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Fut bonne en ce temps-là, beaucoup furent touchés par les plombs

2. Ceux qui cherchent refuge, exilés et fugitifs

La statue d’Idrimi raconte au XVe siècle qu’après qu’une catastrophe s’est produite à Alep (son père, le roi d’Alep Ilim-ilim-ma, a vraisemblablement été tué lors d’une attaque par le Mitanni), ses frères plus âgés et lui-même se réfugient à Emar où « les gens étaient de la parenté » de leur mère : « nous voici habitant Emar ». Mais « qui se trouve chez les Emariotes est assurément un serviteur ». La situation de réfugié lui semble suffisamment subalterne pour que, contrairement à ses frères (« mes frères, mes aînés, habitaient avec moi mais personne ne pensait les choses que je pensais. »), il décide de partir au désert. Les Amorrites lui donneraient alors le nom de kelṭum, réservé au chef déchu qui s’installe à la frontière de son royaume perdu, hôte du roi voisin (qui dispose ainsi d’un moyen de pression) dont il espère qu’il l’aidera à reprendre le pouvoir chez lui.

Le texte RS 17.346 (PRU IV, p.176 ; TAU, p.159) fait état d’un procès devant Ini-Tešub, au cours duquel est cité un verdict antérieur. Celui-ci, qui concernait entre autres le roi d’Ugarit, a été pris par un certain Urḫi-Tešub (Urḫi dIM), personnage de rang évidemment important. Sylvie Lackenbacher, dans sa note 502 p.159, juge qu’il doit s’agir du fils de Mutawalli II évincé par son oncle, le futur Ḫattušili III, exilé en Syrie (au Nuḫašše, puis peut- être en Ugarit ou en Amurru), d’où il s’enfuit en Égypte et fut accueilli par Ramsès II (qui refusa à Ḫattušili III de l’extrader).

Florence Malbran-Labat, commentant la lettre RS 88.2009351, émouvante car elle semble dater des

dernières années d’Ugarit (fin du XIIIe siècle, peut-être début du XIIe), remarque que l’expéditeur de cette lettre porte le même nom. Or, puisqu’il se nomme avant eux, il se situe hiérarchiquement au- dessus des destinataires, qui sont : quatre personnages importants, puis « Grands » d’Ugarit et « Anciens » d’Ugarit. Cette façon de s’adresser aux autorités municipales est exceptionnelle et dénote une urgence : Urḫi-Tešub les incite à garder la ville jusqu’à l’arrivée des secours (18ù at-tu-nu URU-ki / 19uṣ-ra a-di na-kaš-šad), car « le roi de Karkemiš est sorti du pays hittite ». Mais il est peu probable qu’il s’agisse du même personnage, Ḫattušili III ayant pris le pouvoir dans la première moitié du XIIIe siècle.

Comme on le voit, un réfugié peut être de haut rang. Mais des individus peuvent s’exiler lors d’une guerre, par exemple, et revenir dans leur pays (en devant quelquefois prouver qu’ils n’ont pas été des déserteurs).

351 MALBRAN-LABAT, Florence, « Épigraphie akkadienne. Rétrospective et perspectives », dans : Le

Que dire de la position d’un réfugié dans le pays où il se trouve ? Y a-t-il une coutume d’asile (sinon un droit) ?

A l’époque de Mari, certains textes y font allusion. Ainsi, ARM XIV, 73 (n°1042, LAPO III, p.215 ; vol2:138) fait dire à des individus que le roi veut livrer : « (Même) un messager qui est au courant des secrets de son maître, une fois qu’il s’est réfugié chez un roi étranger, il devient citoyen du pays [10’i-ṣa-ab-ba-at-ma a-na DUMU ma-tim]. Aujourd’hui, pourquoi acceptez-vous de nous livrer ? ».

Une ville joue un rôle particulier dès le XVIIIe siècle : Alep, grâce à son dieu Addu. Au roi de Mari, Zimrî-Lîm, qui lui réclame de livrer des chefs benjaminites, le roi d’Alep, Yarîm-LÎm, oppose un refus par trois fois :

24i-na ša-ni-tim na-pa-al-ti-šu / 25ki-a-am i-pu-la-an-ni zi-im-ri-li-im / 26ṭe4-em dIM im-ta-ši-i a-di as- sú-ur-[r]e-ma / 27ki-ma i-na ma-at dIM mu-un-na-ab-tu / 28i-na qa-a-tim l[a]-a in-na-di-in /29zi-im-ri-li- im ú-ul i-de-e / 30ma-a ki-a-am-ma li-ìš-pu-ra-am / 31LÚ.MEŠ šu-nu-ti i-na ŠÀ-ba ma-ti-ka / 32ku- u[š-š]i-is-sú-nu-ti la-a uš-ša-bu.

24-28Lors de sa deuxième réponse, voici ce qu’il a répondu : « Zimrî-Lîm a-t-il oublié la volonté d’Addu ? Assurément, j’ai bien peur que Zimrî-Lîm ne sache pas que dans le pays d’Addu des fugitifs ne doivent pas être livrés à un pouvoir ! Sinon, m’enverrait-il ce message : « Pourchasse ces gens à l’intérieur de ton pays, qu’ils ne s’(y) trouvent plus ! ». Alep est une terre d’accueil et Addu ne permet pas que les suppliants soient livrés à ceux qui les poursuivent352.

Au premier millénaire, la place particulière d’Alep est encore reconnue, comme en témoigne un passage des inscriptions araméennes de Sfiré353 qui évoque le cas où un membre de l’entourage du suzerain (Bar-Gar’ah, « roi de KTK ») s’enfuirait et se rendrait à Alep (qui fait partie alors du royaume d’Arpad).

Sous peine de ne pas respecter le traité, le roi d’Arpad (Mati’ilu) ne doit fournir au fugitif ni gîte, ni couvert, ni l’encourager à rester à Alep. Il doit essayer de le persuader de retourner chez son suzerain et, si le fugitif refuse, le retenir jusqu’à ce que le suzerain vienne en personne le chercher.

Ce passage montre que le fugitif ne pouvait être renvoyé de force par le roi d’Arpad et, implicitement, qu’il recevait un toit et de la nourriture lorsqu’il était « retenu ».

Celui qui se réfugiait à Alep s’attendait jusque là à y trouver asile, vraisemblablement dans l’enceinte du temple, et à ne pas courir le risque d’être extradé. Il s’attendait aussi à être nourri et logé. La raison

352 Cf: DURAND, Jean-Marie, « Le culte d'Addu d'Alep et l'affaire d'Alahtum », Mémoires de N.A.B.U. 8

(Florilegianum Marianum VII), SEPOA, Paris, 2002. Texte 8, p.24.

353 Il s’agit des quatre traités du VIIIe siècle où Mati’ ilu, roi araméen d’Arpad (au nord d’Alep) qui s’est reconnu vassal de l’Assyrie auprès d’Adad nêrârî V, doit jurer fidélité à Bar Ga’ah, « roi de KTK ». Voir : GREENFIELD Jonas Carl, "Asylum at Aleppo: A note on Sfire III, 4-7", in: Ah, Assyria …,

Studies in Assyrian History and Ancient Near Eastern Historiography presented to Hayim Tadmor, Scripta Hierosolymitana, vol. XXIII, The Magnes Press, The Hebrew University, Jerusalem, 1991, p.272-278.

en est sans doute qu’Alep, dont le rôle politique a pratiquement disparu au Ier millénaire, a gardé son rayonnement religieux grâce à la présence du temple354 du dieu de l’orage Addu.

Le traité entre Bar-Gar’ah de KTK355 et Mati’ ilu suspend ces conditions mais ne les annule pas

complètement, puisque le roi d’Arpad est tenu non pas d’extrader le fugitif mais de le retenir si la persuasion ne réussit pas.

De telles clauses ne figurent pas dans les autres traités du Proche-Orient ancien, où l’extradition des fugitifs (munnabtu) est la norme.

Ainsi, le traité (fin du XVe siècle) entre le roi de Tunip Ir dIM (lu : Ir Addu en langue sémitique, ou Ir-Tešub en hourrite) et le roi Niqmepa d’Alalaḫ356, fils d’Idrimi, contient plusieurs clauses transfrontières entre les deux pays : restitution du butin de guerre, détention des personnes allant chercher leur subsistance dans l’autre pays, arrestation de celles ayant commis un crime dans l’autre pays, et en particulier des clauses sur les réfugiés : refus d’octroyer l’asile et extradition des fugitifs.

16šum-ma ma-am-ma iš-tu lìb-bi KUR-ia i-[na KUR-ka i- ir-ra-ab] / 17šum-ma at-ta te-še-em-me- šu šum-ma la ta-[ṣa-bat-šu ù la] tu-ba-sar-an-n[i] / 18ù šum-ma i-na lìb-bi KURKI-ka aš-bu šum- ma [la- ta]-⌈ṣa-bat ù la ta-n[a-an-di-na-šu].

16-18Si quelqu’un de mon pays pénètre dans ton pays, tu dois, si tu en entends parler, t’en saisir et m’en informer. Et s’il réside dans ton pays, tu dois t’en saisir et me le rendre.

19ù šum-ma šal-la-tum ša KUR-ia ina KURKI-ka ša […]-ša-ru ip-pa-aš-[ru] ib-bá-aš-ši / 20šum-ma qa-du ša i-pa-aš-ša-ru-šu-ma la ta-ṣa-bat ù a-na ia-ši la ta-[na-an-di-na-šu].

19-20Et s’il y a des captifs pris dans mon pays [NB : šallatum désigne aussi bien un butin matériel que des captifs] qu’on vend dans ton pays, tu dois t’en saisir avec celui qui les vend et me les rendre.