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CHAPITRE 1 : LA RELATION DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LA SCIENCE AU XX e

4. L’ouverture : de Jean XXIII à Jean-Paul II

4.1. Jean XXIII, Vatican II et l’Église dans le monde moderne

La convocation du concile Vatican II par Jean XXIII fait réaliser au monde que le catholicisme a plusieurs voix et qu’il n’est pas seulement question de Rome, de la Curie ou des supérieurs de divers ordres. Vatican II représente avant tout une chance pour l’Église de se questionner sur son identité et son rôle dans le monde.

Sous le règne de Jean XXIII, il n’eut toutefois aucune décision importante touchant la relation entre l’Église et la science. Ainsi, à ce sujet, il se distingue de Pie XII en forme plutôt qu’en substance. La période de son pontificat précédant Vatican II laisse toutefois entrevoir un certain conservatisme. Jean XXIII choisit comme secrétaire d’État le cardinal Tardini, un conservateur. En complément, son décret Veterum sapientia encourage l’utilisation du latin pendant la messe107. En juin 1961, il sanctionne deux professeurs de l’Institut Biblique et lance quelques avertissements à des exégètes néerlandais. De plus, dans un monitum de 1962, il se pose, du moins officieusement, contre les travaux de Teilhard de Chardin108. Ne remettant plus en question la valeur proprement scientifique de son travail, le document affirme toutefois qu’il regorge d’ambigüités » aux plans théologique et philosophique et que ces erreurs graves « offensent la

107 « C'était un homme très conservateur dans son âme. Les premiers actes de son pontificat en témoignent. Vous

vous rappelez sans doute de l'importance qu'il a donnée à la publication de Veterum sapientia, dans laquelle il insistait de manière très énergique sur la nécessité que la langue latine reste la langue de la formation dans l'église latine. Il a signé Veterum sapientia, non pas comme on signe d'habitude les encycliques, dans le bureau du pape, mais il l'a signée sur le tombeau de saint Pierre. II a voulu que tous les évêques et archevêques présents à Rome assistent à la signature, parce qu'il voulait donner un éclat extraordinaire à cette encyclique, qui malheureusement a disparu de la circulation. Il voulait une certaine ouverture de l'Église, certainement. Mais fondamentalement c'était le vrai conservateur […]. », Card. ODDI; Karl BARTHE, « Aux origines du Concile : la défaite du ‘parti romain’ », Catholica, no. 8, octobre 2005, p.3.

108 À la demande des Provinciaux français de la Société de Jésus, Henri de Lubac publia en 1962 La pensée

religieuse du Père Teilhard de Chardin. Malgré une censure approfondie, des membres du Saint-Office réclamèrent la mise à l’Index de l’ouvrage, mais le pape Jean XXIII refusa. Cependant, dans l’édition du 30 juin 1962 de l’Osservatore Romano parut le monitum, qui mettait en garde contre les erreurs contenues dans les œuvres de Teilhard. Le pape fut désagréablement surpris par ce document, qu’il qualifia de « regrettable ».

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doctrine catholique ». Soulignant que science et foi sont des champs indépendants, le monitum interdit implicitement le débordement d’un domaine dans l’autre :

[…] lorsqu’il [Teilhard] traite des grandes questions qui préoccupent tout homme, les catégories, les notions et les termes dont il se sert portent la marque du milieu scientifique qui lui est familier. L’atmosphère qu’il respire est celle des sciences naturelles109.

Outre ses deux grandes encycliques Mater et magistra (1961) et Pacem in terris (1963), le mérite de Jean XXIII réside surtout dans sa convocation du concile Vatican II.

Les textes du concile fournissent un bon point de départ pour la prise en compte de la science par l’Église. Plus précisément, c’est dans la constitution Gaudium et spes (1965) que nous retrouvons les passages les plus importants relativement à l’Église et à la science. Dès le départ, Gaudium et

spes souligne l’importance de la science dans la culture moderne. En raison du progrès rapide de

la science, l’homme s’interroge avec angoisse sur son destin. Le monde à l’époque de Vatican II en est un où l’humanité est consciente des énormes avancées de la science et de son potentiel destructeur. Les gens se posent des questions qui touchent au sens même de la vie. Ils désirent savoir quelle est leur place dans l’univers et quel est le destin de l’humanité et de la réalité tout entière.110 Dans l’introduction de Gaudium et spes, nous lisons :

L’ébranlement actuel des esprits et la transformation des conditions de vie sont liés à une mutation d’ensemble qui tend à la prédominance, dans la formation de l’esprit, des sciences mathématiques, naturelles ou humaines et, dans l’action, de la technique, fille des sciences. Cet esprit scientifique a façonné d’une manière différente du passé l’état culturel et les modes de penser111.

Au-delà du progrès scientifique, poursuit l’encyclique, l’homme est à la recherche d’une vérité plus profonde, d’une vérité totale qui le concerne fondamentalement. Afin d’avancer vers cette vérité, il est important que chaque domaine du savoir soit libre quant aux buts qu’il désire atteindre tout en respectant les normes morales. Gaudium et spes affirme aussi qu’il est juste de demander l’autonomie des réalités terrestres si par autonomie il est compris que les objets et les sociétés bénéficient de lois et de valeurs qui leurs sont propres et qui doivent être déchiffrées, utilisées et réglées par les individus qui font partie de ces sociétés.

109 La Documentation Catholique, no. 1380, 15 juillet 1962, p. 950. 110 Gaudium et spes in Vatican II [...], no. 5, p. 190.

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Selon Gaudium et spes, l’homme moderne requiert cette autonomie en accord avec la volonté de Dieu. Il est important que l’homme respecte ces valeurs, qui se retrouvent isolées par la variété de méthodes des sciences individuelles. Ainsi, les investigations méthodiques de tous les domaines scientifiques, si elles sont réalisées d’une manière scientifiquement appropriée et en accord avec les normes morales établies, ne peuvent jamais entrer en conflit avec la foi puisque c’est de Dieu lui-même que proviennent toute activité humaine et toute affaire de foi. Qui plus est, celui qui travaille à découvrir la réalité moralement et avec honnêteté est conduit par la main de Dieu, qu’il en soi ou non conscient, car Dieu soutient tous les êtres et les fait ce qu’ils sont.

L’Église exprime ensuite ses regrets face aux injustices commises envers certains scientifiques dans le passé. Une note à la fin du paragraphe se réfère au traitement injuste que dût subir Galilée, un évènement qui hantait l’Église depuis plus de trois siècles :

[…] qu’on nous permette de déplorer certaines attitudes qui ont existé parmi les chrétiens eux-mêmes, insuffisamment avertis de la légitime autonomie de la science. Sources de tensions et de conflits, elles ont conduit beaucoup d’esprits jusqu’à penser que science et foi s’opposaient112.

Le document ne s’aventure toutefois pas trop loin des enseignements de Vatican I, qui proclament une profonde concordance entre la foi et la raison. Vatican I déclare qu’il existe deux ordres de connaissances, la foi et la raison, qui sont distincts dans leur nature. Gaudium et spes affirme donc un peu plus explicitement la légitimité et l’autonomie des différentes sphères de la culture humaine, particulièrement celles des sciences. Contrairement à Humani generis, qui interdit explicitement la recherche sur le polygénisme, Gaudium et spes prône l’indépendance de la recherche scientifique. En outre, le document souligne que la reconnaissance de l’Église en tant que réalité historique est dans l’intérêt du monde. L’Église admet également qu’elle a tiré profit de l’histoire et du développement de l’humanité ainsi que du progrès de la science. Gaudium et

spes affirme qu’un des buts de l’Église est d’adapter l’Évangile aux besoins du monde moderne et

que pasteurs et théologiens doivent présenter la Révélation d’une manière qui soit profitable à la société moderne. Leur tâche est donc de « […] scruter, de discerner et d’interpréter les multiples langages de notre temps et de les juger à la lumière de la parole divine, pour que la Vérité révélée

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puisse être sans cesse mieux perçue, mieux comprise et présentée sous une forme plus adaptée113 ».

Pour la théologie, les implications sont grandes : il faut intégrer les découvertes des sciences et des sciences sociales au risque de périr. Gaudium et spes déclare que la recherche scientifique, l’histoire et la philosophie soulèvent plusieurs questions qui affectent nos vies et qui exigent de nouvelles investigations théologiques. Les théologiens sont invités à continuellement essayer de trouver de nouvelles manières pour communiquer la doctrine aux individus du monde moderne en utilisant des méthodes propres à la théologie, « […], car autre chose est le dépôt même ou les vérités de la foi, autre chose la façon selon laquelle ces vérités sont exprimées, à condition toutefois d’en sauvegarder le sens et la signification114 ».

En matière de vocabulaire théologique, Vatican II encourage le remplacement des expressions aristotéliciennes et scolastiques par des termes plus modernes. C’est pourquoi le concile demande que les chrétiens élargissent leur champ de connaissances scientifiques en s’inscrivant à des universités catholiques. De cette manière, les étudiants cultivent ensemble science et doctrine grâce aux professeurs provenant à la fois des séminaires et du milieu scientifique. Gaudium et

spes exprime également son souhait que les laïques soient compétents dans le domaine des

sciences sacrées. Afin que clercs et laïques puissent mener leur tâche à bien, la constitution exige « […] qu’on reconnaisse aux fidèles, aux clercs comme aux laïques, une juste liberté de recherche et de pensée, comme une juste liberté de faire connaître humblement et courageusement leur manière de voir, dans le domaine de leur compétence115 ».

Relativement à l’exégèse et à l’interprétation des Écritures, le concile se montre plus réservé. De façon générale, la constitution Dei verbum (1965) encourage tous les chrétiens à lire régulièrement les Écritures. Toutefois, il est du devoir des évêques de s’assurer que les fidèles n’en fassent pas de fausses interprétations. Les évêques doivent

[…] former opportunément les fidèles […] à un usage judicieux des Livres divins […] au moyen de versions des textes sacrés qui soient munis d’explications

113 Gaudium et spes in Vatican II […], no. 44, par. 3, p. 236. 114Gaudium et spes in Vatican II […], no. 62, par. 2, p. 257. 115 Gaudium et spes in Vatican II [...], no. 62, par. 7, p. 259.

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nécessaires et vraiment suffisantes, pour que les Fils de l’Église fréquentent les Écritures en toute sécurité et de manière profitable, et se pénètrent de leur esprit116.

Malgré la volonté de l’Église de se montrer plus accueillante envers la science, Dei verbum fait resurgir la mémoire d’un certain cléricalisme.

À la clôture de Vatican II, des messages117 sont adressés aux représentants de plusieurs sphères de la vie, notamment aux chefs d’État, aux artistes, aux hommes de science et à des groupes de femmes. L’introduction, lue par Paul VI, traduit l’esprit des messages :

De notre longue méditation sur le Christ et sur son Église doit jaillir en cet instant une première parole annonciatrice de paix et de salut pour les multitudes dans l’attente. Le Concile […] veut remplir cette fonction prophétique et traduire en de brefs messages et dans une langue plus facilement accessible à tous la « bonne nouvelle » qu’il a pour le monde […]118.

L’un des messages, lut par le cardinal Paul-Émile Léger, est destiné aux hommes de la pensée et de la science. Il demande aux hommes de science de considérer la vérité sacrée et de ne pas oublier qu’une seule Vérité est commune à l’Église et à la communauté scientifique.

[…] nous venons vous offrir la lumière de notre lampe mystérieuse : la foi. Celui qui vous l’a confiée, c’est le maître souverain de la pensée […]. Jamais peut-être n’est si bien apparue qu’aujourd’hui la possibilité d’un accord profond entre la vraie science et la vraie foi, servantes l’une et l’autre de l’unique vérité. N’empêchez pas cette précieuse rencontre ! Ayez confiance dans la foi, cette grande amie de l’intelligence ! Éclairez-vous à sa lumière pour saisir la vérité, toute la vérité ! […]119.

En somme, pour ce qui est de la relation entre l’Église et la science, Vatican II constitue un tournant important. En plus d’affirmer la pleine autonomie de la science et de reconnaître sa valeur, le concile touche au contenu même de la science. Par exemple, l’évolution est vue comme l’expression temporelle de la création. Cette prise en compte de l’impact de la science sur le monde rompt avec ceux qui perçoivent la science comme une menace.

116Dei verbum in Vatican II […], no. 25, p. 126.

117 Ces messages ont été lus en français sur le parvis de la basilique Saint-Pierre, à Rome, le 8 décembre

1965.

118 Les hommes de la pensée et de la science étaient représentés par messieurs Jacques Maritain, Jean

Guitton et Stephan Swiezawski.

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Toutefois, malgré les bons vœux exprimés dans les messages de fin de concile, plusieurs cardinaux se montrent hostiles à l’égard de certains textes conciliaires qu’ils jugent trop progressistes. En matière de relation Église-science, Paul VI lui-même se montre parfois peu enthousiaste envers les déclarations de Vatican II sur la science et le message aux hommes de science du cardinal Léger.