un système auto-régulé, comme le libre marché. Les mêmes décisions arrivent à peu près en même temps partout. Et pour moi c'est une caractéristique du capitalisme plus que d'autres régimes politiques. Trop rentrer dans le jeu politique, c'est contribuer à l'idéologie qui le maintient … » (Amélia).

À propos du contrôle qu'exercent les institutions qui sont façonnées par la politique institutionnelle, Quentin affirme qu'il y a

« … une méfiance envers les institutions de contrôle, qui finalement viennent façonner jusqu'à nos corps. On le voit avec les personnes intersexes, ça vient dès la naissance. [Les personnes intersexes sont la plupart du temps mutilées à la naissance pour que leurs organes génitaux deviennent sans ambiguïté par rapport aux critères qui permettent d'attribuer un sexe masculin ou féminin à l'enfant, et donc un genre.] Mais on peut poser la question aussi sur les personnes trans aussi, forcer leur stérilisation pour avoir les papiers d'identité nécessaires. […] Donc, ça joue dans la façon dont les communautés veulent éviter cette répression qui est faite sur leur identité. (Quentin).

Ce que Quentin dit ici, ce n'est pas que le gouvernement québécois est toujours directement responsable du contrôle des corps en créant volontairement des lois (même si c'était le cas pour la stérilisation des personnes trans qui souhaitaient changer leur mention de sexe à l'état civil), mais qu'il le fait également en étant indifférent face à certaines réalités, comme celle des personnes intersexes par exemple, qui ne sont pas protégées contre des médecins convaincu.es qu'un enfant doit avoir un sexe/genre clairement identifiable et attribuable. Ce contrôle, ressenti par les personnes qui en sont victimes parce qu'elles ne cadrent pas dans la norme, ne les incite certainement pas à collaborer avec le gouvernement et la scène politique institutionnelle plus généralement.

Alex voit également la politique institutionnelle et sa capacité à promulguer des lois comme un appareil de contrôle plus que de changement.

« Les entités politiques ont des mesures en place pour permettre aux gens de s'exprimer officiellement. Oui, on peut aller dans la rue, mais il faut donner l'itinéraire, par exemple. Oui, on est dans une société où tout le monde peut s'exprimer, mais dans certains paramètres. Et je trouve que beaucoup de groupes queers, ou de personnes militantes queers disent qu'on ne peut pas affaiblir cette structure en utilisant les mécanismes de cette même structure. » (Alex).

Les militant.es queers, selon Alex, cherchent à se dégager de cette logique de gestion et de contrôle pour reprendre du pouvoir sur leur vie et pour montrer que d'autres avenues sont possibles.

Les militant.es queers souhaitent, dans leurs activités militantes, dévoiler cette capacité de contrôle de la scène politique institutionnelle et la critiquer afin de montrer que la vision

« Le mouvement est souvent vu en contradiction, parce que le mouvement anarcho-queer est souvent vu, donc... contre l'État. Ben disons, les anarchistes sont vus contre l'État donc une tendance anarcho-queer serait contre l'État, la brutalité policière, contre les institutions comme ça qui régissent la vie sans prendre en compte les réalités de ces gens-là. Surtout parce que ces États-là ont souvent policé les identités en voulant contrôler, en jouant sur des paniques morales, en jouant sur... C'est pour ça que je pense que le queer se revendique beaucoup de ces histoires là, de revoir comment les choses se sont passées plutôt que de dire « ah les choses ont changé, c'est donc ben merveilleux », mais plutôt se demander si les choses ont vraiment changé. » (Quentin).

Il ajoute que les démocraties libérales produisent une déresponsabilisation des populations face à leurs vies, à la façon de Sztulwark et Benasayag (2003) qui parlent d'une « séparation de soi » (33-34),

« … ce qui fait qu'on perd du pouvoir d'agir sur nos vies parce qu'on est toujours en train de déléguer ce pouvoir-là à d'autres personnes qui prennent les décisions souvent à notre désavantage. Je pense qu'il y a beaucoup de ça qui se retrouve dans le queer, que la norme ne sera jamais capable d'englober l'entièreté des identités, ne sera jamais capable de comprendre comment quelqu'un qui se sent en dehors de la norme homme/femme par exemple, peut se retrouver. » (Quentin).

La position de la plupart des participant.es par rapport à la politique institutionnelle et au façonnement de l'État est, en définitive, proche de la pensée anarchiste :

« C'est l'idée que ce n'est pas l'État qui va faire du changement social, puis que c'est vraiment par la mobilisation, par les manières de s'organiser que le changement va arriver. Puis que l'État en général fait surtout de la répression, veut chercher à normaliser, à contrôler, veut chercher à exploiter même, dans certains cas, les identités. […] Juste en observant la façon dont la justice est faite en protégeant le droit privé, cela fait en sorte de toujours protéger les capitaux et non pas les populations, ou du moins, de favoriser la propriété privée au détriment du bien collectif. (Quentin).

À la façon des anarchistes qui considèrent qu'un État ne peut être vecteur de changement et que ce dernier vise avant tout à protéger les dominant.es, les participant.es ne se déclarent en revanche pas toutes et tous anarchistes.

5.3.2. La politique institutionnelle participe à un système injuste qui favorise