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Quand tu partiras pour Ithaque, souhaite que le chemin soit long […], que nombreux soient les matins d’été où tu

1. Les nomades

Lorsqu’on parle de nomades, il faut rappeler que ce terme recouvre des réalités bien différentes : « grands nomades » au long parcours de transhumance ou bien éleveurs de petit bétail au parcours plus limité, associant parfois une forme d’agriculture à leurs activités d’élevage : cas qui correspond davantage à la Syrie.

Plus que la frontière physique ou politique, changeante, que traversent les nomades entre des territoires dépendant d’autorités différentes, ou encore fiscale puisqu’ils payent des droits, la frontière qui nous intéresse ici particulièrement est celle qui les sépare des sédentaires et qui, on le sait, n’est pas nettement tranchée : il existe entre les deux états un continuum de situations.

Lorsque les nomades perdent leurs troupeaux à la suite d’une sécheresse, ou s’ils en sont privés par une action violente, il leur arrive de se sédentariser pendant le temps nécessaire à leur reconstitution, puis de retourner à la vie nomade (cela se passe encore ainsi, de nos jours, par exemple dans le Sahel). De leur côté, des sédentaires peuvent, en cas de famine ou de troubles, être obligés de quitter leur lieu de résidence et d’embrasser pour un temps un tel mode de vie (qui était parfois celui d’ancêtres proches).

Par ailleurs, si les contacts ponctuels sont souvent conflictuels et parfois très violents, en particulier auprès des points d’eau, des échanges durables entre sédentaires et nomades correspondent à une nécessité économique pour les deux parties et peuvent être relativement pacifiques pendant de longues périodes (ne pas oublier que les sociétés nomades changent dans le temps, en particulier du fait de leurs contacts avec les sédentaires).

Ces échanges peuvent refléter des traditions antérieures. Ainsi, à propos d’Emar et de la survivance de traditions anciennes, comme la fête zukrum dont il juge que « toute la cérémonie fait allusion à la steppe », Daniel Arnaud écrit :

La rupture si nette et si consciemment vécue en Babylonie entre ville et steppe n’existait pas à Emar. […] Le legs des semi-nomades n’apparut jamais sans doute comme le reflet d’un monde hostile, et les Emariotes sédentarisés ne le rejetèrent pas. La vitalité de ces pratiques étrangères aux cités tient

aussi aux échanges qui ne cessèrent jamais entre la steppe et Emar, même s’ils ne furent pas toujours cordiaux296.

Il faut ajouter que les structures du pouvoir qui s’exercent sur les habitants de villes et sur les nomades peuvent se superposer : ainsi, Zimrî-Lîm se définit comme roi de Mari (c’est-à- dire des Bensimal’ites installés en ville) et du pays de Ḫana (de ceux restés éleveurs itinérants), avec d’un côté des gouverneurs et de l’autre les « merḫum » (chefs de pâture).

On va illustrer ce qui précède par ceux que les textes désignent par « Sutéens », littéralement « gens du sud », appellation dont la longévité est impressionnante puiqu’elle se rencontre pendant plus d’un millénaire (dès la fin du XIXe siècle jusqu’au IXe, et même VIIIe siècle av. J.-C.) et sur une aire géographique allant de l’Anatolie à l’Égypte, et de la Méditerranée jusqu’au Tigre.

Dans la quasi-totalité des cas, les Sutéens ne parlent pas d’eux-mêmes. Ce sont d’autres qui les mentionnent, les craignent, les utilisent ou commercent avec eux. D’autres aussi qui donnent les rares éléments dont on dispose sur leur organisation en « clans », ou qui évoquent un traité passé avec l’un de ces clans.

Si, parmi les textes trouvés à Tell Chuera (Ḫarbe), figurent des lettres adressées à Suti’u

(littéralement : le Sutéen), qui y occupe un poste officiel de scribe, ainsi qu’une lettre qu’il écrit lui- même en se désignant par su-ti-ú297, il s’agit d’un nom propre reflétant une ascendance sutéenne

plutôt que d’un gentilice.

La vie quotidienne des Sutéens nous est pratiquement inconnue, qu’il s’agisse des activités pastorales ou, par exemple, de la vie familiale (les femmes apparaissent rarement dans les textes et alors, comme servantes employées ailleurs). Si on ajoute qu’elle a pu largement évoluer dans le temps et l’espace, c’est une vision très parcellaire dont on dispose.

Les chercheurs qui, depuis Jean-Robert Kupper298, se sont intéressés aux Sutéens ont utilisé un corpus resté longtemps à peu près le même qu’on va décrire ci-dessous : lettres de Mari, textes hittites, annales des rois assyriens. Une compréhension plus fine des relations

296 ARNAUD, Daniel, « Traditions urbaines et influences semi-nomades », dans : Le Moyen-Euphrate,

zone de contacts et d’échanges (Actes du colloque de Strasbourg, 10-12 mars 1977, éd. par Jean- Claude Margueron, Université des Sciences humaines de Strasbourg, 1980, p.245-264.

297 Voir : MINX, Sören, Die Sutäer in der späten Bronzezeit, Magister arbeit, Universität Leipzig, 2005.

Texte [48], p.78 (Huwēra 90.G.023)

298 Son livre : KUPPER, Jean-Robert, Les nomades en Mésopotamie au temps des rois de Mari, Les

entre Sutéens et populations sédentaires n’a été possible qu’après de nouvelles découvertes, en particulier celle de textes médio-assyriens.

A la fin du XIXe siècle, dans un texte en sumérien, le roi Rîm-Sîn de Larsa parle de sa victoire, l’année 14 de son règne (vers 1809), sur une coalition des armées d’Uruk, Isin, Babylone, des Sutûm et Râpiqum.

Les archives de Mari du XVIIIe siècle fournissent les premières mentions détaillées des Sutéens. Elles localisent ceux-ci au sud de Mari, en amont sur l’Euphrate jusqu’à Terqa et Tuttul, au nord-ouest dans la région du djebel Bišri (où ils exploitent des mines d’argent) et à l’ouest jusqu’à Palmyre et Qaṭna. On connaît plusieurs noms de clan et l’onomastique semble généralement ouest-sémitique.

Des lettres du roi de Haute-Mésopotamie, Samsî-Addu, et de son fils Yasmaḫ Addu, ou des lettres adressées à Zimrî-Lîm, roi de Mari, font apparaître parfois les Sutéens comme des éleveurs pacifiques de moutons payant des redevances (la miksum) et utilisés à diverses tâches pour lesquelles ils reçoivent rétribution. La lettre ARM III, 12 (vol2:103) du gouverneur de Terqa indique à Zimrî-Lîm que les Sutéens entretiennent jusque là d’excellentes relations avec lui et qu’aucun incident ne s’est produit.

En raison de leur capacité à se mouvoir dans des régions peu connues des sédentaires et peu sûres, ils escortent et guident des caravanes dans les routes du désert, en particulier vers Qaṭna lorsque la route du nord par Alep est bloquée ; ou encore vers Babylone et même Dilmun. On les charge aussi de porter des messages.

Ce sont aussi des brigands (ARM V, 23 : « Dis à mon seigneur Yasmah-Addu … que 2000 Sutéens se sont réunis pour tenir conseil. Ils sont partis pour razzier les troupeaux à la pâture du pays de Qaṭna », vol2:102), qui opèrent jusqu’en Babylonie du sud après la prise de Larsa. Ils sont marchands d’esclaves (ARM XIV, 79), hommes de main (Samsî-Addu veut leur faire faire un coup de main contre une caravane du roi de Babylone revenant d’Alep299). Dans des contrats d’adoption, des clauses

prévoient que l’adopté indigne sera exilé chez les Sutéens, c’est-à-dire très loin. Le roi se débarrasse parfois de certaines personnes chez les « Sutéens lointains » (ARM XIV, 78 ; vol2:104).

Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, le roi Ammiṣaduqa de Babylone évoque 20 Sutéens prêts à attaquer Sippar (AbB X, 150) et il exhorte les citadins à se préparer contre les troupes de « l’ennemi », LÚ KÚR. Mais d’autres textes prévoient des rations pour les Sutéens, dont certains se sont installés à Sippar (leur nom figure dans des contrats) et semblent s’être sédentarisés.

Après la fin des royaumes amorrites (et notamment celle du royaume de Babylone), il y a un silence des sources pendant plus d’un siècle.

299 A.3297+3275, vol2:102. Voir : ZIEGLER, Nele, « Samsî-Addu et la combine sutéenne », dans :

Au XVIe siècle, à Sippar, des textes juridico-administratifs et des lettres font état de Sutéens (LÚ su-tu-ú désigne un individu, ERIN2.MEŠ su-tí un groupe), qui sont commerçants, fermiers, chargés de travaux publics sur le Tigre, négociateurs, etc.300 Des Sutéens font partie d’un contingent amorrite de soldats à Sippar301. Ils semblent donc intégrés dans la vie de la ville, mais ils peuvent être aussi qualifiés d’ennemis.

Au XVe siècle, la statue d’Idrimi, roi d’Alalah, les cite (vol2:104).Lorsqu’Idrimi, fils du roi d’Alep, quitte Emar où ses frères et lui s’étaient réfugiés après avoir été chassés d’Alep par le roi du Mitanni, il traverse le pays des « gens du sud » (les Sutéens) et y passe la nuit avant d’aller dans celui de Canaan :

13-16ANŠE.KUR.RA-ia GIŠ.GIGIR-ia ù LÚ SAḪAR / ù i-na ma-at hu-ri-ib-teKI / e-te-ti-iq ù lib-bi ERIN2.MEŠ su-tu-úKI / e-te-e-rub (je pris mes chevaux, mon char et mon cocher, je passai au pays du désert, je pénétrai parmi les bandes des gens du Sud).

[à noter que c’est par la mer, prudemment, qu’après sept années, il retournera dans le nord et deviendra roi d’Alalaḫ].

Son fils Niqmepa cite les Sutéens au début du traité qu’il conclut avec le roi Ir dIM de Tunip, mais le texte AT 211 + AT 212, qui porte le numéro 2 dans The Alalakh Texts de Donald Wiseman (on le notera AlT 2) est très abîmé dans cette partie :

5[…] mi-in […] ERIN2.MEŠ KUR su-tiKI

Au XIVe siècle, plusieurs des lettres envoyées au pharaon Akhénaton par les rois des grandes puissances ou ceux de la côte méditerranéenne évoquent les Sutéens, soit comme très menaçants, soit comme des alliés.

Dans la lettre EA 16, le roi d’Assyrie, Aššur-uballiṭ, impute à une poursuite des Sutéens le retard des messagers qu’il a envoyés au pharaon et qui, « en danger de mort », devaient être secourus. Dans les lettres EA 122 et 123, le roi de Byblos, Rib-Adda, accuse le commissaire Piḫura d’avoir envoyé des Sutéens pour tuer des gens. Dans EA 246 (, Biridaya de Maggida écrit : « Que le roi, mon seigneur le sache. Les deux fils de Lab’ayu ont donné de l’argent aux LÚ.SA.GAZ et aux Sutéens afin de faire la guerre contre moi. » Dans EA 318, ² supplie le pharaon de le sauver « des ennemis puissants, de la main des ‘Apiru, des pillards et des Sutéens ». Cf. vol2:105,107,109,111.

Par contre, dans EA 195 (vol2:108), le maire Biryawaza de Damas écrit au pharaon : « je suis, avec mes troupes et mes chars, avec mes frères, mes Ḫabiru et mes Sutéens, à la disposition des archers partout où le roi, mon seigneur, m’ordonnera d’aller. » Et, dans EA 169 (vol2:97), le fils d’Aziru d’Amurru, demandant que son père puisse revenir d’Égypte, rapporte ce que disent « tout le pays et les forces des Sutéens » (24gab-ba KUR.KUR.MEŠ / 25LÚ.MEŠ su-u-tu), montrant par là que des Sutéens servent auprès du roi d’Amurru.

300 Voir : DE GRAEF, Katrien, « Les étrangers dans les textes babyloniens tardifs de Sippar », Akkadica

111, p.1-48, et Akkadica 112, p.1-17, 1999, Bruxelles.

À plusieurs reprises, au XIVe siècle également, les textes hittites trouvés à Boğazköy font apparaître l’akkadogramme ŠU.TI dans un contexte militaire (luttes récurrentes contre les Gasgas et aux frontières), pour désigner des troupes légères et rapides, habiles aux coups de force. Elles apparaissent d’abord comme ennemies (de Šuppiluliuma I, défaites par lui, cf. KBo XIX,18, vol2 :111, et KBo V, 6, vol2:112), puis alliées (de son fils Muršili II) :

KUB XIX, 37, Recto, III : 26-30Alors, je me suis arrêté à Timmuḫala et j’ai envoyé les troupes ŠUTI. Comme Tapapanuwa s’était rebellé pour la seconde fois, elles ont brûlé Tapapanuwa et on a ramené en butin à Ḫattusa des prisonniers, des chevaux et des moutons302 (vol2:112).

Dans les Annales décennales, il semble que le terme de sutû (avec différentes graphies

ŠU.TI /TE, etc.) évoque également un genre de vie, comme celui des Gasgas, concuremment avec le mot hittite latti- (tribu nomade).

Deux textes trouvés à Ugarit mentionnent les Sutéens. L’un, RS 8.333303 (vol2:115), est une lettre du roi de Karkemiš à Ammistamru II qui concerne le rachat d’un prisonnier à des Sutéens, moyennant une rançon de 50 sicles. Dans l’autre, RS 34.151304 (vol2:115), un « informateur » assure de sa bonne volonté le roi d’Ugarit, qui lui a demandé des renseignements sur des Sutéens (c’est-à-dire sur leur localisation).

À partir de la fin du XIVe siècle et surtout aux XIIIe et XIIe siècles, les Sutéens apparaissent fréquemment dans les textes assyriens et en particulier ceux qui sont issus des régions de l’ouest du royaume (bassins du Baliḫ et du Ḫabur).

Dans les annales royales assyriennes, Adad-nêrârî I (fin XIVe-début XIIIe) décrit son père Arik-dên-ili comme « conquérant du pays de Kutmuḫu et de tous ses alliés, les Aḫlamu, les

Sutû, … » (A.0. 76-1, vol2:114). Si les Sutéens sont considérés ici comme hostiles, il s’agit d’une exception. En général, les groupes sutéens entretiennent des relations plutôt pacifiques avec les Assyriens. Ainsi, le texte KAJ 314 (vol2:114) décrit des moutons apportés à Salmanazar I (en paiement obligatoire, en cadeau ?), dont 16 moutons « à queue grasse » viennent des Sutéens (16 GUKKAL.MEŠ ša su-ti-e-MEŠ).

Les lettres trouvées à Dūr-Katlimmu et Ekalte confirment des relations suivies entre les Sutéens et les autorités assyriennes locales aux XIIIe et XIIe siècles. On y trouve de nombreuses mentions des Sutéens. Certes, certains « vagabondent » dans la région (le

302 GRÉLOIS, Jean-Pierre, « Les annales décennales de Mursili II », Hethitica IX, Peeters, Louvain-la-

neuve, 1988, p.17-146.

303 NOUGAYROL,Jean, Palais Royal d’Ugarit III, Imprimerie nationale et Klincksieck, Paris, 1955, p.7. 304 BORDREUIL, Pierre, Une bibliothèque au sud de la ville (III - F.Malbran-Labat : Lettres), RSO VII,

verbe employé est duālu, forme assyrienne, à l’accompli i-du-lu), mais d’autres apportent des moutons en cadeau : Dez 3439, 3311+3848/49, 3326 et Mbq-T42 (vol2:113).

Les fouilles récentes à Tell Sabi Abyad et Tell Chuera (Ḫarbe) ont mis à jour des textes montrant des relations encore plus étroites. C’est le cas d’un traité, trouvé à Tell Sabi Abyad, entre le sukallu rabiu (« grand vizir ») Ili Pada305 d’Assyrie et le chef du groupe sutéen des Niḫsanu. Il dispose que les Sutéens Niḫsanu ne devront fournir ni nourriture ni abri aux ennemis de l’Assyrie (les Cassites, les Suḫéens, les Subaréens et même les Sutéens d’autres groupes sont cités). Chaque partie (Ili Pada et le chef des nomades) devra protéger les droits de l’autre.

Le traité entre Ili Pada et un chef sutéen306

À cette époque, il n’y a pas trace de l’emploi de Sutéens comme auxiliaires de l’armée assyrienne, contraitement à ce qui semble avoir été le cas chez les Hittites et le sera à l’époque néo-assyrienne.

Parmi les textes tardifs mentionnant les Sutéens, le poème babylonien d’Erra (vol2:115), qui date du IXe siècle, est sans doute l’écho des grands troubles qui ont eu lieu en Babylonie du milieu du XIe siècle jusqu’à la fin du Xe :

« À Uruk, Sutéens et Sutéennes ont mis sens dessus dessous l’Eanna », « Que tout affaibli qu’il soit, Akkad terrasse les puissants Sutéens ».

À propos de ce poème, Jean-Robert Kupper dit qu’il traduit à quel point « le souvenir des Sutéens était resté vivace » :

Leur nom était connu d’un bout à l’autre du croissant fertile, leurs exploits rapportés avec crainte.

305 Il est appelé aussi : šar māt Ḫanigalbat (roi du Ḫanigalbat) et serait le fils d’Aššur Iddin, connu par

les lettres trouvées à Dūr-Katlimmu, lui-même descendant du roi Adad nêrârî I. Sa résidence est Dūr-Katlimmu. Cf. Cancik-Kirschbaum, Eva-Christiane, Die MittelAssyrischen Briefe aus Tall Šēh Hamad, Dietrich Reiner Verlag, Berlin, 1996, p.22.

Tentant partout de pénétrer dans les terres des sédentaires, les Sutéens ont dû représenter, des siècles durant, la menace barbare jaillissant du désert.

Le roi de Babylone Nabu-apla-iddina (IXe siècle) dit restaurer le temple de Sippar « détruit par les Sutéens ». Enfin, les Annales de Sargon II d’Assyrie (VIIIe siècle) mentionnent des LÚ su-ti-i ERIN2.MEŠ dans les troupes de Merodach Baladan II, roi de Babylone (vol2:114). Le livre de Jean-Robert Kupper comporte une étude très détaillée des textes connus à l’époque sur les Sutéens. Elle n’est pas « sociologique » en ce sens qu’elle n’aborde pas le mode de vie des Sutéens (ni son aspect éventuellement saisonnier307 avec alternance, en fonction des ressources en eau, de périodes de déplacement avec les troupeaux et d’installation fixe).

Michael Heltzer308 s’attache pour commencer aux textes de la période du Bronze moyen, afin d’étudier les « structures tribales »309 des Sutéens. À Mari, en tant que groupe, les Sutéens rendent au roi un service personnel (pas seulement militaire), pour lequel ils reçoivent un paiement. Ils sont partie prenante d’affaires juridiques et peuvent témoigner (dans ARMT VIII, 103, un témoin est présenté comme « le Sutéen »). Dans le sud, Sippar donne surtout des informations sur des individus, car les liens de groupe se distendent et les Sutéens s’intègrent progressivement aux populations sédentaires avec des professions variées et pas seulement comme soldats. Cependant, ils continuent à être désignés comme « Sutéens », sans mention de leur nom, donc considérés comme étrangers.

Pour Michael Heltzer, le mot « Sutéen » est devenu à la fin du deuxième millénaire

"ahistorical term designating nomadic warriors and tribesmen" et les Sutéens se confondent avec les Araméens.

307 Auquel on aurait pu confronter le concept mal compris de « double morphologie sociale » développé

par Marcel MAUSS dans son "Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos", Année

sociologique, tome IX, 1904-1905. Le « dimorphisme », au sens de Mauss, ne désigne pas la coexistence de deux populations dans un même territoire (par exemple des sédentaires et des nomades), mais deux modes de vie d’une même population, selon la saison : deux types d’habitat, deux ensembles de rites religieux, deux droits, etc.

308 HELTZER, Michael, with a contribution by Shoshana ARBELI, The Suteans, Istituto universitario

orientale, Naples, 1981.

309 Le hibrum de Mari, que le CAD traduit par clan, tribe et le AHw par Stamm (tribu), désigne selon

Jean-Marie DURAND la partie du clan qui s’en va avec les troupeaux à la pâture. Clan correspondrait

William Moran, dans « The Amarna Letters », considère, lui aussi, que « Sutéens » est devenu (au XIVe siècle) un terme générique pour désigner des bandes errantes et dangereuses (non des éleveurs nomades) :

"Suteans (sutû), name of an ancient tribe that by the Ancient period had acquired a more general sense and designated roaming and often dangerous bands".

Comme dit ci-dessus, la découverte de textes médio-assyriens a renouvelé ce qu’on savait sur le sujet des Sutéens, grâce à de nombreuses études310. Elle a mis en lumière des Sutéens entretenant, aux XIIIe et XIIe siècles, des relations suivies et pacifiques avec les autorités locales assyriennes mais restés nomades, organisés en clans, éleveurs coexistant avec des populations sédentaires. C’est ce qu’écrivait en 1981, déjà, John Nicholas Postgate311, avant de conclure que les Sutéens se seraient fondus ensuite parmi les Araméens.

Ainsi, les chercheurs jugent pour la plupart que le mot « Sutéen » a désigné progressivement, en Mésopotamie et sur la côte méditerranéenne, un mode de vie nomade plus qu’une population précise (le cas des textes hittites et de l’Anatolie étant plus obscur). Mais est-ce déjà le cas dès avant le XIVe siècle ? Les textes manquent pour répondre.

D’autres populations d’éleveurs de moutons ont vécu et circulé en Mésopotamie et en Syrie pendant le même millénaire. Pourtant, seule l’appellation de « Sutéens » a survécu. Le nom des tribus amorrites, Benjaminites et Bensimal’ites, a disparu des sources avant même la fin des royaumes amorrites et l’installation de la dynastie cassite (vers 1525) à Babylone. Le nom d’Ahlamû, que l’on trouve dans les annales assyriennes et les textes babyloniens (y compris paléo-), s’efface peu à peu avec la progression des Araméens. Seul celui de « Sutéen » traverse toute cette période, souvent combiné dans les textes avec le nom d’autres nomades dans des expressions telles que : Sutéens et Benjaminites, plus tard Sutéens et Ahlamû, et enfin Sutéens et Araméens.

Pourquoi la persistance du mot « Sutéen », de préférence aux autres ? L’exemple médio- assyrien tendrait à indiquer qu’il y avait un certain équilibre entre éleveurs et agriculteurs