• Aucun résultat trouvé

À l'ouest de la trouée d'Homs, la plaine côtière très fertile du ʿAkkar, cultivée de longue date, comporte, à l'âge du Bronze moyen, deux centres administratifs importants : les villes de Ṣumur282 et d'Irqata (Tell Arqa283). La région est peu ouverte sur la Syrie intérieure et la trouée de Homs n’est pas une voie majeure de communication.

La campagne syrienne que mène Thoutmosis III en l'an 42 de son règne (dernière connue de ses campagnes) va changer cette situation, car les troupes égyptiennes prennent et détruisent la ville d’Irqata.

Ṣumur devient alors le seul grand centre de la plaine du ʿAkkar et un point d'appui pour les projets égyptiens de conquête de la Syrie intérieure, permettant aux troupes d'éviter la longue route terrestre qu'elles empruntaient précédemment, d'y installer des garnisons et d'y obtenir de l'approvisionnement (les fortifications trouvées à Tell Kazel en sont le

281 Après la régence et le règne d'Hatchepsout.

282 La localisation de Ṣumur n'est pas certaine. Beaucoup considèrent Tell Kazel comme le site le plus

probable. Pour l'époque du Bronze récent, deux chantiers ont dégagé, l'un, un secteur résidentiel, l'autre, un temple aux riches offrandes. Le niveau le plus récent porte la trace d'un incendie violent, à rattacher sans doute aux troubles du XIIe siècle.

témoignage). Le ʿAkkar devient une route ouest-est stratégique, plus que commerciale, et Ṣumur le siège du représentant de l'Égypte dans la région.

Au XVe siècle, une influence du Mitanni n'est pas perceptible.

2. Le tournant du

XIVe

siècle

Le successeur de Thoutmosis III n'affronte pas directement le Mitanni, bien que celui-ci attise en sous-main des révoltes contre l'Égypte. Au début du XIVe siècle, l'absence d'une victoire nette en Syrie entre l'Égypte et le Mitanni, la montée d'un danger en Asie mineure conduisent à un modus vivendi entre ces deux puissances.

Dans la première moitié du XIVe siècle, le royaume de Qaṭna se trouve à la limite des zones d'influence égyptienne et mitannienne, alors que la plaine du ʿAkkar, tournée vers la Méditerranée, est pour l'essentiel sous influence égyptienne.

Les sources textuelles qui concernent le royaume de Qaṭna, longtemps très limitées, se sont enrichies avec la découverte sur place de tablettes en 2002. Pour la région qui va devenir le royaume d'Amurru sous l'impulsion d'Abdi-Aširta et surtout de son fils Aziru, et pour ce royaume, on dispose de sources beaucoup plus riches, mais qui viennent toutes de l'extérieur : El Amarna, Ugarit et Ḫattuša.

Qaṭna

Une des grandes difficultés est d'aboutir à une chronologie même relative des événements qui, au XIVe siècle, ont scellé le destin du royaume de Qaṭna.

Or, jusqu'en 2002, on ne disposait, en fait de textes issus du royaume lui-même, que d'inventaires trouvés dans la ville lors des fouilles des années trente. Certes, le prologue du traité entre Šattiwaza du Mitanni et Šuppiluliuma I du Ḫatti (CTH 51 ; HDT 6A) et les cinq lettres écrites au pharaon Akhénaton par Akizzi, dernier roi de Qaṭna, et trouvées à El Amarna (EA 52 à EA 56 ; vol2:89à94) donnaient quelques repères chronologiques, mais difficiles à « croiser » avec d'autres événements, en particulier avec les guerres syriennes de Šuppiluliuma I.

Les royaumes de Qaṭna et d’Amurru

Les inventaires, édités par Jean Bottéro284, comportent entre autres des listes de bijoux offerts à la déesse de la ville, Nin Egal, accompagnées du nom des donateurs, dont trois de Qaṭna (Naplimma, Sînadu et Idadda/Idanda), Adad-nêrârî, roi du Nuḫašše, et Turuša de Kinza / Qadeš. Ils montrent qu'à une certaine période (voir plus loin), les relations entre Qaṭna, le Nuḫašše et Kinza étaient bonnes.

Que fait dire à Šuppiluliuma le prologue du traité cité ?

« Je traversai à nouveau l'Euphrate et soumis le pays d'Alep et le pays du Mukiš.

Takuwa, roi de Niya, vint au-devant de moi pour établir des clauses de paix. Mais, derrière son dos, son frère Aki-Tešub conduisit le pays et la ville de Niya à la guerre. Il rassembla les conducteurs de char […] et fit cause commune avec Akiya, roi d'Araḫati. […] Ils commencèrent la guerre en disant « Allons combattre le grand roi, le roi du Ḫatti ». Moi, le grand roi, roi du Ḫatti, je soumis la ville d'Araḫati. Je capturai Akiya, roi d'Araḫati, Aki-Tešub, frère de Takuwa, et tous leurs conducteurs de char avec leurs biens. Pour le Ḫatti, je m'emparai aussi de la ville de Qaṭna et de ses biens.

J'allai au pays du Nuḫašše et capturai tout le territoire. Seul son roi Šarrupša s'enfuit, mais je capturai sa mère, ses enfants et je les amenai au Ḫatti. J'installai Takip-Šarri, sujet de Šarrupša, en tant que roi de la ville d'Ukulzat. J'allai au pays d'Apina, mais ne cherchai pas à attaquer Kinza. Cependant, son roi Šuttatara, son fils Aitakama et ses chars vinrent combattre contre moi. Je les chassai et ils se réfugièrent dans la ville d'Abzuya. Je fis le siège d'Abzuya, capturai Šuttatara, ses enfants, ses chars, ses frères et tous ses biens et les amenai au Ḫatti. […]

Depuis le mont Liban jusqu'à la rive lointaine de l'Euphrate, je fis mon territoire. »

284 BOTTÉRO, Jean : « Les inventaires de Qatna », RA 43, 1949, p.1-40 et p.137-215. « Autres textes de

Ici, Šuppiluliuma I (mais pendant quelle guerre « syrienne » : la première, la deuxième ?) décrit la volte-face du Niya vis-à-vis du Ḫatti (d'abord favorable285, puis opposé), l'inimitié d'Araḫati, du Nuḫašše et de Qaṭna. Il affirme qu'il n'aurait pas cherché à combattre Qadeš / Kinza, mais que celui-ci l'y a contraint.

Les cinq lettres d'Akizzi trouvées à El Amarna (dont l'une en très mauvais état) sont adressées au roi d'Égypte, dont deux explicitement à Namhuriya, c'est-à-dire Aménophis IV / Akhénaton (EA 53 et EA 55). Deux des lettres présentent Aitakama, roi de Qadeš, comme ennemi du pharaon (EA 53 et EA 54), et donc de Akizzi lui-même, alors que les rois du Nuḫašše et de Niya « aiment » le pharaon [NB : Aitakama apparaît dans le prologue du traité cité comme le fils du roi de Qadeš ; les lettres EA 53 et EA 54 sont donc postérieures aux événements que le prologue rapporte].

Dans EA 55, plus longue, Akizzi écrit à Namhuriya que le roi du Ḫatti « a fait prisonniers les combattants de Qaṭna » (et a emporté la statue de Simgi, dieu hourrite du soleil) et qu'Aziru (d'Amurru, voir ci-après) a emmené hors du pays des hommes de Qaṭna, dont il réclame rançon. Enfin, Akizzi encourage le pharaon à prendre le Nuhašše avant les Hittites.

Référence Expéditeur Destinataire Personnages évoqués Commentaire

EA 52 Akizzi (Qaṭna) Le roi d'Égypte Biryawaza ("maire" de Damas) est fidèle lui aussi au pharaon

Protestation de fidélité au roi d'Égypte EA 53 Akizzi (Qaṭna) Namhuriya

(le pharaon Aménophis IV)

Aitakama, roi de Qadeš, a rallié le Ḫatti ; Biryawaza, le roi du Nuḫašše et le roi de Niya sont fidèles au pharaon

EA 54 Akizzi (Qaṭna) ? Aitakama (?), roi de Qadeš (tablette très abîmée) EA 55 Akizzi (Qaṭna) Namhuriya

(le pharaon Aménophis IV)

Le roi du Ḫatti menace les pays fidèles au pharaon et Aziru (d'Amurru) est une menace pour Qaṭna

Demande de troupes au pharaon EA 56 Akizzi (Qaṭna) Le roi d'Égypte Le roi du Ḫatti est menaçant ; des rois

(non nommés) sont hostiles au Ḫatti

Mention du Mitanni

Si on résume ce qu'on pouvait déduire de ces différentes sources, il semble, d'après les inventaires, qu'à une époque antérieure à Akizzi, les relations entre le royaume de Qaṭna et plusieurs de ses voisins (Nuḫašše et Kinza / Qadeš) étaient bonnes, bénéficiant sans doute du rapprochement entre le Mitanni et l'Égypte face à la montée en puissance des Hittites.

285 L'édit RS 17.227 de Šuppiluliuma I (fixant le tribut d'Ugarit), vol2:70, ne cite pas Niya parmi les

ennemis du Ḫatti, ce qui laisse penser que Takuwa n'avait pas encore été renversé par son frère Aki Tešub lors de la guerre décrite par le prologue (par contre, RS 17.340, vol2:79, cite explicitement Aki Tešub comme ennemi).

Le prologue du traité entre Šattiwaza et Šuppiluliuma I paraît indiquer que certains États comme le Niya ont balancé entre se soumettre ou résister aux Hittites, alors que d'autres se montraient d'emblée hostiles, tel le Nuḫašše de Šarrupša contre lequel Šuppiluliuma I a dû mener bataille. Le cas de Qadeš est plus flou (prendre la ville n'était pas dans les projets du roi hittite). Quand à Qaṭna, la ville a été pillée, mais elle est citée comme « en passant » et son souverain n'est pas nommé.

Les lettres d'El Amarna montrent que, sous Akizzi, c'est-à-dire postérieurement aux événements rapportés dans le prologue, le royaume de Qaṭna est dans le camp égyptien (le Nuḫašše et le Niya sont eux aussi hostiles aux Hittites), menacé par Aitakama de Qadeš (rallié au Ḫatti) et par Aziru d'Amurru. Akizzi appelle en vain le pharaon au secours. L'archéologie confirme que la prise de Qaṭna par Šuppiluliuma I a été violente, si on date de ce moment les destructions retrouvées sur le site : il n'y a plus de roi après Akizzi. C'est seulement après 1300, sous Séthi I, que les Égyptiens reprennent le contrôle de la ville (ils la gardent jusqu'au début du XIIe siècle, lorsque les invasions des « peuples de la mer » provoquent sa destruction).