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CHAPITRE 1 : LA RELATION DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LA SCIENCE AU XX e

3. Période de changement

3.2. Pie XII et l’encyclique Humani generis (1950)

La raison principale pour laquelle l’Église du début du XXe siècle manquait d’ouverture au

monde était que son interprétation de la Bible datait du XVIIe siècle. Ainsi, pour l’Église, le livre de la Genèse comportait encore une certaine valeur scientifique pour expliquer comment le monde fut créé. Dans un monde qui évoluait rapidement, un dialogue entre l’Église et la science fut plus que jamais nécessaire. Si Benoît XV et Pie XI furent relativement fermés à l’idée d’un dialogue avec la science, le pontificat de Pie XII marqua le début d’un dialogue longuement attendu.

Né à Rome en 1876, Pie XII est un intellectuel cultivé capable de cerner le cœur d’un problème. Il a un intérêt particulier pour les sciences et était capable de discourir dans un langage technique et scientifique avec une grande précision. Son ouverture envers le monde de la science se

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manifeste dès ses premiers discours devant l’Académie pontificale des sciences. Dans son premier discours devant l’Académie, il parle du « partenariat » entre la foi et la raison en affirmant que la foi protège la raison de l’erreur. Cependant, le terme clé de son discours est la liberté : l’Église reconnaît que la science doit jouir d’une liberté sans borne dans l’utilisation de la méthode scientifique. Pie XII croit que la curiosité humaine, en particulier le désir de comprendre le fonctionnement de l’univers, constitue en soi une bonne chose. Selon lui, il est donc possible pour l’humanité de bénéficier de l’utilité de la découverte scientifique. Pie XII ajoute que nous devrions tous rendre hommage aux grands scientifiques de l’histoire comme Ptolémée, Copernic, Newton et Curie, car leurs travaux mènent à Dieu.

Pie XII donne donc l’impression que l’Église accueille plus chaleureusement l’idée d’une relation positive avec la science. Mais derrière les paroles de Pie XII se cache une vision un peu plus étroite de la science, surtout en ce qui a trait à la Création et aux origines de l’Homme. Pie XII est bien de son temps et ses idées sur le monde et l’univers reflètent bien son héritage intellectuel. Là réside la limite de pensée sur le monde de la science et le noyau des problèmes qui pouvaient exister dans la relation entre l’Église et la science à l’époque. Pie XII est avant tout un thomiste qui juge la science à partir de la philosophie thomiste de la nature. C’est ainsi que sous son règne deux visions différentes du monde, deux philosophies de la nature s’affrontaient.

La réticence de Pie XII concernant l’exégèse est évidente dans l’un de ses discours devant l’Académie pontificale des sciences, en novembre 1941, où il déclare que : « […] les multiples recherches en paléontologie, en biologie et en morphologie ainsi que sur d’autres problèmes touchant aux origines de l’homme n’ont à ce jour rien amené de positif et de certain88 ». Tout

était donc en place pour l’encyclique Humani generis. À l’inverse de Divino afflante spiritu (1943), qui encourage les exégètes progressistes à interpréter plus librement les premiers chapitres de la Genèse, Humani generis souligne la nature hypothétique des sciences de la préhistoire principalement en raison de leur incompatibilité avec la doctrine du péché originel.

88 Discours de Pie XII à l’Académie pontificale des sciences, le 30 novembre, 1941, in S. DELACROIX (dir.),

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Avec cette vision des sciences, l’Église n’hésite pas à censurer tout ouvrage qui tente de donner à la théologie un soupçon de temporalité89.

La position de Pie XII relativement à la recherche scientifique sur les origines de l’homme est bien décrite dans Humani generis. Dès le départ, Pie XII souligne la nature hypothétique de l’évolution :

Il y en a qui prétendent expliquer l’origine de toute chose par le système évolutionniste, qu’ils acceptent sans prudence ni discernement, bien qu’il [...] ne soit pas encore prouvé, et qui ne craignent pas dès lors de se montrer favorables à l’hypothèse moniste et panthéiste d’un univers soumis à une évolution perpétuelle90.

Qualifiés de matérialistes dialectiques, les tenants des sciences historiques sont perçus par Pie XII comme se déplaçant en direction opposée à tout ce qui peut être absolu et immuable. Selon le pape, ces gens, éblouis par un certain historicisme, veulent renverser la fondation de toute vérité, en particulier le dogme chrétien.

En grande partie, Humani generis s’apparente à Providentissimus deus. Pie XII réitère, quoiqu’indirectement, la nature transitoire des sciences historiques en affirmant l’immutabilité du dogme. Suivant son exposé sur le dogme, Pie XII reprend la discussion sur les sciences historiques en mettant l’accent sur le poids de l’autorité enseignante à l’intérieur de lettres encycliques. Il affirme que si le pontife, dans un document officiel, rend un jugement sur un sujet débattu, ce dernier ne peut plus être considéré par les théologiens comme étant ouvert à la discussion :

Dieu, Souveraine Vérité a établi l'intelligence et la dirige non pas en lui faisant opposer chaque jour des nouveautés aux vérités acquises, mais en lui donnant d’écarter les erreurs qui par hasard se seraient glissées, pour ajouter le vrai au vrai, dans le même ordre et selon l’harmonie qui se révèle dans la constitution même des choses d’où nous tirons le vrai91.

89 Parmi ces oeuvres nous retrouvons, entre autres, celles de Henri DE LUBAC, Jean DANIÉLOU, Yves CONGAR,

Urs VON BALTHASAR, Yves DE MONTCHEUIL, M.-D. Chenu, Teilhard DE CHARDIN, et Jean GUITTON.

90 PIE XII, encyclique Humani generis (1950), in S. Delacroix (dir.), Documents Pontificaux [...], p. 302-303. 91 Humani generis in Documents Pontificaux [...], p. 320.

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Pie XII ordonne également aux philosophes et aux théologiens chrétiens de ne pas profiter des nouveautés que le quotidien peut amener. Si ces nouveautés s’opposent directement ou indirectement à la doctrine révélée, alors elles ne peuvent être admises92.

À la fin de l’encyclique, Pie XII déclare que toutes les opinions, favorables ou non à l’évolution, doivent être « […] pesées et jugées avec le sérieux, la modération et la retenue qui s'imposent ; à cette condition que tous soient prêts à se soumettre au jugement de l'Église93 ». Ce soupçon d’ouverture est toutefois éclipsé par le rejet des autres sciences historiques. Par exemple, en ce qui concerne le transformisme, Pie XII écrit :

Certains outrepassent cette liberté de discussion en faisant comme si on avait déjà établi, de façon absolument certaine [...] l’origine du corps humain à partir d’une matière déjà existante et vivante, et cela comme s’il n’y avait rien dans les sources de la révélation divine qui, en ce domaine, impose la plus grande modération et la plus grande prudence94.

Humani generis interdit également aux scientifiques catholiques de poursuivre des recherches sur

la théorie du polygénisme, selon laquelle l’être humain serait issu de plusieurs différents couples. À cette théorie, Pie XII réagit avec prudence en affirmant que les « enfants de l’Église » jouissent d’une liberté d’opinion à ce sujet : « Les fidèles ne peuvent embrasser une doctrine dont les tenants soutiennent ou bien qu'il y a eu sur la terre, après Adam, de vrais hommes qui ne descendent pas de lui par génération naturelle […]95 ».

En guise de conclusion à l’encyclique, Pie XII formule des réponses aux découvertes scientifiques futures. Il affirme que même si de nouveaux fossiles humains sont découverts, la communauté scientifique sera dans l’impossibilité de prouver que ces êtres étaient doués d’une âme raisonnable. À ce sujet, le pape prend des mesures préventives en se réfugiant dans le domaine de la spiritualité. Il écrit que la méthode utilisée dans les sciences naturelles ne sera jamais capable de déterminer si un fossile fut au départ doté d’une âme.

Dans l’encyclique, Pie XII réaffirme la primauté de la raison humaine, capable de connaître avec certitude les vérités immuables et d’établir la fondation de la foi. Ainsi le pape rappelle aux

92 Humani generis in Ibid., p. 304.

93 Humani generis in Documents Pontificaux [...], p. 325. 94 Humani generis in Ibid., p. 326.

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chrétiens leurs obligations : ne pas limiter l’infaillibilité des Écritures aux seules vérités morales ou religieuses ; ne pas interpréter sans tenir compte de la Tradition et ne pas remplacer une exégèse symbolique et spirituelle par une interprétation littérale.

Certes, Pie XII exclut la possibilité d’une opposition entre la vérité scientifique et la vérité révélée, puisque toutes deux appartiennent à Dieu. Toutefois, en cas de conflit sur un point particulier en science ou sur la doctrine, c’est l’Église qui a le dernier mot. Humani generis maintient donc le statu quo quant à la relation entre l’Église et la science.

Cette position défensive de l’Église rend mal à l’aise plusieurs éducateurs et scientifiques catholiques, qui s’interrogent sur la structure du monde observable. La science dans la seconde moitié du XXe siècle progresse à un rythme fulgurant et plusieurs catholiques désirent rester

fidèles à l’Église tout en enseignant aux jeunes les nouvelles découvertes de la science. Devant ce dilemme, plusieurs catholiques sentent le besoin d’essayer de réduire l’écart grandissant entre l’Église et la science. Les travaux de Teilhard de Chardin à ce sujet sont des plus audacieux.