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6. Mode d'organisation

6.2. Structure organique, hiérarchies plates, accessibilité et autonomie collective : faciliter

6.2.3. L'autonomie collective

La précédente section me mène à montrer que la structure organique, les hiérarchies plates et l'accessibilité prennent d'autant plus un sens dans la perspective de l'autonomie collective. Aucun.e participant.e n'a nommé l'importance du principe d'autonomie collective dans l'organisation, mais plusieurs discussions avec notamment Quentin, Dimitri, Amélia et Joshua me laissent penser que ce principe est pertinent pour comprendre ce qui relie les militant.es queers dans l'organisation d'actions et d'activités, ou dans la formation d'un groupe. Je vais d'abord définir brièvement l'autonomie collective, pour montrer par la suite, grâce encore aux entrevues de Quentin et Joshua, les façons dont elle peut se décliner au travers du mode d'organisation.

Selon Sarrasin, Kruzynski, Jeppesen et Breton (2012), l'autonomie collective :

« … telle qu’envisagée par les antiautoritaires prend forme dans un processus basé sur l’entraide et orienté par des valeurs […]. Dans cette optique, […] il s’agit d’encourager les individus se reconnaissant une appartenance commune à penser et à agir collectivement, sans intervention ni besoin de reconnaissance extérieure, à partir d’un ensemble de valeurs et de principes fédérateurs. » ( 155).

« sans tête sans chef, […] une foule qui se réunit de manière spontanée parce qu'il s'est passé quelque chose dans les nouvelles, sans qu'il y ait une institution qui ait cautionné nécessairement le mouvement. Je pense que les anarchistes actuellement vont beaucoup réutiliser ces méthodes ou ces façons de penser. Je pense que le queer va aussi … s'en inspirer. Penser que des fois c'est des petits groupes plus qu'une masse unitaire qui va réussir à faire changer les choses. » (Quentin).

Ainsi, l'organisation d'une action, selon Quentin, nécessite peu de moyens et certainement pas l'approbation ou l'encouragement des institutions formelles. Il compare cette façon de s'organiser à celle du milieu communautaire, en soulignant que ce dernier est trop souvent dépendant d'institutions formelles qui imposent des conditions ou des contraintes :

« Si je fais le pont avec le mouvement communautaire, on voit de plus en plus naître des grandes concertations, mais des concertations où t'as aussi des fois les bailleurs de fonds qui sont là. Donc, qu'est-ce que ça fait quand ton bailleur de fonds t'impose, si on peut dire, le consensus? Toi t'as pas le choix d'accepter les orientations parce que tu veux avoir le financement. Donc souvent, ces grands discours : « Il faut que ce soit bien compris, qu'on ait l'opinion publique de notre bord », ça participe souvent à cacher les structures de pouvoir qui sont en place, puis [ça ne permet pas de savoir] qui a vraiment le contrôle. » (Quentin).

Pour Quentin, il est essentiel que les militant.es queers soient en contrôle par rapport à leurs diverses initiatives. Selon Melucci (1996), c'est d'ailleurs un témoin de la construction d'une identité collective (72). L'intrusion d'institutions formelles viendrait dénaturer les initiatives et les actions qui portent justement la plupart du temps sur une dénonciation ou une critique de ces institutions. Selon Sarrasin, Kruzynski, Jeppesen et Breton (2012), « [l']objectif de l’autonomie collective s’inscrit dans une stratégie à doubles volets visant d’une part à déstabiliser l’ordre établi et, d’autre part, à construire dans l’immédiat de véritables projets d’ordre économique, politique, social et culturel sur la base des valeurs libertaires. » (155). Déstabiliser l'ordre établi passe donc par le refus de reproduire ses mécanismes et de suivre ses lignes directrices, jusque dans les façons de s'organiser.

Pour Quentin, il est très important de ne pas s'organiser selon les règles des structures dominantes parce que ce serait leur donner du pouvoir et reconnaître qu'aucune action militante ne peut exister en dehors de celles-ci. Il explique que même si les actions, et particulièrement les actions directes, ne sont pas toujours comprises par les populations qui en sont témoins, cela n'empêche en rien que ces actions soient pertinentes pour la lutte.

« Considérant les moyens que l'État […], que les grandes structures et institutions ont pour normaliser, qu'est-ce qu'on peut faire? Le fait de ne pas le faire, c'est pas déjà être réduit au silence par ces structures-là? » (Quentin).

L'autonomie collective implique aussi que l'organisation d'une action ne soit pas orientée avant tout en fonction de la compréhension des personnes à l'extérieur du mouvement. Il s'agit avant tout de produire une action qui ressemble aux membres qui la mettent en place. Joshua fait d'ailleurs remarquer que les groupes affinitaires queers ne savent pas vraiment dans quelle direction les actions vont aller. Cela ne les empêche pas d'agir. Quentin explique que l'organisation des actions vise plutôt à refléter les valeurs et les idées du mouvement, pour éventuellement toucher quelques personnes qui partagent ces valeurs et ces idées. Encore une fois, l'autonomie collective des groupes et du mouvement semble plus importer que l'idée selon laquelle l'objectif d'une action est qu'elle soit comprise par tout le monde.

« Est-ce que d'attendre qu'on ait l'opinion publique, est-ce que c'est pas trop long pour faire quelque chose? Est-ce que justement le fait de faire une action symbolique, permet pas au contraire tranquillement de bâtir un mouvement aussi, qu'il ait de la visibilité, ça fait en sorte qu'on en parle, ça fait en sorte que ceux qui se sentent cachés, isolés dans la marge font comme « Hey, y'en a d'autres comme moi qui résistent ». » (Quentin).

S'organiser sous le principe d'autonomie collective a une incidence sur la façon dont de nouveaux et nouvelles membres se joignent à l'action et au mouvement. Cette autonomie favorise le phénomène de pollinisation qui, selon Sarrasin, Kruzynski, Jeppesen et Breton (2012), permet aux personnes « de vivre concrètement ce projet politique sans qu'il leur soit imposé ». Il s'agit d'une « réappropriation du pouvoir d'organisation collective » (155). Pour Quentin, faire des actions qui ne dénaturent pas les valeurs importantes pour le milieu militant queer est un moyen efficace de faire grandir le mouvement de proche en proche, en montrant qu'une résistance à l'ordre établi est possible, sans chercher à convaincre à tout prix les personnes, sinon les amener à réfléchir au sens de l'action.

L'autonomie collective est donc une valeur qui permet de faire le pont entre tous les éléments importants soulignés par certain.es participant.es, soit la structure organique, les hiérarchies plates ainsi que l'accessibilité. L'autonomie collective guide les initiatives, leur organisation ainsi que leur mise en action en affirmant une résistance face à l'ordre établi et aux institutions normalisatrices.

Pour résumer cette section, j'ai cherché à montrer que plusieurs éléments, pas toujours mis en valeur par les mêmes participant.es, doivent être pris en compte pour mieux comprendre comment le mode d'organisation des groupes militants queers participe au processus de l'identité collective. Que ce soit au travers de la structure organique, des hiérarchies plates, ou encore de l'accessibilité, l'autonomie collective est un principe organisationnel important pour certain.es militant.es. Indépendance vis-à-vis des institutions normalisatrices, respect des champs d'action et application des fins/moyens, sont les maîtres mots de l'autonomie collective qui permet aux militant.es en tant que collectif de se reconnaître dans le mode d'organisation et donc de bâtir une identité collective. La forme de cette dernière varie indéniablement en fonction des degrés d'importance des différents éléments organisationnels identifiés et discutés dans cette section. Dans le cas présent, l'importance de ces éléments organisationnels dans la constitution d'une identité collective ne semble pas être prioritaire pour toutes et tous les participant.es, même si cette importance ressort parfois implicitement dans les discours.