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A man says he was born in Hungary, grew up in Poland, went to school in Slovakia, and got his first job

1. Frontières, deux philosophies : l’Égypte et l’empire hittite

L’Égypte, État centralisé fortement conscient de lui-même

Dans The Egyptian Concept of Frontier 185, José Galán observe que, même si les frontières « extérieures » de l’Égypte reflètent l’état des relations du roi d’Égypte avec les pays étrangers, c’est lui seul qui fixe les frontières : déterminer une frontière relève d’un acte unilatéral de sa part et non d’un accord mutuel avec une autre puissance.

Le pharaon se doit de repousser les frontières (swsḫ t

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šw 186), pour le bien du dieu Amon par exemple (Thoutmosis III), et pas seulement de les sécuriser, le mot t

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š 187 désignant la (région) limite du territoire sur lequel s’exerce une autorité.

Galán distingue trois niveaux dans les relations du roi égyptien avec les autres pays, qui commandent pour finir le tribut, les impôts ou les cadeaux qu’il est susceptible d’en obtenir.

Il y a d’abord les pays dont le territoire est considéré comme « à l’intérieur des frontières » (qu’on appellerait par un anachronisme : « vassaux »), qui doivent lui envoyer régulièrement des biens et verser un tribut. Que recevaient-ils en échange ? Des vivres ? En tout cas, une protection (naṣaru) ?

185 GALÁN, José M., “The Egyptian Concept of Frontier”, in: Landscapes: territories, frontiers and

horizons in the Ancient Near East: papers presented to the 44e Rencontre Assyriologique Internationale, Venezia, 7-11 July 1997, part II, Sargon, Padova, 2000, p. 21-28. Voir aussi : GALÁN,

José M., “Victory and Border : Terminology related to Egyptian Imperialism in the XVIIIth Dynasty”, Hildesheimer Ägyptologische Beiträge 40, Gerstenberg Verlag, Hildesheim, 1995.

186 Que J. Galán compare à l’inscription royale assyrienne dans laquelle Adad nêrârî I décrit son père

Arik dên Ili comme : murappiš miṣrī u kudurri, the one who extends the borders and boundaries (cf. RIMA 1, A.0.76.1, p.131-132 ; vol2:114). On trouve déjà cette expression au début du IIe millénaire, dans le conte de Sinouhé (papyrus 3022, B, ligne 71).

D’autres pays, notamment ceux qui sont juste « de l’autre côté » des frontières et dont les responsables ne reconnaissent pas l’autorité du pharaon (c’est-à-dire ne lui envoient aucun tribut et ne lui payent aucun impôt), sont considérés comme des pays ennemis, dont il faut amener les régions limitrophes (ḏrw), si nécessaire par la force, « à l’intérieur » (in ḏrw : to bring in the limits), de façon à en obtenir des biens. De deux façons différentes, swsḫ t3šw et in ḏrw disent que le roi égyptien repousse les frontières vers l’extérieur ou amène les régions limitrophes à l’intérieur.

Enfin, il y a les pays de plus grande importance dont l’Égypte reçoit des cadeaux, mais sans caractère exclusif ni régulier, et auxquels elle en envoie. Ce sont les États « frères », dont le souverain est considéré comme un égal par le pharaon, notablement la Babylonie, le Mitanni, l’empire hittite et à partir du XIVe siècle l’Assyrie188.

Les petits États syriens se situent dans l’une des deux premières catégories, suivant leur plus ou moins grande proximité géographique avec l’Égypte et selon l’époque.

L’empire hittite, un État menacé de toute part

L’empire hittite, pendant toute sa durée, a souffert du voisinage de peuples « agités », plus ou moins menaçants comme les Gasgas au nord, ou d’États puissants comme l’Arzawa à l’ouest, le Mitanni puis l’Assyrie au sud-est, et par conséquent de limites territoriales instables. Il est donc naturel qu’il ait accordé une grande place à ce problème et ait cherché à s’en prémunir.

Comment a-t-il procédé ? Les textes diplomatiques, et surtout les traités189, apportent un éclairage sur la pratique de l’empire hittite en matière de frontières et sur la conception sous- jacente190.

188 Dans la lettre EA 16 d’El Amarna, le roi d’Assyrie Aššur uballiṭ I se présente au pharaon

Aménophis IV comme « roi du pays d’Aššur, grand roi (LUGAL.GAL), ton frère (ŠEŠ-ka) ». C’était la première fois qu’un roi d’Assyrie se décrivait comme tel, ce qui entraîna une vive protestation de la part du roi de Babylone Burna-Buriaš II, arguant du fait que le roi d’Assyrie était en réalité son « vassal ».

189 Voir BECKMAN Gary, HDT.

190 Voir l'analyse fine de Trevor Bryce (BRYCE Trevor, “The boundaries of Hatti and Hittite Border

L’empire hittite et ses voisins191

Les souverains hittites ont cherché à établir des zones tampons constituées, selon le cas, par une région du pays hittite éloignée du centre, un pays voisin192 ou un pays allié par traité. Au nord et au nord-est, où il s’agit de se protéger contre les Gasgas, il y a eu de façon régulière sur la période un effort de repopulation des régions que ceux-ci occupent ou qu'ils ont laissées vides. Muršili II y installe des NAM.RAMEŠ (déportés), alors que Ḫattušili III préfère installer une population hittite dans les villes, en en bannissant explicitement les Gasgas qui n’ont même pas le droit d’y pénétrer (à l'exception des marchands dans quelques villes et pour des périodes limitées).

Cependant, le traité concernant la ville de Tiliura (CTH 89) accepte l’existence, dans les zones frontières et par exemple pour les droits de pâturage, de relations entre les Hittites et les Gasgas « alliés » (par opposition à ceux qualifiés « d’ennemis »). Tous les Gasgas ont interdiction de pénétrer dans les villes frontières du Ḫatti, mais les Gasgas « alliés » ont une certaine liberté de mouvement autour et semblent avoir fait paître leurs troupeaux dans les mêmes zones que les Hittites. Ils se voient alors transférer la responsabilité de la surveillance des zones de pâturage (les Gasgas « ennemis » ne doivent pas y pénétrer) et ont l’obligation de compenser toute perte de bétail due aux « ennemis ».

A l’est (Išuwa) et au sud-est (Kizzuwatna), il s'agit, pendant une grande partie du

XIVe siècle, de tenir à distance le Mitanni et les territoires sous domination hourrite. Le pouvoir hittite combine des opérations militaires et diplomatiques dans ces États placés entre les sphères d’influence hittite et hourrite (ultérieurement assyrienne), dont la préférence allait au Mitanni mais qui ont dû faire allégeance alternativement au Ḫatti et au

191 Source : http://commons.wikimedia.org/wiki/image:Hatti.JPG 192 Le mot hittite pour voisin est : araḫzena.

Mitanni. L’Išuwa et le Kizzuwatna ont en effet une importance stratégique considérable, le premier parce qu'il se trouve entre le Ḫatti et le Mitanni, le second parce qu’il conditionne les communications entre le Ḫatti et la Syrie.

L’Išuwa constitue un triple danger pour le Ḫatti, qu'il agisse lui-même contre le Ḫatti, fournisse un refuge aux déserteurs ou donne au Mitanni l’accès au territoire hittite. Avant sa première expédition syrienne, Šuppiluliuma I fait donc campagne contre l’Išuwa dans le but d’en faire un État tampon avec le Mitanni et, par la suite, l’Išuwa ne le menace plus.

Quant au Kizzuwatna, un prédécesseur de Šuppiluliuma I (qu'on pense être Tudhaliya II) conclut un traité avec son roi, Šunašura (CTH 41). Dans un article réédité en 2004193, Mario Liverani montre que

ce traité, sous couvert de la réciprocité qui aurait existé antérieurement, est déjà en réalité un traité de vassalité : ainsi, le traité aborde la question des limites territoriales de façon apparemment symétrique, mais il stipule que le roi hittite peut fortifier des villes dans la zone frontière, alors que Šunašura ne le peut pas, et il entérine l'annexion par le Ḫatti d'un territoire du Kizzuwatna.

De façon particulièrement intéressante, l'article de Liverani met en évidence, dans ce traité « bilatéral », une troisième partie à l'arrière-plan : le Mitanni. Cette interprétation illustre ce qui a été évoqué dans l'introduction : la frontière comme une relation à trois, et pas seulement à deux.

Il était indispensable au succès des campagnes de Šuppiluliuma I contre le Mitanni de contrôler ou au moins de neutraliser le Kizzuwatna. Des traités visent à régler les relations entre le Kizzuwatna et le Ḫatti. Ainsi CTH 25 est un accord pour ne pas rebâtir certaines villes frontières (anciennes garnisons ?), sorte de démilitarisation de la région où elles se trouvent. CTH 26 est un accord de restitution mutuelle d’habitants, sans doute des nomades, qui « traverseraient la frontière » avec leurs troupeaux.

Au sud-ouest, le Ḫatti fait du « Bas Pays » une zone frontière militaire pour se protéger de l’Arzawa et des États d’Anatolie de l’ouest.

Šuppiluliuma I fait rétablir dans cette région l’autorité hittite et y implanter des bases militaires. Elle joue par la suite un rôle tampon important (Muršili II et Ḫattušili III la traverseront sans encombre dans leur lutte contre l’Arzawa pour l’un et le Lukka pour l’autre).

Au sud, c'est-à-dire en Syrie, la zone d’influence du Ḫatti s'étend dans la partie nord à partir de la première guerre syrienne de Šuppiluliuma I et ceci malgré des révoltes encouragées par d’autres puissances (le Mitanni puis l’Égypte), comme celles à laquelle doivent faire face Šuppiluliuma I entre la première et la deuxième des « guerres syriennes » et plus tard Muršili II. Le partage de la Syrie entre le Ḫatti et l'Égypte, qui garde une mainmise sur la partie méridionale, est « flottant » (un État comme l'Amurru doit changer deux fois de camp), indécis, et ne se stabilise qu'avec le traité de paix entre Ḫattušili III et Ramsès II.

193 LIVERANI, Mario, "Shunashura, or : On Reciprocity", Myth and politics in ancient Near Eastern

historiography, edited and introduced by Zainab Bahrani and Marc Van De Mieroop, Ithaca (NY), 2004, p.53-81.

Pendant toute la période, le Ḫatti conclut avec les États syriens des accords bilatéraux (la « troisième partie », en reprenant l'analyse ci-dessus de Liverani, est d'abord le Mitanni, puis l'Égypte) et il pratique une politique de division entre eux, encourageant voire suscitant les rivalités entre ces royaumes et en particulier leurs désaccords territoriaux.

Il définit leurs limites territoriales en stipulant qu’un mouvement au-delà de ces limites constitue une agression : officiellement, le pouvoir hittite protège ainsi chaque État de ses voisins, mais surtout il réduit le risque d’une coalition de ces États contre lui-même.

Zones d'influence en Syrie au début du XIIIe siècle (époque de Ḫattusili III et de Ramsès II)194 En conclusion, chacune des régions frontières présente un problème spécifique pour les Hittites, ce qui les conduit à des solutions différenciées.

Dans tous les cas, soit un État est lié par un traité au royaume hittite, soit il est considéré comme un ennemi. Le traité (parfois un édit) détermine quel type de relation un État noue avec le Ḫatti. Il est aussi, si nécessaire, l’instrument de fixation des frontières, comme nous le verrons