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CHAPITRE 1 : LA RELATION DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LA SCIENCE AU XX e

2. Les documents anti-modernistes de l’Église

2.1. Léon XIII et l’encyclique Providentissimus deus (1893)

À la fin du XIXe siècle, c’est l’interprétation traditionnelle de la Bible qui régnait. Dans les

milieux orthodoxes, on poussait l’argument concordiste à la limite, allant jusqu’à qualifier Saint Paul « d’avant-gardiste » puisque sa seconde épître parlerait de l’hydrogène comme étant à la

44 Émile POULAT, Modernistica [...], p. 28-29.

45 Un texte antimoderniste que nous avons choisi de ne pas aborder en détail dans cette section est le Syllabus de Pie

IX (1864). Le Syllabus est un texte adjoint à l’encyclique Quanta cura (1864) qui énumère une série de propositions précises exposant les erreurs condamnées par les Papes sur des sujets les plus variés. À cette époque, le Syllabus caractérisait la méfiance de l’Église envers le progrès et la nouveauté. Les articles 5, 12 et 80, visant particulièrement la science et le progrès, anathématisent ceux qui soutiennent que la révélation devrait s’adapter au progrès humain, ceux qui pensent que l’enseignement du Saint-Siège entrave le progrès de la science et que le pape devrait se réconcilier avec le progrès et le libéralisme. Toutefois, en raison de leur importance en tant qu’encycliques, nous avons surtout concentré nos analyses sur Providentissimus deus et Pascendi.

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base de la matière46. Même les plus libéraux de l’Église fixaient la date de la création de la terre à dix mille ans. Mais le concordisme fut jugé trop dangereux, car il risquait, à long terme, d’éloigner les fidèles des Écritures. Afin que les chrétiens embrassent la tradition, P. de Broglie affirmait qu’il fallait que les thèses traditionnelles de l’apologétique soient « plus prouvées et mieux défendues47 ».

Néanmoins, l’Église maintenait son contrôle sur les sciences, qu’elle jugeait « inférieures ». Mais l’avancée des sciences devenait de plus en plus irrésistible et l’autorité papale de plus en plus affaiblie. En réponse à cette menace, Léon XIII publia en 1893 l’encyclique Providentissimus

deus, qui représente l’une des premières prises de position pontificales relativement à l’exégèse

historico-critique moderne. Providentissimus fut présentée par les conservateurs de l’époque comme un pas en avant pour l’interprétation biblique. En réalité, l’encyclique présentait une vision plutôt rigide de l’inspiration biblique, son but principal étant d’ériger un mur entre la Bible et l’Église d’un côté, et les modernistes et les infidèles de l’autre. L’encyclique nous présente d’abord l’aspect surnaturel de la révélation :

Quoiqu'on doive comprendre dans la révélation divine des vérités qui ne sont pas inaccessibles à la raison humaine, et qui, par suite, ont été révélées à l'homme ‘afin que tous puissent les connaître facilement, avec une ferme certitude, sans aucun mélange d'erreur’, cependant cette révélation ne peut pas être dite nécessaire d'une

façon absolue, mais parce que Dieu, dans son infinie bonté, a destiné l'homme à une

fin surnaturelle48.

L’encyclique tente ensuite d’identifier les rationalistes, qu’il considère comme les « vrais ennemis » de l’Église. Selon le document, les rationalistes nient l’inspiration et la révélation ainsi que les miracles et les vérités contenues dans la Bible en invoquant les décisions d’une nouvelle science libre :

Au moyen des livres, des opuscules, des journaux, ils répandent un poison funeste ; par des réunions, par des discours, ils le font pénétrer plus avant ; déjà ils ont tout envahi, ils possèdent de nombreuses écoles arrachées à l'Église, où, dépravant misérablement, même par la moquerie et les plaisanteries bouffonnes, les esprits encore tendres et crédules des jeunes gens, ils les excitent au mépris de la Sainte Écriture. […] Et tandis que ces hommes jugent et parlent d'une façon si impie au

46 Albert HOUTIN, La Question Biblique chez les Catholiques de France au XIXe Siècle, Paris, 1902, p. 278. 47 Auguste-Théodore-Paul de BROGLIE, Questions Bibliques, Paris, Lecoffre, 1904, p. 7.

48 LÉON XIII, encyclique Providentissimus deus (1893), in Actes de Léon XIII, tome IV, Paris, Maison de la Bonne

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sujet de Dieu, du Christ, de l'Évangile et du reste des Écritures, il n'en manque pas parmi eux qui veulent être regardés comme chrétiens, comme théologiens, comme exégètes et qui, sous un nom très honorable, voilent toute la témérité d'un esprit plein d'insolence49.

Providentissimus s’attaque ensuite aux aspects pratiques liés à l’enseignement et à l’étude des

Écritures. Se référant aux décrets du concile de Trente, Léon XIII affirme que l’étude biblique est un domaine strictement réservé à l’Église et que personne ne dispose de l’autorité nécessaire à l’interprétation des Écritures. Toutefois, il souligne qu’il n’entend pas empêcher ou ralentir la quête pour une science biblique, disant plutôt vouloir la protéger contre l’erreur. Pour Léon XIII, toute interprétation biblique qui fait ressortir des contradictions entre les auteurs sacrés doit être considérée comme fausse.

L’encyclique dénonce également les physiciens, en clamant que l’Église doit combattre ceux qui utilisent la science physique pour scruter les Écritures en espérant y découvrir des erreurs. Léon XIII perçoit dans la nature même de la science les racines de la destruction de principes philosophiques et de la corruption de la moralité50. Comme à l’époque médiévale, la science, telle

qu’exposée dans Providentissimus deus, demeure l’esclave de l’Église : « La théologie ne tire pas ses principes des autres sciences, mais immédiatement de Dieu par la révélation. [...] Elle ne reçoit rien de ces sciences, comme lui étant supérieures, mais elle les emploie comme étant ses inférieures et ses servantes51 ». Pour Léon XIII, les principes fondamentaux de la théologie ne sont pas le fruit d’une quelconque pensée profane, mais sont plutôt dérivés directement et immédiatement de Dieu par sa révélation. Les sciences profanes sont considérées comme les servantes de la théologie.

Il y a toutefois un passage de l’encyclique qui démontre plus d’ouverture envers l’interprétation biblique : « [les auteurs de la Bible], sans s'attacher à bien observer la nature, décrivent quelquefois les objets et en parlent, ou par une sorte de métaphore, ou comme le comportait le langage usité à cette époque52 ». Toutefois, Léon XIII affirme que malgré leur humanité, il était

49 Providentissimus deus in Actes de Léon XII […], p. 18-19. 50 Providentissimus deus in Actes de Léon XII […], p. 33. 51 Ibid., p. 29.

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impossible pour les auteurs sacrés de se tromper puisqu’ils étaient sous l’influence de l’Esprit et donc à l’abri de toute erreur. Selon cette logique, si les livres sacrés contiennent des erreurs, c’est Dieu lui-même qui est dans l’erreur. Dieu étant la Vérité suprême, il s’ensuit qu’il doit être impossible que les livres sacrés contiennent des erreurs. Mais Léon XIII admet que certaines ambiguïtés existent dans les Écritures. La solution proposée est donc la suivante : tout doit être fait pour éliminer la contradiction et déterminer le vrai sens du passage en question. Après consultation, si la contradiction demeure, il sera de l’autorité du pape de déclarer qu’il y a eu une erreur d’interprétation, la vérité ne pouvant pas contredire la vérité. Enfin, si aucune erreur d’interprétation ne peut être identifiée, il doit y avoir suspension du jugement pour une période indéfinie.

En 1897, l’autorité de Providentissimus deus fut sérieusement remise en question lorsqu’un passage de la première épître de Jean, déclaré authentique par le pape, fut prouvé non authentique par l’abbé Paulin Martin, qui avait étudié ce passage pendant plusieurs années. Que ce soit en raison des recherches de Martin ou de l’ensemble des critiques visant l’encyclique, Léon XIII se distancie visiblement des propos de Providentissimus dans les dernières années de son pontificat. En 1901, il met même sur pied la Commission Biblique Internationale, dont le rôle était de conseiller les exégètes progressistes dans leurs recherches. Mais avec la mort de Léon XIII en 1903, la Curie voulut renforcer sa mainmise sur la tradition. Ainsi, le pape Pie X, dénoncerait l’« idéologie » moderniste et condamnerait ses sympathisants.