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3. Cadres théorique et d'analyse

3.1. Le cadre théorique : le processus d'identité collective

La littérature sur les mouvements sociaux en sociologie se renouvelle à partir des années 1970, suite à l'émergence de mouvements contestataires comme le féminisme et l'écologisme, qui apparaissent dans les années 1960. Selon Neveu (2005), ces mouvements diffèrent des mouvements ouvriers et syndicalistes partisans en étant moins centralisés, plus concentrés sur des enjeux réduits et en mettant en place des formes créatives de protestation. Le rapport avec les milieux politiques est conflictuel, puisque ces mouvements remettent en cause les formes de contrôle social exercées par les institutions en revendiquant une plus grande autonomie. Également, toujours selon Neveu (2005), ces mouvements sociaux ne réfèrent pas à une identité de classe, comme le font les mouvements ouvriers et syndicaux, mais regroupent une plus grande diversité d'identités (61-62). Dans la littérature sociologique, ces mouvements sont nommés les « nouveaux mouvements sociaux ».

Dans ce contexte, plusieurs sociologues s'emploient à comprendre ces nouveaux mouvements sociaux qui témoignent d'une transformation des sociétés industrielles en sociétés post-industrielles. Selon Neveu (2005), Touraine s'éloigne de la théorie de « mobilisation des ressources », qui s'intéresse principalement aux revendications matérielles des mouvements, pour s'intéresser à l'idéologie et la solidarité au sein des nouveaux mouvements sociaux, ainsi qu'à la définition de leurs adversaires (63), et cherche également à mettre les acteurs et actrices

et leurs motivations (68). Alors que Touraine cherche à proposer une théorie permettant de comprendre les transformations dans les sociétés post-industrielles par le biais de l'analyse des nouveaux mouvements sociaux, d'autres auteurs se concentrent plus particulièrement sur une théorie de l'action et de l'identité collective qui aiderait à mieux comprendre ces mouvements.

Selon Voegtli (2009), l'identité collective est utilisée de plusieurs façons dans la littérature. Elle peut être une catégorie de la pratique, autrement dit, elle « est utilisée par les individus en vue de construire un mouvement » (292). Elle peut aussi, toujours selon Voegtli, être une catégorie scientifique. Dans ce cas, elle sert à « mieux comprendre ce qui fait tenir ensemble un mouvement, les liens qui peuvent s’y tisser, les solidarités qui peuvent en émerger … » (292), dans la perspective d'un processus. Taylor et Whittier (1992), Friedman et McAdam (1992) et Melucci (1996) font partie des sociologues qui étudient l'identité collective en tant que catégorie scientifique. Selon Melucci (1996), bien que les autres auteurs s'intéressent à l'identité collective comme processus, leurs théories tendent encore à penser l'identité collective d'un mouvement comme une essence (70). Selon lui, les auteurs qui se sont intéressés à ce concept l'ont bâti selon un modèle dualiste et figé : soit le concept réfère à une analyse structurelle qui est « une précondition pour l'action collective », ou bien il réfère à la motivation des individus (69, traduction libre). Pour lui, l'analyse de l'identité collective d'un mouvement doit être comprise comme un processus qui permet de déterminer comment un collectif devient un collectif en combinant les deux acceptions du concept (43). C'est parce que l'identité collective est le point d'arrivée plutôt que le point de départ dans l'analyse d'un mouvement, selon Melucci, que j'ai choisi de retenir son cadre théorique.

Melucci (1996) définit l'identité collective comme un processus qui comprend trois axes définitionnels : le premier axe correspond aux définitions cognitives (cognitive definitions). Il s'agit des champs d'action, des fins recherchées et des moyens mis en œuvre pour l'atteinte des fins. Ces trois éléments sont définis par un langage partagé, des rituels et pratiques, ainsi qu'un calcul entre les moyens et les fins (70). Le deuxième axe concerne les relations actives (active relationships), qui sont la façon dont les acteurs et actrices interagissent, s'organisent, s’influencent et prennent des décisions au sein du mouvement. Cet axe comprend, en bref, le mode d'organisation et de communication (71). Le troisième axe est

celui de l'engagement émotionnel. Par manque de données recueillies relatives aux émotions, je n'utilise pas ce troisième axe dans cette recherche.

Les axes définitionnels précédemment présentés ne suffisent pas pour analyser l'identité collective d'un mouvement d'une façon dynamique, en faisant ressortir le processus à l’œuvre. Ainsi, Melucci (1985) propose trois catégories d'analyses internes qui se placent sur des continuums : la première, le conflit, est « une relation entre des acteurs opposés qui se battent pour les mêmes ressources, auxquelles les deux bords accordent de la valeur. » (794, traduction libre). Un mouvement fait émerger un conflit d'intensité variable. La deuxième catégorie est la solidarité. Cette catégorie constitue « la capacité d'un acteur de partager une identité collective, cette dernière étant la capacité de reconnaître autrui et d'être reconnu par les autres comme faisant partie d'un même système de relations sociales. » (794-795, traduction libre). Un mouvement se fonde sur une solidarité entre les membres. La troisième catégorie correspond aux limites du système, c'est-à-dire, aux différentes variations tolérées par la structure dominante existante. Ces limites sont repoussées par un mouvement jusqu'à la rupture du système (795).

Les premiers axes définitionnels de Melucci vont former mes trois chapitres de résultat : le premier chapitre visera à comprendre comment les champs d'action du mouvement queer montréalais participent à la formation de l'identité collective du mouvement. Le deuxième chapitre s'intéressera aux moyens utilisés et fins visées par le mouvement et la façon dont ils influencent le processus d'identité collective. Le troisième chapitre, enfin, cherchera à analyser comment le mode d'organisation du mouvement fait partie intégrante de la construction toujours en cours du mouvement. Au sein de ces chapitres, les trois catégories d'analyse seront mobilisées pour rendre compte du dynamisme du processus et montrer les tensions qui s'y nichent.