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Quand tu partiras pour Ithaque, souhaite que le chemin soit long […], que nombreux soient les matins d’été où tu

2. Les messagers

Mār šipri (LÚ DUMU KIN), māru désignant ici l’appartenance à un état et šipru un message, est bien plus qu’un simple messager, qu’un porteur de tablettes. Digne de confiance (taklu) et si nécessaire rapide (kallû), il est celui qu’on charge d’une mission, voire d’une véritable négociation : un véritable ambassadeur.

Un exemple particulièrement frappant en est donné dans les lignes 21-29 de la tablette RS 34.165312, lettre au roi d’Ugarit qui relate les négociations et événements ayant conduit à la victoire de l’expéditeur (peut-être le roi d’Assyrie) sur Tudhaliya IV, roi du Ḫatti :

21ù mtu-ud-hu-li-ya LUGAL KUR ha-at-ta-ia-ú LÚ DUMU KIN-šu ša-ni-ia / 22a-na muh-hi-ia il-tap- ra 2 ṭup-pa-(MEŠ)-ti ša nu-kúr-ti / 23ù 1-et ṭup-pa ša šul-mi na-a-ši ṭup-pa-(MEŠ) ša KÚR-ti / 24a-na pa-ni-ia uk-ta-al-li-im

21-24Alors Tudhaliya, le roi hittite, m’envoya un second messager porteur de deux tablettes (proposant) la guerre et une tablette (proposant) la paix. Il me présenta les deux tablettes de guerre.

24ki-i-me ERIN2.MEŠ-ia / 25a-ma-te (MEŠ) ša nu-ku-ur-ti il-ta-na-am-mu-ú / 26ṣa-ar-mu-ni il-li-ku-ni ù DUMU KIN-ru / 27ša LUGAL KUR ha-at-ti i-da-gal ki-i-me U4.3.KAM / 28i-te-et-qu ù LÚ DUMU KIN-ru ša LUGAL KUR ha-at-ti / 29ṭup-pa ša šul-mi a-na pa-ni-ia uq-tar-ri-ib

24-29Lorsque mes soldats entendirent ces messages de guerre, ils brûlèrent de marcher (au combat) et le messager du roi du Ḫatti le voyait. Lorsque trois jours se furent écoulés, le messager du roi du Ḫatti me produisit la tablette de paix.

La description qu’a faite Bertrand Lafont313 de ces messagers, pour l’époque de Mari, vaut pour l’époque d’El Amarna et au-delà.

Il note, en particulier, que les déplacements (désignés par KASKAL, harrānu, aussi bien pour les messagers que pour les marchands ou les soldats) font apparaître des liens entre diplomatie, information, commerce et guerre, comme le résume le texte suivant :

4be-lí ì-de-e ki-ma ha-na.MEŠ ša-ap-[ra-ku] / 5ù ki-ma LÚ tam-ka-ri-im ša bi-ri-it / 6nu-ku-úr-tim ù sa-li-mi- im / 7i-la-ku-ma {me} ha-na.MEŠ i-na še-pa-at-t[im] bi-r(i)-it] / 8nu-kúr-tim ù sa-li-mi-[im] i-la-ku / 9li-ša-an ma-a-tim i-na a-ta-lu-ki-šu-nu i-še-em-mu.

4-9Mon Seigneur sait que je commande les Bédouins et que, tout comme un marchand va au travers de la guerre et de la paix, les Bédouins vont à pied au travers de la guerre et de la paix, apprenant au cours de leurs déplacements ce dont parle le pays.314

312 LACKENBACHER, Sylvie, « Chapitre VI, Lettres et fragments, n°46 », dans : Une bibliothèque au sud

de la ville,RSO VII (sous la direction de Pierre BORDREUIL), ERC, Paris, 1991, p.90-100 (vol2:116).

Voir aussi : SINGER, Itamar, "The Battle of Nihriya and the End of the Hittite Empire", ZA 75, 1985,

p.100-123. La lettre serait adressée au dernier roi d’Ugarit, ʿAmmurapi.

313 LAFONT, Bertrand, « Messagers et ambassadeurs dans les archives de Mari », dans : La circulation

des biens, des idées et des personnes dans le Proche-Orient ancien, Actes de la XXXVIIIe Rencontre assyriologique internationale, Dominique Charpin éd., ERC, Paris, 1992, p.167-183. Voir aussi : CHARPIN, Dominique et JOANNES, Francis (éd.), Marchands, diplomates et empereurs,

Marchands et messagers voyagent souvent ensemble dans une caravane mais, même si les marchands font eux aussi du « renseignement », leurs rôles sont bien distincts et il existe des missions exclusivement diplomatiques. Celles-ci sont parfois accompagnées d’une escorte militaire et même de véritables troupes armées, et elles peuvent, comme les caravanes, voyager à pied, à cheval ou par bateau.

Les dangers encourus sont réels : attaque, interception (le roi de Haute-Mésopotamie envisage ainsi de faire intercepter par des Sutéens, à leur retour de mission, des messagers du roi de Babylone), capture, voire assassinat. Dans la lettre EA 16, par exemple, le roi Aššur-uballiṭ I d’Assyrie impute à une poursuite des Sutéens le retard des messagers qu’il a envoyés au pharaon et indique qu’il a dû les secourir car ils étaient « en danger de mort ». De plus, au passage, chaque autorité locale fait subir un interrogatoire aux messagers … et les taxe.

C’est la raison pour laquelle un roi du Mitanni (probablement Tušratta, selon William Moran) demande aux rois de Canaan - qui sont dans la mouvance de l’Égypte - de fournir un sauf-conduit à son messager en route vers l’Égypte et de ne lui réclamer aucun impôt sur les cadeaux qu’il transporte (lettre EA 30) :

1a-na LUGAL.MEŠ šu KUR ki-na-a-aḫ-[ḫi] / 2ÌR.MEŠ ŠEŠ-ia um-ma LUGAL-ma / 3a-nu-um-ma ma-ki-ia LÚ DUMU.KIN-ia / 4a-na UGU LUGAL mi-iṣ-ri a-ḫi-ia / 5a-na du-ul-lu-ḫi a-na gal-li-e / 6al- ta-pàr-šú ma-am-ma / 7lu-ú la i-na-aḫ-ḫi-is-sú / 8na-as-ri-iš i-na KUR mi-iṣ-ri- / 9šú-ri-pa ù a-na ŠU / 10LÚ ḫal-z[u]-uḫ-li šá KUR mi-iṣ-ri-i / 11it-t[i] ḫa-mut-ta l[i)-il-l[i!-i]k / 12kàd-<ru>-sú mi-im-ma / 13i-na UGU-ḫi-šú lu-ú ip-pa-áš-ši.

1-13Aux rois de Canaan, serviteurs de mon frère : ainsi (parle) le roi. Avec la présente, j’envoie Akiya, mon messager, en hâte et d’urgence auprès du roi d’Égypte, mon frère. Personne ne doit le retenir. Fournissez-lui un sauf-conduit pour l’Égypte et remettez(-le) au commandant de la forteresse de l’Égypte. Qu’il continue immédiatement et, en ce qui concerne ses pré<sents>, il ne doit rien.

Arrivé à destination, le messager produit un document. Il est logé à l’extérieur du palais dans le bīt napṭari (sous la responsabilité du napṭaru). On pourvoit à son entretien, en attendant une audience qui peut lui être refusée.

Lorsqu’il en obtient une, il apporte des cadeaux (tāmartu) et est très attentif à l’accueil qui lui est fait.

La lettre EA 31 (en hittite) fournit un des nombreux exemples d’échanges entre les cours et décrit les cadeaux confiés par le pharaon Aménophis III et par le roi d’Arzawa, chacun à son ambassadeur auprès de l’autre roi.

Il délivre son message généralement en lisant un texte écrit que le destinataire écoute (verbe šemû), dont l’importance est soulignée par la lettre RS 34.165 citée plus haut. Une négociation peut se mettre en place.

314 A.350+A.616, cité dans : DURAND, Jean-Marie, « Apologue des mauvaises herbes et un coquin »,

Après avoir rempli sa mission, le messager doit attendre la permission de repartir (le verbe qui signifie qu’on le libère est : wuššurum). Il est alors raccompagné par un alik idi, qui assure le bon déroulement de la négociation.

Mais cette permission peut se faire attendre très longtemps : ainsi EA 3 fait état d’un messager du roi Kadašman-Enlil de Babylone, que le pharaon Nimu’wareya (Aménophis III) a gardé six ans ! Dans EA 28, le roi du Mitanni (Tušratta) proteste car le pharaon Napḫurereya (Aménophis IV) retient ses messagers malgré ses demandes répétées.

Que cette préoccupation d’un retour rapide du messager soit fréquente est illustrée par la réponse suivante du roi de Sidon, Addu-Iašmaʿ, à la demande du roi d’Ugarit315 :

5al-te-me ki [ta-aš-p]u-ra / 6ŠEŠ-ia a-n[a UGU]-ia / 7ma-a! LÚ-ia [a]l-ta-pár / 8a-na ka-ša [aš-šum- m]a / 9KIN!.MEŠ-ia a-na e-pa-še / 10e-zi-ib IGI.MEŠ-šu / 11a-na UGU-šu / 12tu-<a-re-šu

5-12Mon frère, j’ai appris que tu m’avais écrit : « Je t’envoie un homme à moi pour délivrer mon message ; pardonne qu’en ce qui le concerne, sa mission n’est que d’aller et revenir. »,

ce à quoi le roi de Sidon, rassurant, répond : 15-19Je l’ai pourvu de pain dans sa maison, tant qu’il demeura ici. Voici que je te le renvoie. [NB : cette lettre montre que le roi de Sidon a bien logé et nourri le messager]

La diplomatie repose donc sur l’envoi de messagers, dont on a vu qu’ils devaient à la fois transmettre des messages (en s’assurant de leur compréhension par le destinataire), négocier et - au retour - informer.