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5. Fins et moyens : penser, lutter et vivre de façon alternative

5.2. Les tactiques militantes

5.2.1. Tactiques de latence

5.2.1.2. La construction d'un mode de vie alternatif

Dans cette section, j'utilise les récits de plusieurs participantes pour évoquer différentes façons d'expérimenter un mode de vie marginal qui réalise les objectifs précédemment étudiés. Premièrement, j'aborde la vie en communauté comme potentiel pour les habitant.es de développer d'autres manières de vivre, d'autres manières de fonctionner en collectivité. Parmi les participant.es, deux ont évoqué avoir habité dans une communauté ou un collectif queer dans le passé. Deuxièmement, bien que cet aspect du mode de vie alternatif ait été discuté par un seul participant, il me semble important de montrer que la sexualité est également un enjeu qui entre dans le projet de construction d'un mode de vie alternatif.

Amélia parle de la vie en communauté, telle qu'elle l'a vécu et des répercussions que cela a eu sur sa propre personne : « Il y a le fait que j'ai vécu de plus en plus en non mixité féminine, féministe, lesbienne. Ça a changé socialement dans mon milieu aussi, dans les conversations, dans la façon dont on se parlait de nos vécus, on développait un langage commun dans la vie de tous les jours. » (Amélia). Elle ajoute :

« Au moment où je suis arrivée, en pratique il y avait le tiers des colocs qui étaient des femmes lesbiennes, des lesbiennes queers, […]. Puis les autres qui étaient des super bons amis. Je me suis retrouvée dans ce qui commençait à être un milieu queer. J’hésitais encore entre mon nom actuel et mon nom assigné. Et les autres se sont mis à m'appeler par mon nom actuel plus que je ne le faisais moi-même. Et c'est là où j'ai eu de l'espace pour vivre socialement ce que je vivais dans ma tête et parfois avec des gens très proches. » (Amélia).

La vie en communauté constitue pour Amélia une opportunité de mieux se connaître en vivant d'une façon plus libre, dans un cadre anti-oppressif où les personnes avec qui elle vit la comprennent et la reconnaissent. Cette reconnaissance s'effectue parce que les habitant.es recherchent, tout comme Amélia, un moyen de vivre de façon authentique, à développer des relations ainsi qu'un langage alternatifs, capables de respecter la diversité de chacun.e. Somme toute, la vie en communauté pour certain.es militant.es queers est un prolongement de l'expérience limitée dans le temps des événements et festivals qui créent, de façon éphémère, des espaces anti-oppressifs.

Le mode de vie communautaire queer permet également de trouver des façons de s'organiser hors des cadres capitalistes et consuméristes (Day 2005). Selon Alex, les militant.es queers parviennent à mettre de l'avant des valeurs et activités de partage et de solidarité, rejetant de ce fait l'individualisme que propose le système capitaliste :

« Prendre soin les uns des autres, retourner un peu à la simplicité. Exister en tant que communauté, faire des choses simples ensemble, faire la cuisine ensemble, partager des ressources matérielles, faire des pot-luck, c'est une forme de révolte contre un système capitaliste oppresseur. Il ne s'agit pas d'être juste tout le temps dans les rues à militer de façon classique, mais de résister avec ce genre d'initiatives. » (Alex).

Être soi-même, construire des pratiques, des valeurs et des relations alternatives sont des éléments centraux dans l'expérimentation d'un mode de vie alternatif. Sur le plan des relations, la pratique d'une sexualité alternative collective peut également faire partie du mode de vie. Les sex parties constituent une part de la programmation proposée durant les festivals, par exemple. Peu de participant.es se sont toutefois ouvert.es sur cette activité, ce qui peut laisser penser que cette sphère n'est pas centrale dans les tactiques militantes des participant.es. Quentin en a toutefois fait mention à plusieurs reprises. Il a participé bénévolement à organiser des sex parties queers mixtes et BDSM. Le caractère mixte fait ici référence à la diversité des identités de genre et des orientations sexuelles. Le BDSM, quant à lui, réfère à des pratiques sexuelles comprenant le bondage, la domination, la soumission, et le sadomasochisme. Ces pratiques sexuelles, communément jugées déviantes, sont explorées par certaines militant.es queers qui désirent dépasser et se démarquer de pratiques sexuelles dites conventionnelles, souvent peu soucieuses du consentement explicite et d'une égalité entre les partenaires. Pour Quentin, participer à ces événements est libérateur par rapport à la honte et au stigmate qui sont généralement reliés à la pratique de relations sexuelles homosexuelles. Brown (2007) mentionne l'importance des sex parties en même temps que le soin qui est attaché à leur mise en place par l'ensemble des participant.es :

« The collective involvement of the many participants in shaping the party helped allay the fears of those attendees who had not previously been to a sex party. It also helped that ground rules for the party, which stressed the need to be `considerate, respectful, and kind' as well as addressing concerns about sexual negotiation, personal boundaries, and sexual health, were debated thoroughly over the preceding days and agreed by consensus. » (2007, 2694).

2695), ce qui est en effet le cas pour Quentin. L'auteur met également l'accent sur le risque qui existe de présumer que tous et toutes les militant.es queers participent à des sex parties (2007, 2695). Pour plusieurs militant.es, l'exploration des sexualités n'est pas l'aspect central de l'engagement. Ceci semble d'ailleurs être le cas dans cette recherche, puisque la plupart des participant.es n'ont pas mentionné leur participation à des sex parties, même s'ils et elles parlaient de sexualité en général ou de façon personnelle. Je peux donc en conclure que cette activité n'est pas le cœur de leur engagement, bien que les cercles militants queers soient des espaces propices pour discuter, échanger sur les sexualités et les expérimenter d'une façon alternative.

En résumé, j'ai discuté dans cette section d'une tactique militante spécifique, parce qu'elle concerne directement le mode de vie des militant.es. Comme je l'ai déjà mentionné, les militant.es cherchent à préfigurer les alternatives à un système oppressif dans leurs actions. Ceci vaut donc, pour certain.es participant.es, dans leur quotidien lorsqu'ils ou elles habitent dans un collectif queer. La vie en communauté est un moyen efficace pour créer une solidarité entre les membres qui s'entendent sur un partage de valeurs et de ressources, impliquant de développer des relations alternatives entre les membres. Tout cela s'effectue dans le but d'ôter du pouvoir au système oppressif en place. Le caractère alternatif du mode de vie ne s'arrête pas nécessairement aux relations amicales, mais peut également s'exprimer dans l'expérimentation des relations sexuelles. Créer des espaces pour développer d'autres sexualités fondées sur les valeurs et les ressources partagées entre les membres s'avère être un autre moyen de rejeter le système en en préfigurant un autre.