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Fut bonne en ce temps-là, beaucoup furent touchés par les plombs

1. Les ʿApiru/Ḫabiru

Peu de sujets ont fait couler autant d’encre depuis qu’à la fin du XIXe siècle (ap. J.-C.), on a découvert, parmi les lettres trouvées à El Amarna, cinq lettres écrites à Jérusalem (EA 286 à 290) dans lesquelles figurent des LÚ.MEŠ ha-BI-ru (BI pouvant être lu : pí ou bi).

EA 286 : Abdi-Ḫeba de Jérusalem se plaint auprès du roi d’Égypte d’avoir été calomnié parce qu’il l’a mis en garde contre les agissements de Milkilu [NB : « maire » de Gazru] : « Le roi n’a plus de pays. Ce Ḫabiru a pillé tous les pays du roi » (vol2:129).

EA 287 : Abdi-Ḫeba demande au roi d’Égypte d’envoyer des troupes qui stationneraient de façon permanente à Jérusalem pour protéger la ville contre Milkilu et les fils de Lab’ayu [NB : de Šakmu/Sichem] : « C’est l’action de Milkilu et l’action des fils de Lab’ayu, qui ont donné le pays du roi aux Ḫabiru» (vol2:131).

EA 288 : « Tous les maires sont en paix, mais je suis en guerre. Je suis traité comme un Ḫabiru. Je me trouve comme un navire au milieu de la mer. […] Les Ḫabiru ont pris les villes mêmes du roi (d’Égypte) » [NB : ils ont tué les maires des villes fidèles] (vol2:133).

EA 289 : Comme Milkilu et les fils de Lab’ayu intriguent avec Qiltu pour prendre des villes qui appartiennent à Jérusalem, Abdi-Ḫeba s’exclame : « Devons-nous agir comme Lab’ayu lorsqu’il donnait la ville de Šakmu aux Ḫabiru ? » et demande 50 hommes au pharaon pour protéger le pays (vol2:136).

EA 290 : Abdi-Ḫeba annonce au roi d’Égypte que Milkilu et Šuwardata [NB : de Qiltu] ont rassemblé contre lui les forces de trois villes, Gazru, Qiltu et Gimtu. « Et maintenant, une ville appartenant à Jérusalem est passée aux côtés de Qiltu ». Si le pharaon n’envoie pas de troupes pour la reprendre, tout le « pays du roi » passera aux Ḫabiru (vol2:137).

À une époque où les recherches assyriologiques étaient souvent le fait de biblistes, certains ont vu dans ce mot, lu « Ḫabiru », la préfiguration des Hébreux. Il s’en est suivi de

longs débats jusqu’à ce que d’autres découvertes, et en particulier celle de la langue ougaritique, aient clos certaines hypothèses et suscité de nouvelles questions qui ne sont pas toutes tranchées aujourd’hui, illustration passionnante d’une science en train de se construire. En 1953, la 4e Rencontre assyriologique internationale a été consacrée aux Ḫabiru et la synthèse des échanges, faite par Jean Bottéro, est un livre de référence339, comme l’est celui, écrit de façon indépendante, de Moshe Greenberg340 (à eux deux, ils ont réuni plus de 200 textes où les Ḫabiru sont présents). De nombreux travaux ont été publiés depuis, qu’il ne peut être question de présenter ici : on se concentrera sur ce qui touche à la « traversée des frontières ».

Hugo Winckler, ayant fait observer en 1901 que les gens dont le nom est écrit syllabiquement ḫa-BI-ru dans les cinq lettres de Jérusalem jouent le même rôle d'agitateurs que les LÚ.MEŠ SA.GAZ/GAZ dans 56 autres lettres trouvées à El Amarna, propose en 1907 d’identifier Ḫabiru et LÚ.MEŠ SA.GAZ.

Cependant, il s’interroge sur la signification à donner à l’écriture idéographique SA.GAZ dans ce contexte. Le sumérogramme GAZ est utilisé souvent pour l’acte de piller, et LÚ SA.GAZ renvoie à l’auteur de cet acte : brigand341, notion que l’akkadien rend couramment par le mot habbātu. Dans les

lettres d’El Amarna, faut-il comprendre LÚ SA.GAZ (et aussi ḫabiru) comme : brigand ?

On touche ici une difficulté déjà plusieurs fois rencontrée. Le fait qu’un idéogramme sumérien ait été utilisé dans l’écrit d’une langue autre (par exemple l’akkadien) à des époques et dans des régions très diverses rend hasardeuse sa lecture - c’est-à-dire la recherche d’un équivalent pour cet idéogramme - à une époque et dans une région particulières (et éventuellement dans une autre langue que l’akkadien). Or, après celles d’El Amarna, de nombreuses mentions à la fois des Ḫabiru (en écriture syllabique) et des SA.GAZ/GAZ sont découvertes aussi bien en Mésopotamie, qu’en Syrie ou en Anatolie, ce qui indique une présence nombreuse : à Larsa (fin XIXe), à Mari (XVIIIe), à Alalaḫ (XVe), à Nuzi (XIVe), à Boğazköy (XVIIe, puis XIVe), etc.

De très nombreux textes de Mari citent les Ḫabiru, toujours en écriture syllabique (une liste d’extraits figure dans Le problème des Habiru). Dans son cours de l’année 2004-2005 au Collège de France, Jean-Marie Durand revoit ces textes, qui ont l’avantage d’être souvent de véritables récits et non de simples allusions, sous différents aspects sur lesquels nous reviendrons ci-dessous.

339 BOTTÉRO, Jean, « Le problème des Habiru à la 4e Rencontre assyriologique internationale – 29 juin- 1er juillet 1953 – Paris », Cahiers de la Société asiatique XII, Imprimerie nationale, Paris, 1954.

340 GREENBERG, Moshe, The Hab/piru, American Oriental Society, New Haven (Connecticut), 1955. 341 Le sens le plus fréquent de SA est : tendon (cf. le site ETCSL). SA.GAZ serait littéralement : le frapp

À Alalaḫ342, les Ḫabiru sont surtout présents dans les listes militaires : par exemple comme

ERIN2.MEŠ LÚ SA.GAZ dans les tablettes AlT 183 (vol2:127), 226, 231 et 350 (vol2:127), avec des attestations plus sporadiques dans AlT 198 (neuf Ḫabiru), AlT 164 et AlT 184. Un témoignage en est aussi la statue d'Idrimi, puisque celui-ci revient du pays de Canaan accompagné des Ḫabiru

(SA.GAZ).

Ils sont recensés par leur lieu d'origine et non, comme les autres catégories, par leur nom ou celui de leur père. Ils sont donc d'origine étrangère. Certains viennent du royaume d'Alalaḫ (mais ont changé de ville), d'autres viennent d’autres pays : Amurru, Canaan, Ebla, Emar, Ḫalab, Nuḫašše ou Qaṭna. Pourquoi à Alalaḫ ? Cela a peut-être à voir avec la re-fondation de la ville par Idrimi : celui-ci commence sa vie publique en Canaan, séjournant au milieu de Ḫabiru qui sont en partie comme lui des réfugiés de Ḫalab/Alep (Idrimi a dû fuir Alep après le meurtre du roi, son père). Ces Ḫabiru

combattent avec lui et s’établissent dans les lieux qu'il a conquis avec leur aide, à Alalaḫ pour finir. Ils y sont une population « non autochtone » et c’est leur enrôlement dans l'armée sous Niqmepa d’Alalaḫ, successeur d’Idrimi, qui symbolise leur intégration comme sujets du royaume, acceptant son autorité. On trouve, pour certains individus, la mention de leurs aptitudes particulières (charpentiers, forgerons, …) ou des fonctions qu’ils assument (maire, devin, …).

Les textes de Nuzi comportent de nombreux contrats de travail avec des Ḫabiru (dont quelques femmes, comme une musicienne), qui se mettent individuellement et volontairement au service d’habitants de Nuzi et sont donc des individus libres, non des prisonniers de guerre réduits en servitude.

Dans les textes hittites, il faudrait, d’après Andrea Bemporad343, distinguer les textes anciens (XVIIe -

XVe siècles) de ceux de l’époque récente (à partir du XIVe siècle). Les premiers mentionnent des ERIN2.MEŠ SA.GAZ ou des ERIN2.MEŠ ḫa-bi-ri-iš comme étant des troupes auxiliaires : ainsi CTH 13, CTH 818 ou CTH 27, qui ferait état d’un serment réciproque entre le Ḫatti et les SA.GAZ (à l’époque de Muršili I ?). Andrea Bemporad appelle les SA.GAZ: fuoriusciti, qu’on pourrait traduire par « partis ailleurs » (avec souvent une nuance politique en italien). Les plus récents ne font pas état de participation militaire. Les Ḫabiru figurent dans des textes cultuels, toujours associés aux Lullaḫḫu. Plusieurs traités et documents internationaux citent les dieux des Ḫabiru : DINGIR.MEŠ ḫa-ab-bi-ri / SA.GAZ, comme le traité entre Muršili II et Tuppi-Tešub d’Amurru (CTH 62). Le préambule de l’arbitrage de Muršili II sur Barga (CTH 63) appelle « LÚ SA.GAZ » le grand-père de Tette, roi du Nuḫašše (est-ce pour dire que son père était étranger et qu'il n'avait aucun droit à l’objet du litige, Iyaruwatta ?). On peut citer aussi l’édit en akkadien de Ḫattušili III sur les « Ḫabiru du Soleil » (RS 17.238 ; CTH 94 ; PRU IV, p.107 ; vol2:140), qui a donné lieu à de multiples interprétations : « Si un serviteur du roi de l’Ugarit, ou un fils de l’Ugarit, ou un serviteur d’un serviteur du roi de l’Ugarit s’en va et pénètre dans le territoire des Ḫabiru de mon Soleil, moi, grand roi, je ne l’accepterai pas. Au roi de l’Ugarit, je le rendrai. »(voir ci-après le paragraphe « Reprendre ceux qui s’enfuient »).

L’écriture syllabique ḫa-BI-ru a, elle aussi, posé un problème : que peut-on dire des deux premières consonnes ? C’est en effet à l’aide d’une syllabe commençant par ḫ que le cunéiforme syllabique note la consonne ʿ (« ayin ») des langues ouest-sémitiques.

342 VON DASSOW, Eva, "State and Society in the Late Bronze Age, Alalaḫ under the Mittani Empire",

SCCNH 17, 2008, p.105-111 et p.344-348.

La numération AlT est celle figurant dans The Alalakh Tablets de Donald WISEMAN, 1953.

Par ailleurs, la distinction entre les consonnes b, sonore, et p, sourde, n’est pas toujours nette. Faut-il alors lire dans les lettres d’El Amarna : ʿapiru, ʿabiru, ḫapiru, ḫabiru ? Et ailleurs, qu’en est-il à Mari, par exemple, où le mot n’apparaît qu’en écriture syllabique et où les références sont beaucoup plus anciennes ?

Deux faits toutefois ont conduit à un large consensus sur le choix du « ayin » pour la première consonne :

- la présence de ʿprw dans des textes égyptiens, dont l’inscription de la stèle d’Aménophis III commémorant au XVe siècle ses campagnes en Syrie, ou celle de la stèle de Séthi I, du XIIIe siècle, découverte en 1921 à Beisan et déchiffrée en 1945 (le « ayin » égyptien est utilisé pour transcrire le « ayin » des mots sémitiques)344 ; James Hoch ajoute que ces textes désignent par ʿprw une catégorie sociale et non ethnique ;

- et la découverte en 1929 de la langue ougaritique, puis le déchiffrement de l’écriture alphabétique (qui note bien évidemment le « ayin ») ; des ʿpr.m figurent dans des textes d’Ugarit (par exemple, RS 11.724 : Ḫlb ʿprm šn, deux ʿApiru de Ḫlb, et RS 18.148,

vol2:128), alors que, dans les textes en akkadien, on trouve également des LÚ.MEŠ SA.GAZ : ainsi, dans les dispenses qu’octroie le roi d’Ugarit d’avoir à loger un étranger (ubāru) ou un LÚ SA.GAZ, comme dans le texte RS 15.109 (LÚ-lu ub-ru a-na É- šu la-a i-ru-ub […] LÚ.MEŠ SA.GAZ.ZA a-na É-šu la i-ru-ub, le ubru n’entrera pas dans sa maison, les Ḫabiru n'entreront pas dans sa maison) ; ou encore dans l’édit RS 17.238 déjà cité, trouvé à Ugarit, du roi hittite Ḫattušili III garantissant au roi d’Ugarit qu’il lui restituera toute personne se réfugiant chez les « Ḫabiru du Soleil »

Par contre, la question de la deuxième consonne, posée dans le titre même de l’ouvrage de Moshe Greenberg, n’est pas définitivement tranchée aux yeux de tous, bien que la préférence aille au p plutôt qu’au b. Dans la suite, nous écrirons le mot selon l’orthographe retenue par l’auteur cité.

La question la plus délicate est évidemment celle du sens du mot. Qui étaient véritablement les gens qu’il désigne ?

On a interrogé tout d’abord l’étymologie mais, comme le disait Jean Bottéro, elle n’est guère d’utilité sur le plan sémantique. Les hypothèses qui ont été proposées traduisaient l’incertitude sur les consonnes (surtout avant la découverte de l’ougaritique) mais aussi,

344 Cf. Hoch, James E., Semitic Words in Egyptian Texts of the New Kingdom and Third Intermediate

parfois, l’idée a priori qu’on se faisait de cette population (dont sa relation éventuelle avec les Hébreux).

En 1924, Édouard Dhorme voit dans les Ḫabiru « essentiellement l’élément hostile à la domination égyptienne sur les pays d’Amurru et de Canaan ». En 1938, il présente les

Ḫabiru comme étant surtout des déportés (racine ḪBR, lier, faire prisonnier).

En 1927, Julius Lewy écrit que ḫabiru est un « appellatif », un nom commun et non d’abord un nom de peuple. Il précise en 1939 que le mot, dérivé de l’ouest-sémitique (racine ʽBR), désigne celui qui a passé la frontière, « émigrant/émigré, personne qui est venue d’ailleurs dans le pays où elle se trouve ».

Pour Benno Landsberger, qui étudie en 1929 les textes découverts à Boğazköy et à Nuzi, le mot ḫabiru, « peut-être emprunté à l'ouest-sémitique, mais d’étymologie obscure », marque non pas une origine ethnique (car les groupes de Ḫabiru sont ethniquement disparates) mais un état social : il s’agit d’individus isolés sans lien tribal ou familial dans les pays où ils se trouvent, qui peuvent être forcés par les États de se grouper ou bien agir pour leur propre compte.

Même après les découvertes d’Ugarit et le choix de la première consonne, on n’a pas abouti à un accord. Le sens est cependant reconnu comme se référant, au moins partiellement, à une situation sociale et au caractère d’étranger (Rencontre assyriologique de 1953).

En 1980, Jean Bottéro revient sur les Ḫabiru dans un long article345 et propose sa propre conception, que le titre résume bien et dont voici les principaux éléments.

LÚ SA.GAZ répond à ḫabiru dans nombre de textes cunéiformes à partir du premier tiers du deuxième millénaire. Des LÚ SA.GAZ sont présentés à l’époque paléo-babylonienne comme des bandes errantes de brigands, hors d’atteinte de l’autorité constituée. Mais ces LÚ SA.GAZ sont plutôt entendus en akkadien comme des ḫabbātu (et non comme des ḫabiru).

Les Ḫabiru apparaissent dotés d’un statut social « négatif ». Ce sont des individus en situation marginale et « à part », déracinés, non intégrés à un groupe organisé quelconque. L’expression « demeurer chez les Ḫabiru », sans indication de lieu, leur suppose un caractère itinérant. Ils sont décrits comme des bandes errantes (kalbu ḫalqu : chiens perdus). La désignation de Ḫabiru n’a jamais un sens ethnique, mais seulement social (c’est un mode de vie). Il n’y a jamais trace d’une quelconque structure tribale ou d’une autorité autonome propre. Il existe parfois une autorité « déléguée » par un souverain, ce qui suppose des Ḫabiru « annexés » par les sédentaires.

On n’est pas ḫabiru de naissance, on le devient. Une lettre de Mari définit un ḫabiru comme quelqu’un qui s’est enfui. Dans une autre, l’auteur dit qu’il est devenu ḫabiru en se réfugiant à tel endroit. Quiconque se détermine à rompre des attaches de toute sorte pour s’en aller ailleurs et s’y réfugier, peut donc, par là, devenir un ḫabiru. Mais ḫabiru n’est pas synonyme de munnabtu (fuyard). Pour que quelqu’un soit considéré comme un ḫabiru, il faut que son départ le conduise à s’agréger à des

345 BOTTÉRO, Jean, « Entre nomades et sédentaires : les Ḫabiru », Dialogues d'histoire ancienne n°6,

individus ayant dû faire de même et qui, même s’ils mènent une existence de nomades, n’instituent pas entre eux les liens traditionnels, l’armature politique qui les auraient assimilés à une tribu.

Leurs rapports avec les sédentaires et les nomades sont doubles. Négatifs, lorsqu’ils se livrent à des rapines comme les LÚ SA.GAZ / ḫabbātu (mais ces derniers sont des brigands « professionnels » alors qu’eux le font pour subsister). Positifs lorsque, contrairement aux ḫabbātu, ils se mettent au service d’une autorité, aubaine pour les souverains qui ont besoin de troupes, mais pouvant aussi être voués à des tâches pacifiques pour lesquelles ils reçoivent des rations alimentaires, comme à Nuzi. De plus, à titre individuel, certains Ḫabiru se placent librement « au service de », notamment s’ils ont un métier, et reprennent éventuellement une vie citadine.

Entre les sédentaires, qu’ils ont quittés, et les nomades, qu’ils n’ont pas réussi à devenir, les Ḫabiru constituent un état intermédiaire. Ils aspirent à retourner à leur cadre de vie antérieur (sédentaire), ailleurs toutefois que dans le lieu qu’ils ont quitté. Ce sont des nomades « accidentels ».

Si Oswald Loretz montre346 une préférence pour l'étymologie ʿbr, traverser (cf. ebēru ou רבע), Daniel Fleming suggère347 que ḫabirum est probablement une forme du verbe ʿabārum, partir (de chez soi) pour aller dans un autre lieu et, le plus souvent, une autre entité politique.

De même, Jean-Marie Durand348 indique : « L’information essentielle que nous apportent les textes de Mari est que le terme de haBIrum […] entre dans un système lexical qui l’apparente au verbe haBĀrum, toujours à la forme accomplie ih-BU-ur, qui signifie « quitter son chez soi ».

Toutes les attestations ont en effet une connotation de quitter sa « maison » (lieu de résidence, mais aussi groupe ou communauté politique) pour un autre lieu, qu'il s'agisse de transhumance (hib/prum,

ʿib/prum est la partie du groupe qui part du campement pour aller avec les troupeaux dans la steppe) ou de départ forcé (hāb/pirūtum, exil). Si haBārum peut désigner parfois le départ volontaire de quelqu’un qui s’en va au loin, le ḫabiru est presque toujours quelqu’un qui est parti contre son gré, dans des circonstances dramatiques, un exilé politique restant éventuellement près de la frontière dans l’attente d’une occasion de retour (comme Idrimi), parfois protégé par le souverain de l’État voisin. Ce peut être aussi une partie d’une communauté en désaccord avec une autre qui s’exile, ou même toute une communauté.

Ainsi, le mot est utilisé largement au Bronze récent pour désigner une catégorie particulière de gens « qui partent », ou « sont partis », pour des raisons multiples : politiques, économiques, militaires, criminelles, … La situation dans laquelle ils se trouvent et le rôle qu'ils jouent ensuite sont très divers. Jusque très récemment, on considérait qu’ils pouvaient être des hors-la-loi aux marges de la société, ou bien rechercher la sécurité en servant un

346 LORETZ, Oswald, Habiru-Hebräer: eine sozio-linguistische Studie über die Herkunft des Gentiliziums

ʿibrî von Appellativum habiru, W. de Gruyter, Berlin, 1984.

347 FLEMING, Daniel E., Democracy’s Ancient Ancestors: Mari and Early Collective Governance,

Cambridge University Press, Cambridge, 2004. Voir p.95-100.

348 DURAND, Jean-Marie, « Le problème des haBirum et l'étymologie du terme "hébreu" », dans :

Résumés annuels 2004-2005 (www.college-de-France.fr/site/jean-marie-durand/resumes.htm),

nouveau maître et même, lorsque celui-ci était le dirigeant d'un État, devenir un groupe cohérent (voie vers une intégration).

Un article de Daniel Fleming349, consacré principalement aux ʽApiru des lettres d'El Amarna, s’interroge sur les situations qui ont conduit, là comme dans d’autres lieux, à la constitution de groupes nombreux.

Dans les débuts du IIe millénaire, on trouve des groupes d'ʽApiru enrôlés militairement, mais de leur bon vouloir, puisqu’étrangers.

À l'époque d'El Amarna, les lettres décrivent les ʽApiru comme des groupes puissants, cohérents, reliés entre eux et constituant la base politique du royaume d'Amurru. Ils apparaissent capables de menacer tout royaume du Levant égyptien ; plusieurs des États « vassaux » les considèrent comme rebelles à l'autorité de l'Égypte. Plusieurs lettres parlent de « la guerre des ʽApiru » (EA 68, 71, 75, 185, 243, 313, 366). Rib-Adda de Byblos assimile Abdi-Aširta d’Amurru aux ʽApiru, « grâce auxquels » celui-ci est fort et peut prendre les villes du pharaon. Mais les ʽApiru ne sont jamais identifiés par une ville.

Sont-ils des mercenaires ? Dans EA 246, Biridiya de Meggido se plaint de ce que les fils de Lab'ayu aient payé les ʽApiru et les Sutéens pour lui faire la guerre (5-72 DUMU.MEŠ mla-ab-a-ia te-ed-[di]n- na KÙ.BABBAR-šu-ni a-na LÚ.MEŠ SA.GAZ ù LÚ.MEŠ KUR s[u-ti]. Mais ils paraissent libres de donner ou non leur allégeance.

Il serait erroné de les considérer comme des gens vivant en marge de la société (urbaine), même s'ils n'habitent pas en ville. Par exemple, le roi Lab'ayu (de Šakmu) est assez lié aux ʽApiru pour écrire au pharaon qu'il ne sait pas où se trouve son fils, qui « circule » avec les ʽApiru (EA 254, 33-35DUMU-ia it- ti LÚ.MEŠ SA.GAZ it-ta-na-la-ku). Biryawaza (de Damas) écrit au pharaon : « Je suis au service des armées égyptiennes "avec mes troupes et mes chars, avec les miens, avec mes ʿApiru, avec mes

Sutû" » (EA 195, 24-29qa-du ERIN2.MEŠ-ia ù GIŠ.GIGIR.MEŠ-ia ù ŠEŠ-ia ù LÚ.MEŠ SA.GAZ-ia ù LÚ.MEŠ su-te-ia), plaçant ainsi les ʽApiru entre ses proches, qui sont installés en ville, et les Sutéens, « vrais » nomades, qui vont dans la steppe350.

C’est ici qu’il peut être utile de faire une comparaison avec les Hanéens de Mari, éleveurs qui sont des