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4. Champs d'action : sexualités, identités de genre et autres oppressions

4.4. Alliances et collaborations

Une façon dont le mouvement queer peut prendre en compte la diversité des situations et des oppressions, sans perdre de vue son unité, consiste à créer des alliances et des collaborations ponctuelles avec d'autres groupes militants ou des organismes communautaires.

Quentin évoque les liens de solidarité entre les militant.es anti-brutalité policière et les militant.es queers. « … [À la] RQS, on avait poussé pour que la dernière journée coïncide avec la Marche contre la brutalité policière, le 15 mars. On a décidé de faire un contingent rose, autrement dit un pink bloc. » (Quentin). Le mouvement queer, et notamment le P!nk Bloc, profite de diverses manifestations contestataires pour créer des alliances et apporter son soutien à des causes anti-racistes, comme le fait remarquer Dimitri :

« Il y avait une manif contre la Charte, on était juste 5 avec des capes roses, mais c'était nice parce que c'était une manif où il y avait 90% de musulmans et surtout beaucoup de musulmanes, pis les gens nous demandaient qui on était. On leur a dit qu'on était un groupe de gais et de lesbiennes contre l'islamophobie, […] on voyait beaucoup de messages de sympathie, du genre: "Ils s'attaquent à nous, après ils vont s'attaquer à vous". Cette espèce de conscience d'être minoritaire, qui fait que des fois, on peut créer des ponts et des solidarités … » (Dimitri).

Selon Sarrasin, Kruzynski, Jeppesen et Breton (2012), les alliances ponctuelles entre les groupes de la mouvance libertaire au Québec, ou avec d'autres regroupements plus modérés, permettent d'en apprendre plus sur certaines situations, tout en formant des liens de solidarité.

« … [Une] participation conjointe à des mobilisations inspirées par la conjoncture politique, sociale et économique. Ces campagnes ou coalitions autour d’enjeux rassembleurs constituent des espaces de rencontre et de réseautage pour l’ensemble des acteurs de la communauté. Plusieurs de ces mobilisations sont des projets ponctuels, mis sur pied par un appel lancé par un ou plusieurs groupes ou individus. » (150).

Liam parle d'alliances avec d'autres mouvements qui doivent se faire sur un plus long terme. Selon lui, par exemple, les féministes et les hommes trans devraient développer plus de liens et collaborer sur les enjeux reproductifs. Jusqu'à tout récemment, les personnes trans devaient obligatoirement être opérées et stérilisées pour pouvoir faire un changement de mention de sexe officiel et légal. Depuis octobre 2015, cette législation a été remplacée par une nouvelle loi permettant le changement de mention de sexe sans obligation d'opération, ni de stérilisation. Ainsi, au regard de la loi, des hommes trans sont concernés par les enjeux reproductifs, tels que la contraception et la grossesse.

« En fait, le mouvement pro-choix est vraiment plus fort du côté féministe, donc si tu veux t'occuper de cette problématique-là, maintenant, ben il faut t'allier. Parce que la communauté trans n'est pas encore rendue là dans cette réflexion, tu comprends. Mois je veux m'allier, parce que les hommes trans, on n'a pas vraiment d'espace. » (Liam).

Liam voit dans une alliance avec des groupes féministes, la possibilité d'obtenir des avancées pour les droits reproductifs des hommes trans plus rapidement en profitant de l'expertise féministe et de la visibilité du mouvement.

Comme les participant.es me le font remarquer, les alliances entre groupes ne se limitent pas nécessairement à des manifestations dans la rue, elles peuvent s'effectuer sur un temps plus long avec des organismes communautaires, et pour plusieurs raisons. Premièrement, ces alliances peuvent correspondre à un travail collectif sur un projet précis. Quentin parle de son expérience de collaboration entre PolitiQ, l'ASSÉ et la Coalition jeunesse montréalaise de lutte à l'homophobie lors de la production de matériel d'information sur les sexualités destiné à circuler dans les cégeps. « Pendant ce temps à la Coalition, je faisais le

pont avec PolitiQ pour créer Plan Q et faire des tournées d'ateliers dans les Cegeps avec des documents d'archive et de la post-porn. » (Quentin). Si les militant.es queers ne sont pas toujours en accord avec ces les structures institutionnalisées, le partenariat en vue d'un projet spécifique est tout à fait envisageable. Quentin mentionne également la collaboration du groupe queer PolitiQ au Collectif de travail LGBT. PolitiQ avait ainsi le désir d'avoir un impact par rapport à la politique provinciale. Leur objectif était d'avoir un point de vue critique par rapport à un plan de lutte qui ne prenait pas en compte les expériences des personnes trans. Puisque ce plan politique pouvait influencer concrètement le bien-être des personnes trans, leur participation était importante, mais a créé des tensions au sein du regroupement de travail avec d'autres acteurs et actrices institutionnel.les.

Quentin continue en mentionnant que sa position à cheval entre le milieu communautaire, assez formel, et son milieu militant queer amène des opportunités intéressantes, notamment au niveau du partage des ressources.

« J'ai souvent utilisé l'image que je suis un passeur, [...] parce que j'étais dans un milieu plus mainstream [...] versus queer. Ça me donnait accès à certaines ressources et me permettait de les appliquer à certains groupes, comme la Radical queer semaine les premières années. Comme j'étais dans un organisme, j'allais chercher les permis d'alcool […]. Ce côté-là permettait aussi un transfert de ressources entre les gens qui allaient dans leur réseau. La première année, on a eu une subvention de Concordia, pas grâce à moi, mais à quelqu'un qui étudiait en women studies. On a reçu une grosse enveloppe de Concordia de 2-3000$ pour organiser la première Radical queer semaine. Donc, ça a beaucoup joué d'avoir des contacts avec des institutions beaucoup plus formelles, et pas juste dans les réseaux informels queers... » (Quentin).

Le choix d'effectuer des alliances et de collaborer avec certains organismes ou institutions doit être pris en compte, selon Melucci (1996), pour comprendre le processus d'identité collective, parce que ce choix donne des indications sur la façon dont le mouvement se maintient et se transforme au travers de ces alliances (78). Dans le cas de la collaboration de PolitiQ avec une instance LGBT institutionnelle, le groupe a gagné en crédibilité auprès de la sphère communautaire. Pour ce qui est d'une alliance avec des groupes féministes, les enjeux relatifs aux hommes trans et à leurs droits reproductifs pourraient mener à une meilleure prise en compte de ces enjeux dans les milieux trans et queers en élargissant les champs d'action d'implication. L'identité collective du mouvement queer montréalais est donc formée

partiellement par les diverses collaborations qui se font avec d'autres groupes institutionnels et communautaires.