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CHAPITRE 1 : LA RELATION DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LA SCIENCE AU XX e

2. Les documents anti-modernistes de l’Église

2.2. Pie X et l’encyclique Pascendi dominici gregis (1907)

Bien que canonisé en 1954 pour sa piété et ses grandes vertus pastorales, le pontificat de Pie X est parsemé de condamnations et d’excommunications. Ainsi, Daniel-Rops écrit : « Quand il [Pie X] pense que ‘les intérêts de Dieu’ sont menacés, cet homme merveilleusement bon et bienveillant devient d’une dureté de pierre53 ».

Pie X choisit ses collaborateurs selon leur degré de conservatisme, ce qui lui permit de mieux combattre les tendances progressistes. Toutefois, en transmettant au pape de fausses informations et des demi-vérités quant aux activités des modernistes, ses collaborateurs renforçaient sa position

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figée et s’assuraient que les décisions du pape seraient appliquées en utilisant des moyens excessifs. La question à savoir si Pie X avait connaissance des excès de ses collaborateurs était au centre du dossier de sa canonisation. Le rapport final conclut toutefois que le pontife n’était pas au courant de leurs activités douteuses. Cependant, certains historiens, comme Émile Poulat, croient que le verdict fut précipité et plusieurs faits furent ignorés. Poulat est d’avis que Pie X était pleinement conscient de la méthode de travail de ses collaborateurs, qu’il approuvait et encourageait. De plus, Pie X craignait cette vague antiautoritaire qui représentait une menace pour la doctrine. Mais, écrit Poulat, quoique Pie X ne put, en fin de compte, résister à cette menace, « […] est-ce que Sa Sainteté repose sur son héroïque défense de l’indéfendable54 » ?

L’intransigeance de Pie X se fit sentir dès les premiers mois de son pontificat : il exclut des particuliers d’ordres religieux, envoya plusieurs livres à l’Index et condamna les affirmations modernistes qui touchaient au contenu biblique. Le décret Lamentabili sane exitu (1907) condamnait en 65 articles les idées modernistes, en particulier celles touchant à l’évolution des doctrines en suivant les avancées scientifiques. Ce décret constitue le premier écrit doctrinal pontifical par lequel a été condamné le modernisme55. Le document fut suivi d’un motu proprio affirmant que ceux qui n’adhéraient pas strictement aux propositions du décret seraient excommuniés.

En septembre 1907, Pie X publiait l’encyclique Pascendi dominici gregis, une condamnation globale du modernisme et de toute tendance vers la réconciliation entre l’Église et la science. Dans ce document, le modernisme est ramené à un système bien organisé, ce qu’aucun des modernistes de l’époque ne soutenait. Élégant dans sa structure, le texte nous est présenté comme une série d’attaques sarcastiques contre les progressistes. L’introduction de Pascendi prépare le terrain pour le reste du texte : « Jésus-Christ a assigné comme premier devoir de garder avec un soin jaloux le dépôt traditionnel de la foi, à l'encontre des profanes nouveautés de langage comme des contradictions de la fausse science56 ». Selon Pie X, la masse catholique a toujours eu besoin

54 Texte de couverture, Émile POULAT, Intégrisme et Catholicisme Intégral, Paris-Tournai, 1969.

55 Les propositions condamnées proviennent pour une part de certains auteurs, dont les plus importants sont Alfred

Loisy (surtout ses livres L’Évangile et l’Église [1902] et Autour d’un petit livre [1903]), Édouard le Roy, Ernest Dimnet et Albert Houtin (La question biblique chez les catholiques de France au XIXesiècle [1902]).

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que le pape la protège contre les ennemis de la race humaine, puisqu’il a toujours existé des hommes aux paroles perverses et vaines désirant induire les catholiques en erreur. Toutefois, écrit-il, depuis l’avènement du modernisme, le nombre « d’ennemis de la Croix du Christ » a augmenté. C’est par leurs nouvelles sciences qu’ils tentent de détruire la vitalité de l’Église et de « subvertir » le Royaume du Christ. Tout en affirmant que l’Église ne peut plus garder le silence, Pie X souligne l’importance de protéger le catholicisme, qui constitue le devoir le plus sacré de l’Église.

Pie X qualifie souvent les idées des modernistes comme des « enseignements absurdes », des « folies » et comme un « langage pervers ». Il précise que les doctrines modernistes

[…] leur ont tellement perverti l'âme qu'ils en sont devenus contempteurs de toute autorité, impatients de tout frein : prenant assiette sur une conscience faussée, ils font tout pour qu'on attribue au pur zèle de la vérité ce qui est œuvre uniquement d'opiniâtreté et d'orgueil57.

Faisant allusion à la laïcité des modernistes, Pie X ajoute : « Voyez-vous poindre ici, Vénérables Frères, cette doctrine pernicieuse qui veut faire des laïques, dans l'Église, un facteur de progrès58 » ? Selon l’Église, ce « progrès » risque d’aboutir à l’athéisme.

L’encyclique se plaît également à accuser les modernistes de vouloir détruire la vérité éternelle par leur mauvais usage de la philosophie. Ces « aveugles et conducteurs d’aveugles », sous l’influence d’une passion pour la nouveauté, développent un faux système qui pervertit le concept de la vérité. Selon le pontife, ces modernistes « […] embrassent d'autres doctrines vaines, futiles, incertaines, condamnées par l'Église, sur lesquelles, hommes très vains eux-mêmes, ils prétendent appuyer et asseoir la vérité59 ».

Pie X affirme toutefois que les modernistes commettent une autre grave erreur en séparant la foi de la science :

[…] leurs objets [de la science et de la foi] sont totalement étrangers entre eux, l'un en dehors de l'autre. Celui de la foi est justement ce que la science déclare lui être à

http://www.vatican.va/holy_father/pius_x/encyclicals/documents/hf_p-x_enc_19070908_pascendi-dominici-

gregis_fr.html. Page consultée le 30 janvier, 2015.

57 Pascendi dominici gregis, section 3, in http://www.vatican.va/[...]. 58 Ibid., section 36, in http://www.vatican.va/[...].

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elle-même inconnaissable. De là un champ tout divers : la science est toute aux phénomènes, la foi n'a rien à y voir ; la foi est toute au divin, cela est au-dessus de la science. D'où l'on conclut enfin qu'entre la science et la foi il n'y a point de conflit possible ; qu'elles restent chacune chez elle, et elles ne pourront jamais se rencontrer ni, partant, se contredire60.

L’erreur des modernistes réside en ce qu’ils placent la science et la foi à un niveau d’égalité. Ce faisant, les deux domaines peuvent donc être scrutés rationnellement. Mais selon l’Église, c’est la foi qui doit guider la raison. De cette manière, aucun conflit ne peut exister puisque c’est la science qui est au service de la foi.

L’exégèse biblique est une cible à laquelle s’attaque Pie X avec particulièrement de force. Il annonce qui a le droit d’interpréter les Écritures et de quelle manière cela doit se faire. Il écrit à l’égard des exégètes modernistes : « Ils l'écrivent, cette histoire [de l’évolution des Livres Sacrés], et si imperturbablement que vous diriez qu'ils ont vu de leurs yeux les écrivains à l'œuvre61 ». La méthode des exégètes est donc perçue comme une invention de narrations et de

discours. « Ces modernistes, affirme Pascendi, ont comme seul guide la négation de Dieu et comme critère eux-mêmes62 ».

Après avoir exposé les « fausses doctrines modernistes », Pie X procède à l’énumération des causes du modernisme. Selon lui, une « erreur de l’esprit » en serait la première cause. Quant aux causes secondaires, elles se limiteraient à la curiosité et à l’orgueil : « […] nulle route qui ne conduise plus droit ni plus vite au modernisme que l'orgueil63 ».

Le pape rappelle ensuite à tous les membres de l’Église leur devoir de « […] appliquer ces modernistes à d'infimes et obscures fonctions ; qu'ils soient mis d'autant plus bas qu'ils cherchent à monter plus haut et que leur abaissement même leur ôte la faculté de nuire64 ».

La dernière partie de Pascendi énumère une série de directives pour tous ceux qui enseignent la foi et pour tous les membres de la hiérarchie. Affirmant que des mesures plus efficaces doivent

60 Ibid., section 18, in http://www.vatican.va/[...].

61 Pascendi dominici gregis, section 44, in http://www.vatican.va/[...]. 62 Ibid., section 45, in http://www.vatican.va/[...].

63 Ibid., section 57, in http://www.vatican.va/[...]. 64 Ibid., in http://www.vatican.va/[...].

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être adoptées, Pie X discute d’abord des études cléricales. Il ordonne que la philosophie scolastique soit à la base des études sacrées, croyant que l’édifice théologique doit reposer sur cette base. En ce qui concerne les « sciences inférieures », il reprend saint Thomas :

[…] ‘nul n'ignore que, parmi toutes les disciplines, si diverses, qui s'offrent à l'esprit avide de vérité, la première place revient de droit à la théologie, au point que c'était une maxime de l'antique sagesse que le devoir des sciences et des arts est de lui être assujetties et soumises comme des servantes’65.

Au sujet des études séculaires, il cite son prédécesseur Léon XIII et fait l’éloge de l’étude des sciences naturelles :

Appliquez-vous avec ardeur à l’étude des sciences de la nature : les géniales découvertes, les applications hardies et utiles faites de nos jours sur ce terrain, qui provoquent à juste titre l’enthousiasme des contemporains, seront aussi pour la postérité un sujet d'admiration66.

Pie X souligne qu’il ne faut toutefois pas négliger ni ignorer les sciences sacrées. Il affirme que l’étude des sciences de la nature doit se faire sans interférer avec les études sacrées et qu’un certain équilibre doit être établi dans l’étude de ces deux disciplines. La sévérité doit également être à l’ordre du jour quand vient le temps de choisir les directeurs et les professeurs des grands séminaires et des universités catholiques : « Qui, d'une manière ou d'une autre, se montre imbu de modernisme sera exclu, sans merci, de la charge de directeur ou de professeur ; l'occupant déjà, il en sera retiré67 ».

Pascendi exige également la diligence lors de la sélection de candidats pour les saints Ordres :

Loin, bien loin du sacerdoce l'esprit de nouveauté ! […] Défense est faite aux clercs et aux prêtres qui ont pris quelque inscription dans une Université ou Institut catholique de suivre […] les cours des Universités civiles. Si cela a été permis quelque part, Nous l'interdisons pour l'avenir. Que les évêques qui président à la direction de ces Universités et Instituts veillent à ce que les prescriptions que Nous venons d'édicter y soient fidèlement observées68.

Les évêques doivent également interdire la lecture d’écrits modernistes et de tout faire afin que les textes non publiés ne le deviennent. Cela vaut également pour les écrits catholiques :

65 Pie X, encyclique Pascendi dominici gregis, in P. VEUILLOT, Notre Sacerdoce : documents pontificaux de Pie X

à nos jours, tome I, Paris, Fleurus, 1954, p. 93.

66 Pascendi dominici gregis in Notre Sacerdoce : documents pontificaux de Pie X à nos jours [...], p. 93. 67Pascendi dominici gregis in Ibid., p. 95.

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Il n'y a pas à juger autrement certains ouvrages publiés par des catholiques, hommes dont on ne peut suspecter l'esprit, mais qui, dépourvus de connaissances théologiques et imbus de philosophie moderne, s'évertuent à concilier celle-ci avec la foi, et à l'utiliser […] au profit de la foi. […] ils ont pour effet, et c'est ce qui les rend plus dangereux, de faire glisser lentement vers le modernisme69.

Les évêques doivent aussi veiller à mettre hors de la circulation tout livre pernicieux. Sans donner trop de précisions quant aux moyens d’y arriver, Pie X affirme :

Le Saint-Siège ne néglige rien pour faire disparaître les écrits de cette nature […]. Nous voulons donc que les Évêques, méprisant toute crainte humaine, foulant aux pieds toute prudence de la chair, sans égard aux criailleries des méchants, suavement, sans doute, mais fortement, prennent en ceci leur part de responsabilité […]70.

En plus de ces mesures, Pie X ordonne explicitement que la publication de ces livres soit interdite. Des censeurs auront donc la tâche de lire tout texte catholique potentiellement publiable et, si nécessaire, interdiront leur publication. Ainsi, dans chaque diocèse sera établi un conseil de vigilance qui, sous l’autorité de son président, surveillera

[…] très attentivement et de très près tous les indices, toutes les traces de modernisme dans les publications, aussi bien que dans l'enseignement ; il prendra, pour en préserver le clergé et la jeunesse, des mesures prudentes, mais promptes et efficaces71.

L’autorité du conseil s’étend également à toutes les institutions sociales :

Nous recommandons enfin au Conseil de vigilance d'avoir l’œil assidument et diligemment ouvert sur les institutions sociales et sur tous les écrits qui traitent de questions sociales, pour voir s'il ne s'y glisse point du modernisme […]72.

En somme, quoique l’approche de Pie X soit plus agressive que celle de son prédécesseur, les deux pontifes partagent la même antipathie par rapport au modernisme.

Dans les années qui suivirent la publication de Pascendi, le conseil de vigilance fut plus déterminé que jamais à éliminer le modernisme. Les publications indexées et les excommunications, telles celles de George Tyrell et d’Alfred Loisy, furent communes. Si le modernisme ne constituait pas, un « système bien organisé », tel que le prétendait l’Église,

69 Pascendi dominici gregis in Ibid., p. 95. 70 Pascendi dominici gregis in Ibid.

71 Pascendi dominici gregis in Notre Sacerdoce : documents pontificaux de Pie X à nos jours [...], p. 95. 72 Pascendi dominici gregis in Ibid.

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l’intégrisme, lui, semblait de plus en plus organisé dans sa lutte. Tel que l’affirme É. Poulat, le mouvement intégriste fut dirigé par Mgr Benigni, prélat à la secrétairerie d’État, et financé par Pie X lui-même.73 Utilisant des tactiques telles que la surveillance et l’espionnage, les membres du mouvement informaient le pape de toutes les activités des modernistes. Selon R. Aubert, « Il [Pie X] dirigea une sorte de police secrète ecclésiastique qui nous paraît aujourd’hui presque inadmissible74 ».

Le règne de Pie X prit fin en août 1914, alors que le pouvoir intégriste atteignait son sommet. Avec lui disparut également l’espoir des intégristes de poursuivre leur but de supprimer totalement le libéralisme. Le nouveau pontife, Benoît XV, ne tenta pas pour sa part d’arrêter le progrès de la modernité. Son énergie fut en grande partie consacrée aux évènements de la Première Guerre mondiale.