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Nouveaux regards sur les éléments de traditionalisme et de nouveauté dans le discours de Jean-Paul II sur la science

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Academic year: 2021

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Regards sur les éléments de traditionalisme et de

nouveauté dans le discours de Jean-Paul II sur la

science

Thèse

Steven Gaudet

Doctorat en théologie de l’Université Laval

Offert en extension à l’Université de Sherbrooke

Philosophiae Doctor (Ph. D.)

Centre d’études du religieux contemporain

Université de Sherbrooke

Sherbrooke, Canada

Faculté de théologie et de sciences religieuses

Université Laval

Québec, Canada

© Steven Gaudet, 2017

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Regards sur les éléments de traditionnalisme et de

nouveauté dans le discours de Jean-Paul II sur la

science

Thèse

Steven Gaudet

Sous la direction de :

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iv RÉSUMÉ

Notre recherche vise une meilleure compréhension de l’ensemble du discours de Jean-Paul II sur le rôle que devrait jouer la science dans la société ainsi que sur les responsabilités morales de la science. C’est un discours qui tranche à la fois avec les aspects d’ouverture et de dialogue attribués à Jean-Paul II dans les médias et les milieux académiques, mais qui débouche sur des éléments originaux peu explorés. Nous nous concentrons sur deux facettes de la pensée de Jean-Paul II sur la science : le traditionalisme et la nouveauté.

En premier lieu, ce que le corpus littéraire et l’enseignement de Jean-Paul II nous disent sur l’aspect traditionnel de sa pensée va au-delà de la pensée populaire sur le sujet. De ce fait, ce que nous tentons d’exposer chez le pape est une pensée teintée d’aristotélico-thomisme, un « axe métaphysique » sur lequel repose l’enseignement de Jean-Paul II sur les sciences pures et les sciences de l’univers en particulier. Ce que nous souhaitons opérer relativement à cette vision est une exposition de nouveaux éléments et une réinterprétation de ce que nous entendons par le concept de traditionalisme dans le discours de Jean-Paul II sur la science. Pour ce faire, nous mettons en évidence certains aspects dogmatiques rigides de la constitution Gaudium et spes sur l’Église dans le monde de ce temps tout en identifiant certains éléments de l’enseignement de Jean-Paul II qui s’insèrent dans un cadre métaphysique thomiste et qui font appel à l’apologie de circonstance.

En second lieu, nous tentons de démontrer que l’aspect de nouveauté chez Jean-Paul II réside dans les outils méthodologiques qu’il se donne pour développer son anthropologie théologique. Cette nouveauté s’enracine dans son anthropologie philosophique, qui fait partie intégrante de son continuum méthodologique. Cette méthodologie mène à une anthropologie théologique où les concepts de personne et de dignité prennent tout leur sens. Ainsi, nous démontrerons que Jean-Paul II nous révèle dans son enseignement les sources d’une anthropologie philosophique enracinée fermement dans les récits de la Création et dans une « théologie du corps ». Jean-Paul II donne des fondements bibliques à sa philosophie de l’être humain, ce qui lui permet d’exposer plus clairement sa vision théologique de la personne. Se faisant, il donne également des assises à sa vision morale. Ainsi, son enseignement sur les sciences expérimentales comporte un « axe éthico-moral » dont dépend l’authenticité de toute science. Nous voulons donc ici approfondir l’originalité de Jean-Paul II relativement à son enseignement sur la science expérimentale tout en allant au-delà des couplets populaires simplistes et édifiants.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION………..1

CHAPITRE 1 :LA RELATION DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LA SCIENCE AU XXe SIÈCLE : UNE LUTTE POUR LA VÉRITÉ………12

1. La période moderniste………...12

1.1. Modernisme : définition et contexte ... 12

1.2. Une vérité qui ne se divise pas : le tournant de Vatican I et la science catholique ... 19

2. Les documents anti-modernistes de l’Église………23

2.1. Léon XIII et l’encyclique Providentissimus deus (1893) ... 23

2.2. Pie X et l’encyclique Pascendi dominici gregis (1907) ... 26

3. Période de changement………..32

3.1. La contribution de la philosophie des sciences ... 32

3.2. Pie XII et l’encyclique Humani generis (1950) ... 37

3.3. Teilhard de Chardin : fusion de la pensée religieuse et scientifique ... 41

4. L’ouverture : de Jean XXIII à Jean-Paul II………46

4.1. Jean XXIII, Vatican II et l’Église dans le monde moderne ... 47

4.2. Paul VI : progrès à contrecœur ... 52

4.3. Jean-Paul II : le pape avec les scientifiques ... 58

CHAPITRE 2 :LA SCIENCE DANS L’ENSEIGNEMENT DE JEAN-PAUL II………….68

1. La science dans le contexte plus large de la culture………68

1.1. Foi et culture ... 70

1.2. Les dangers de la science dans une culture « malade » ... 72

2. Analyse des textes de Jean-Paul II sur la science………74

2.1. Science et foi ... 74

2.2. La Médecine ... 133

2.3. Guerre et paix ... 140

2.4. Autres discours ... 144

3. Les grands thèmes de la pensée de Jean-Paul II sur la science………...153

3.1. Liberté/Vérité/Morale ... 155

3.2. Personne/Anthropologie/Anthropologie philosophique ... 157

3.3. Éthique/Éthique et morale en médecine ... 159

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vi

3.5. Pas d’opposition entre la science et la foi ... 163

3.6. Les limites inhérentes de la science ... 165

3.7. Ambivalence de la science et de la technique ... 166

3.8. Fragmentation du savoir et des sphères de la culture ... 168

3.9. La science est incapable de répondre aux grandes questions de l’existence... 168

3.10. La science pour la paix ... 170

3.11. L’exigence de la conscience ... 172

3.12. Les bonnes relations entre l’Église et la science ont toujours existé ... 173

CHAPITRE 3 :LA VÉRITÉ CHEZ JEAN-PAUL II……….176

1. Les sources de Jean-Paul II dans son enseignement sur la vérité………...177

1.1. Les premières influences ... 177

1.2. La formation philosophique et les influences définitives ... 180

1.3. Jean de la Croix (1542-1591) ... 180 1.4. Max Scheler (1874-1928) ... 181 1.5. Thomas d’Aquin (1225-1274) ... 181 2. Les encycliques……….183 2.1. Veritatis splendor ... 183 2.2. Fides et ratio ... 185

2.3. Accent sur la vérité ... 188

2.4. Les sources de Fides et ratio ... 189

2.5. Textes abordant la science ... 191

3. Anthropologie philosophique et vérité chez Jean-Paul II………192

3.1. La connaissance objective ... 194

3.2. L’acte et la personne ... 195

3.3. La conscience ... 195

3.4. La transcendance de la personne ... 196

3.5. L’intégration de la nature ... 196

4. Liberté et vérité chez K. Wojtyla………...198

4.1. Volonté et vérité ... 198

4.2. Émotivité ... 199

4.3. Paradoxe de la réalisation de l’homme ... 200

4.4. Rôle de la conscience morale ... 201

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vii

5.1. Du philosophe au théologien ... 202

5.2. De Scheler à Vatican II ... 203

5.3. Une théologie anthropocentrique et christocentrique ... 205

6. Anthropologie théologique et vérité chez Jean-Paul II………206

6.1. Le concept de vérité dans l’encyclique Veritatis splendor ... 206

6.2. Présentation de Veritatis splendor ... 208

6.3. Vérité et liberté au cœur de Veritatis splendor (nos. 31-53) ... 210

7. Analyse de la vérité et de ses concepts clés dans Veritatis splendor………...212

7.1. Autonomie morale ... 212

7.2. Appartenance de la liberté à la vérité ... 213

7.3. Loi naturelle, raison et vrai bien ... 215

CHAPITRE 4 :PHILOSOPHIE, SCIENCE ET VÉRITÉ………...220

1. Théories de la vérité en philosophie………...220

1.1. La conception aristotélicienne de la vérité ... 220

1.2. Vérité-correspondance ... 222

1.3. Théorie sémantique de Tarski ... 223

1.4. Vérité-cohérence ... 224

1.5. Théorie pragmatiste de la vérité ... 225

1.6. Théorie de l’éliminabilité logique du concept de vérité ... 226

1.7. Théorie non descriptiviste de la vérité ... 227

2. Science et concept de vérité……….228

2.1. Définition de la science ... 228

2.2. Distinction entre sciences formelles et empirico formelles ... 230

2.3. Sciences formelles ... 231

2.4. Sciences formelles et vérité ... 232

2.5. Sciences empirico formelles ... 233

2.6. Sciences empirico formelles et vérité ... 234

CHAPITRE 5 :NOUVEAUX REGARDS SUR LES ÉLÉMENTS DE TRADITIONALISME ET DE NOUVEAUTÉ DANS LE DISCOURS DE JEAN-PAUL II SUR LA SCIENCE……….238

1. La nouveauté du discours de Jean-Paul II vis-à-vis des sciences empiriques………239

2. Papes et concordisme………...243

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viii

4. Références métaphysiques………..249

5. « Superconcordisme »……….249

6. Les fondements philosophiques et théologiques de la morale de Jean-Paul II comme nouveauté dans sa vision des sciences expérimentales……….254

7. La théologie du corps comme achèvement de la vision anthropologico-philosophique de Jean-Paul II……….259

8. Contraception, anthropologie et sciences expérimentales………265

CONCLUSION………...270

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INTRODUCTION

Un fait frappant lorsque que nous prenons connaissance de l’œuvre de Karol Wojtyla est l’absence d’un discours de substance sur la science. Une lecture de son œuvre philosophique monumentale Personne et Acte1 nous fait remarquer l’absence des thèmes de la science et de la technologie. Toutefois, dès le début de son pontificat, le thème de la science et en particulier la relation entre la théologie, la philosophie et la science est récurrent dans son enseignement. S’il est vrai que Jean-Paul II a abordé la question de la science et de sa relation avec la théologie plus souvent que l’ont fait ses prédécesseurs, il faut également ajouter que l’activité scientifique de l’Académie pontificale des sciences ne fut jamais aussi dynamique que pendant le pontificat de Jean-Paul II.2 Ajoutons à cela les tensions politiques entre l’U.R.S.S. et les États-Unis, qui servirent de terrain fertile pour la culture de la peur et de la paranoïa liées aux armes de destruction massive, et nous obtenons la recette pour un pontificat parsemé d’allocutions contre la mauvaise utilisation de l’énergie nucléaire et, par extension, contre tout ce qui, dans le domaine scientifique, a le potentiel d’être utilisé pour nuire à l’humanité.

Nous pouvons donc distinguer deux principaux types de corpus littéraires relativement à Jean-Paul II et la science : (1) les écrits généraux sur la relation entre la science et la foi qui ne développent pas la pensée de Jean-Paul II à ce sujet et (2) les écrits traitant directement de la pensée de Jean-Paul II sur la relation entre la science et la foi. Dans ce dernier cas, les auteurs se tournent typiquement vers l’enseignement du pape relativement à la science, qui consiste en une analyse générale de quelques-uns de ses discours à la communauté scientifique et de quelques-unes de ses encycliques.

En ce qui a trait au premier ensemble d’écrits, plusieurs ont été publiés par l’Observatoire du Vatican ainsi que par l’Académie pontificale des sciences et portent sur, entre autres,

1 JEAN-PAUL II (trad. Anna T. TYMIENIECKA), Personne et Acte, Paris, Éditions du Centurion, 1983, 344

p.

2 Vingt-quatre des 30 congrès et sessions de l’Académie de 1948 à 1996 eurent lieu sous le règne de Jean-Paul

II. Ces congrès scientifiques sont habituellement organisés selon sept domaines principaux : la science de base, la science et les technologies appliquées aux problèmes globaux, la science au service du développement, la politique scientifique, la bioéthique, l’histoire de la science et la science au service de la paix.

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l’Église et l’affaire Galilée3, l’histoire de l’Observatoire du Vatican4, la fondation de

l’Académie pontificale des sciences5 et le dialogue science-foi.6

Le deuxième corpus, celui traitant plus directement de la position de Jean-Paul II sur la science, est beaucoup plus limité. Au moment d’écrire ces lignes, nous avons trouvé quatre études de substance abordant directement la pensée de Jean-Paul II sur la science. Il vaut donc la peine de les souligner. Premièrement, le livre de Rémy Bergeret, À l’écoute de la

science, le pape Jean-Paul II7, nous présente une vision inquiétante de la relation entre la science et la foi dans la culture européenne. L’auteur affirme que plusieurs chrétiens récusent la raison et ignorent les résultats de la science pour s’abandonner complètement à la foi. À l’inverse, il souligne que plusieurs membres de la communauté scientifique entretiennent une image négative du religieux en tant que domaine naïf de superstition. C’est à la lumière de ce contexte que l’auteur affirme l’importance dans notre monde d’aujourd’hui d’un sain dialogue entre la science et la foi. Bergeret veut démontrer qu’entre la science et la foi il n’existe pas d’opposition, mais plutôt une complémentarité que l’on doit embrasser.

Afin de nous convaincre, l’auteur s’attarde à démontrer, par une analyse historique et épistémologique de l’affaire Galilée, que les supposés « conflits » ayant eu lieu entre l’Église et le monde de la science étaient dus à des malentendus de part et d’autre. L’auteur tente ensuite de nous démontrer l’ouverture actuelle de l’Église envers la science en analysant une série de discours de Jean-Paul II touchant la relation entre science et foi. En somme, l’auteur tente d’expliciter la position de Jean-Paul II dans le débat science-foi tout en soulignant la nouveauté du discours du pape dans ce débat.

3 Paul POUPARD, Après Galilée. Science et foi : nouveau dialogue, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, 265 p.

et A. FANTOLI, Galileo : For Copernicanism and for the Church, Vatican City State, Vatican City Publications, 1994, 553 p.

4 Sabino MAFFEO, In the Service of Nine Popes: 100 Years of the Vatican Observatory, Vatican City State,

Vatican Observatory Publications and Pontifical Academy of Sciences, 1991, 235p.

5 Régis LADOUS, Des Nobel au Vatican : La fondation de l’Académie pontificale des sciences, Paris, Cerf,

1994, 220 p.

6 Paul POUPARD, Science et foi, Desclée International, 1982, 232 p.

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Une deuxième étude sur la question de Jean-Paul II et la science, intitulée John Paul II on

Science and Religion : Reflections on the New View from Rome8 analyse le discours du

pape sur la relation entre la science et la théologie à partir d’une lettre de Jean-Paul II au père George Coyne, directeur de l’Observatoire du Vatican. Publié sous forme d’un recueil d’essais de philosophes et de théologiens connus commentant la lettre de Jean-Paul II, l’ouvrage présente le contenu de la lettre comme un évènement sans précédent dans l’histoire de l’Église. Le pape, pensent les auteurs, a su faire entrer l’Église dans la modernité en lui donnant une voix favorable à une culture dominée par la science et la technologie. À partir de l’ouverture de Jean-Paul II au monde de la science, les auteurs invitent les philosophes, les théologiens et les scientifiques à amorcer une réflexion sur l’avenir de la relation entre l’Église et la science.

Le troisième ouvrage d’importance traitant de Jean-Paul II et la science, Science et foi :

vers un nouveau dialogue9, constitue un recueil des discussions ayant eu lieu en 1982 dans

une table ronde sur le thème de science et foi. Cette table ronde, organisée à la suite d’un discours de Jean-Paul II aux chercheurs du CERN sur le rapport foi-Église et les défis de la science actuelle, rassembla scientifiques, politiciens et théologiens de haut niveau.

La première partie du document regroupe les discours des participants sur le thème de la relation entre science et foi. Dans la seconde partie sont présentés les textes les plus importants de Jean-Paul II touchant aux rapports entre la science et la foi. Ces discours du pape servent à présenter les thèmes centraux de la réflexion théologique, de les situer dans leur contexte et de les confronter avec les questions soulevées à la table ronde. Loin de

8 Robert John RUSSELL; William R. STOEGER et George V. COYNE (éds.), John Paul II on Science and

Religion: Reflections on the New View from Rome, Vatican City, Vatican Observatory Publications, 1990, 117 p. Soulignons d’ailleurs que plusieurs sources Anglophones ont été consultées dans le cadre de notre recherché sans toutefois être mobilisées pour la rédaction du texte per se. Ces sources n’ont pas été retenues puisqu’elles constituaient soit des sources périphériques trop éloignées du noyau de la recherche, soit des sources plus directement liées au noyau de la recherche mais n’apportant rien de nouveau ou en complément aux textes francophones. Parmi ces textes, soulignons par exemple Walter KASPER, The Theological Anthropology of Gaudium et spes, Communio, no. 23, Spring 1996, pp. 129-140; Beverly STRATTON, Is Science Scientific? Affinities Between Theologians and Scientists as Interpreters in the Search for Truth, Word & World, no. 13, Summer 1993, pp. 269-276; Josef SEIFERT, Karol Cardinal Wojtyla as Philosopher and the Cracow/Lublin School of Philosophy, Aletheia, vol. 2, 1981, pp. 130-199.

9 Roger BERTHOUZOZ, Science et foi : vers un nouveau dialogue, Genève, Éditions du Tricorne, 1983, 70

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constituer un débat sur le contenu des discours de Jean-Paul II, la table ronde vise, selon l’éditeur du compte rendu, à « mieux cerner les enjeux posés par la recherche scientifique et le témoignage de la foi, dans un esprit d’ouverture mutuelle et avec la conviction que seule une attitude de collaboration peut contribuer au projet d’une société plus juste et plus humaine ».10

Les brèves descriptions des écrits qui ont précédé démontrent l’absence d’analyses critiques sérieuses et approfondies sur l’enseignement et la position de Jean-Paul II vis-à-vis de la science. Quoi qu’il en soit, les travaux qui abordent cet aspect de la pensée de Jean-Paul II tendent plutôt à souligner l’« ouverture » du pape en ce qui concerne le monde de la science. Loin de s’aventurer dans la richesse du langage philosophique et théologique de Jean-Paul II, la majorité des auteurs conclut à une vision monochromatique du débat science-foi dans l’Église sans confronter des aspects plus subtils de son enseignement. Ainsi, cette « ouverture » de Jean-Paul II envers la science s’enracine dans : (1) son regret concernant les erreurs passées commises par l’Église contre les hommes de raison, plus particulièrement contre Galilée, et (2) l’affirmation de Jean-Paul II de la nécessité d’un dialogue constructif entre la science et la foi pour la promotion d’une société plus humaine.

Comme dans plusieurs documents officiels conciliants, Jean-Paul II emprunte un vocabulaire généreux avec des termes péjoratifs qui sont facilement insérables dans un texte afin de lui donner une saveur positive. Par exemple, dans ses discours abordant le dialogue science-foi, les mots clés souvent utilisés sont vérité, liberté, intégrité, unité,

ouverture critique, honnêteté et courage. Une partie importante de notre tâche sera donc

d’approfondir ces termes et d’en faire ressortir toute leur richesse.

Comme nous l’avons déjà mentionné, peu d’études sérieuses et de longue haleine ont été produites sur la pensée de Jean-Paul II relativement à la science. De plus, il nous semble que, de manière générale, les médias qui abordent la pensée de Jean-Paul II parlent plutôt des aspects les plus controversés de sa pensée, qu’ils nous présentent malheureusement trop souvent de façon superficielle et sensationnelle.

10 Roger BERTHOUZOZ, Science et foi : vers un nouveau dialogue, Genève, Éditions du Tricorne, 1983, p.

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Jean-Paul II était un géant de la pensée. Cela caractérise bien le chef de l’Église catholique dont le pontificat, l’un des plus longs de l’histoire de la papauté, s’est étendu de 1978 à 2005. Certes, de façon générale, il est présenté comme étant à la fois conservateur et progressiste ; révolutionnaire et réactionnaire. Il fut un éminent porte-parole pour les droits de la personne, un créateur de ponts entre le christianisme et le judaïsme, un critique du capitalisme et du communisme ainsi qu’un homme de prière et de rigueur morale. Il est également reconnu comme étant l’enseignant d’une stricte morale chrétienne qui s’oppose au matérialisme et au sécularisme des sociétés modernes. Cette objection morale comprend un rejet de plusieurs formes de biotechnologies comme la recherche sur les cellules souches, la fertilisation in vitro, les méthodes de traitement thérapeutique génique germinale et le clonage. Or, face à ce positionnement moral, certains observateurs concluent que le pontife ne peut être qu’antiscience et anti-technologie et qu’il entretient la vision d’une théologie méfiante à l’égard de la science et de la technologie ; une position communément qualifiée de traditionaliste.

Or, ce que le corpus littéraire et l’enseignement de Jean-Paul II nous disent sur l’aspect

traditionnel de sa pensée va au-delà du populisme, du statu quo. Ce que nous exposerons

chez le pape est une pensée teintée d’aristotélico-thomisme. C’est donc en partie sur cet « axe métaphysique » que repose l’enseignement de Jean-Paul II sur les sciences pures et les sciences de l’univers. Ainsi, ce que nous souhaitons opérer relativement à cette vision n’est pas une suppression de tout ce qui a été dit préalablement sur le pontife et la science ; nous voulons supplémenter et étoffer ce que nous entendons par traditionalisme dans le discours de Jean-Paul II sur la science et en exposer de nouveaux éléments.

Une autre vision populaire nous présente un pape ayant essentiellement développé une approche en harmonie avec la science. Certes, de ce point de vue, il existe une rhétorique stéréotypée et mielleuse relativement aux déclarations papales sur le « dialogue » et la « compréhension » vis-à-vis de la science. Toutefois, il est un fait que Jean-Paul II a affirmé la valeur intrinsèque des sciences tout en dénonçant la perversité de leur utilisation réductionniste, surtout en ce qui a trait à leur compromission de la dignité humaine. Il a

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également insisté pour que les connaissances produites par les sciences soient utilisées pour faire la promotion du bien commun. Qualifions cette position de nouveauté chez Jean-Paul II.

Cet aspect novateur attribué au discours de Jean-Paul II sur les sciences ne représente que la « forme » d’une pensée reposant sur un « fond » théoriquement et méthodologiquement plus complexe. Ce pape nous révèle dans son enseignement les sources d’une anthropologie philosophique enracinée fermement dans les récits de la Création et dans une « théologie du corps ». Jean-Paul II donne des fondements bibliques à sa philosophie de l’être humain, ce qui lui permet d’exposer plus clairement sa vision théologique de la personne. Se faisant, il donne également des assises à sa vision morale. Ainsi, son enseignement sur les sciences expérimentales comporte une sorte d’« axe éthico-moral » dont dépend l’authenticité de toute science. Nous voulons donc ici approfondir ce que nous entendons par « nouveauté » chez Jean-Paul II relativement à son enseignement sur la science expérimentale tout en allant au-delà des couplets populaires simplistes et édifiants.

Posons maintenant notre hypothèse, avec comme point de départ les deux postulats suivants :

En premier lieu, l’attitude d’ouverture et de dialogue envers la science associée à l’image publique de Jean-Paul II comporte un traditionalisme dogmatique sous-jacent. Notre thèse vise à confirmer cette proposition en démontrant que : a) les origines du no. 36 de la constitution Gaudium et spes sur l’Église dans le monde de ce temps s’enracinent dans un cadre dogmatique plutôt rigide remontant au 5e concile du Latran ; b) Jean-Paul II, dans plusieurs de ses enseignements et correspondances, se réfère clairement à la métaphysique thomiste et au concordisme à la Pie XII (l’apologie de circonstance) pour appuyer certains de ses enseignements.

En second lieu, nous postulons que la réelle nouveauté chez Jean-Paul II réside dans les outils méthodologiques qu’il se donne pour développer son anthropologie théologique. Cette nouveauté s’enracine dans l’anthropologie philosophique du pape, qui fait partie intégrante de son continuum méthodologique. Cette méthodologie mène à une anthropologie théologique où les concepts de personne et de dignité prennent tout leur sens.

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Nous tenterons de confirmer ce second postulat en démontrant que Jean-Paul II, en donnant des assises bibliques à son anthropologie philosophique par sa référence à la création et à sa théologie du corps, développe une anthropologie théologique qui donne forme à sa vision morale et clarifie le rôle que doivent jouer les sciences expérimentales dans le monde d’aujourd’hui. Nous nous permettons de préciser dès le départ que notre but n’est pas d’exposer, de nous immiscer ni de prendre position dans le débat moral entourant les procédés controversés tels le clonage ou les cellules souches. Notre argumentation se situe à l’a posteriori de ce débat, conscients de la position traditionnelle de l’Église en la matière. Ce que nous chercherons à approfondir est le raisonnement philosophico-théologique apporté par Jean-Paul II en défense de la dignité de l’homme.

À notre avis, cette thèse représente une contribution utile qui vise à souligner et à clarifier les aspects sous-jacents et peu publicisés de la pensée et la doctrine de Jean-Paul II. À une époque où la science évolue à un rythme exponentiel et où presque toutes les sphères de la vie humaine en sont affectées, de quelle manière l’Église y fait face ?

Notre recherche vise une meilleure compréhension de l’ensemble du discours de Jean-Paul II sur le rôle que doit jouer la science dans la société et des responsabilités morales de la science. Au plan fondamental, ce discours tranche avec le discours d’ouverture et de dialogue attribué à Jean-Paul II dans les médias.

Pour parvenir à notre objectif, nous procèderons à l’exposition des chapitres de notre thèse comme suit. Le chapitre premier traitera de la relation entre l’Église catholique et la science tout au long du 20e siècle : du modernisme du début du siècle au positivisme des années 30 jusqu’à l’ouverture de Pie XII et la suite dans la pensée de Jean-Paul II. Nous verrons comment, à la suite des frictions intellectuelles du modernisme et de la logique rationnelle de la philosophie des sciences, l’Église prit conscience que son discours ne suffisait plus à lui seul pour expliquer le fonctionnement du monde visible. De Pie XII à Jean-Paul II, la science devient de plus en plus un outil à mettre au service de l’humanité.

Le second chapitre nous permettra de voir comment le discours de Jean-Paul II sur la science se démarque de celui de ses prédécesseurs. Plus particulièrement, nous verrons que

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le pape situe la science bien au-delà du cadre strictement scientifique, dans la culture humaine proprement dite. Nous analyserons aussi les principaux textes de Jean-Paul II abordant la science en circonscrivant leurs concepts clés. Nous serons donc en mesure de constater que la liberté, la vérité et la dignité de la personne, entre autres, donnent forme à la dimension anthropologique de l’homme. C’est ainsi que chez Jean-Paul II, science et homme se complètent et doivent se compléter mutuellement.

Dans le troisième chapitre, nous exposerons dans un premier temps les sources de Jean-Paul II relativement au concept de la vérité. Ainsi, un parcours de ses premières influences, de ses années formatives et de ses sources d’enseignement une fois devenu pape nous permettra d’établir son cadre intellectuel prépontifical et de préciser son univers référentiel en tant que pontife. Dans un deuxième temps, il sera question d’examiner la méthodologie philosophique et théologique de Jean-Paul II en portant une attention particulière au concept de vérité. Pour cela, nous étudierons principalement son œuvre majeure Personne

et Acte ainsi que l’encyclique Veritatis splendor (1993). Ainsi, nous dégagerons à la fois la

nouveauté du discours de Jean-Paul II ainsi qu’une vision de la science plus traditionnelle qui se rapproche de celle de ses prédécesseurs.

Dans le quatrième chapitre, nous aborderons le concept de vérité sous un angle philosophique. Nous ferons donc un bref survol des différentes théories de la vérité et comment elles sont partie intégrante de la vérité en science. Nous offrirons une définition de la science et ferons la distinction entre sciences formelles et empirico formelles en faisant ressortir la théorie de la vérité prédominante dans chacune. Ainsi, en explicitant le concept de vérité sous ces angles, nous serons davantage en mesure de mettre en évidence la conception de la vérité dont il est question dans l’enseignement de Jean-Paul II. Ce chapitre mettra un certain accent sur le concept de la vérité et constituera une préparation pour une meilleure intégration du chapitre final, qui aura la vérité en toile de fond. Dans le cinquième chapitre, nous démontrerons que, durant son pontificat, Jean-Paul II a entretenu une certaine résistance envers la pleine autonomie de la science. Nous établirons donc qu’un certain traditionalisme dogmatique sous-tend l’ouverture du pontife envers la science

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et que le véritable apport de Jean-Paul II réside davantage dans sa méthodologie philosophico-théologique.

Afin de mener à bien notre travail de recherche, nous utiliserons une méthodologie qualitative. Notre but consistera essentiellement à exposer la pensée de Jean-Paul II par une analyse chronologique, par thèmes, d’un corpus de textes clés. Cela nous mènera ultimement à circonscrire les champs sémantiques principaux utilisés par le pape dans son discours sur les sciences. Nous nous baserons donc sur une approche systématique qui se caractérise par l’analyse d’un corpus central de documents se situant à l’intérieur du champ d’interprétation du monde de Jean-Paul II. Puisqu’il s’agit d’une critique interne qui demeure dans le cadre de référence traditionnel de Jean-Paul II, nous ne ferons pas appel à une grille de lecture externe. Notre méthode se rapproche de celle empruntée par P. Snyder dans son œuvre La femme selon Jean-Paul II. S’appuyant lui-même sur la grille de K.E. Borrensen11, le professeur Snyder met « […] le système de pensée de Jean-Paul II à l’épreuve de ses propres fondements et de ses articulations principales ». Ce faisant, il « […] choisit de faire une analyse de l’enseignement de Jean-Paul II à partir de sa cohérence interne en montrant sa façon d’argumenter et les assises anthropologiques et théologiques sur lesquelles il appuie son argumentation12 ». Nous ne visons pas une

déconstruction méthodique de ce qui pourrait légitimer une certaine vision d’un pape ouvert aux sciences et prêt au dialogue. Toutefois, par notre analyse approfondie de certains éléments du corpus jean-paulinien, nous chercherons à mettre en évidence des éléments qui ne trouvent que peu ou pas d’écho dans la documentation. Ainsi, notre questionnement nous amènera à nuancer l’« ouverture » de Jean-Paul II envers les sciences pures par le traditionalisme et la « nouveauté » de sa pensée par un voyage au cœur de son anthropologie philosophique et théologique. C’est ainsi que nous visons à amener le public à regarder d’un autre œil l’apport de ce pape au dialogue entre l’Église catholique et la science.

11 K.E. BORRENSEN. Subordination et équivalence. Nature et rôle de la femme d’après Augustin et Thomas

d’Aquin, Oslo, Universitets Forlaget, 1968, p. 258. Dans cet ouvrage qui a fait école, Borrensen expose la doctrine d’Augustin et de Thomas d’Aquin en montrant comment ils argumentent ainsi que les prémisses sur lesquelles sont fondées leurs conclusions.

12 Patrick SNYDER. La femme selon Jean-Paul II : lectures des fondements anthropologiques et théologiques

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10

De façon générale, la méthodologie de Jean-Paul II peut être considérée comme une méthode inductive. Comme le souligne L. Kinkupu, c’est une méthodologie qui « […] exige que l’on se mette à l’écoute des évènements et des opinions, que l’on fasse attention aux réalités sociales […], à l’homme tel qu’il est situé dans le monde de l’économie, de la politique et de la culture13 ». Dans le même ouvrage, R. Mfitzsche résume bien les éléments centraux de la méthodologie type que Jean-Paul II emprunte dans ses écrits sociaux : « La méthode d’analyse du pape, méthode initiée par le Concile Vatican II, reprend les trois moments chers aux mouvements d’action catholique : voir, juger, agir : analyse scientifique des faits et des conséquences/voir analytiquement, discernement éthico-théologique/juger éthiquement et théologiquement, énoncés et recommandations pratiques/agir pastoralement et orientant les changements vers un développement authentique et digne de l’homme14 ».

Cette méthode n’est pas sans rappeler les propos de G. Casalis qui, dans son petit ouvrage intitulé : Les idées justes ne tombent pas du ciel : éléments de théologie inductive, souligne que la méthode inductive part « […] de la prise en compte de la réalité concrète pour aboutir à des considérations d’ordre théologique15 ». Comme le souligne F. Lienhard dans

le collectif Paul Tillich, prédicateur et théologien pratique, « cette méthode […] part de ce que les humains vivent concrètement, dans leur situation particulière et leur expérience singulière, pour élaborer une réflexion théologique consciente de son caractère second par rapport au vécu ecclésial16 ». En ce qui concerne l’approche méthodologique de Jean-Paul

II lorsqu’il traite de la science, l’aspect novateur de son discours réside en ce qu’il donne des assises bibliques à son anthropologie philosophique. Il développe une anthropologie proprement théologique à partir d’une conception philosophique de l’homme. En élaborant une anthropologie philosophico-théologique largement inspirée du personnalisme schélérien, il fonde un discours éthico-moral novateur enraciné dans la personne et la conscience qu’a cette personne de ses actes et dans la dépendance de la personne envers la vérité et la liberté sous le voile de Dieu.

13 Léonard SANTEDI KINKUPU. La théologie et l’avenir des sociétés, Paris, Karthala, 2010, p. 327-328. 14 Ibid., p. 327.

15 Georges CASALIS. Les idées justes ne tombent pas du ciel : éléments de théologie inductive, Paris, Cerf,

1977, p. 130.

16 Fritz LIENHARD. Corrélation et théologie pratique : Paul Tillich, théologien pratique in, Berlin : LIT,

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11

À la nouveauté de ce discours s’oppose aussi chez Jean-Paul II une réflexion traditionnelle sur la science qui s’identifie à celle de ses prédécesseurs et qui s’enracine dans le thomisme. Cette réflexion métaphysique, réservée surtout aux sciences pures, fait surgir chez Jean-Paul II une conception particulière de la dynamique qui existe entre la vérité scientifique et la vérité théologique. Là, nous touchons à un élément central de notre problématique. C’est également notre défi que de faire ressortir les éléments traditionnels de cette pensée, qui ne sont pas nécessairement évidents à première vue, surtout lorsque nous constatons la bonne presse (tant dans le domaine médiatique qu’académique) associée à Jean-Paul II et sa vision de la science.

Nos références centrales se constitueront donc d’abord d’un ensemble de 53 discours de Jean-Paul II portant sur les sciences et s’étendant sur toute la durée de son pontificat, soit de 1979 à 2005. Ces textes serviront d’introduction au positionnement de l’enseignement du pape par rapport à la science et permettront de souligner l’importance qu’il accorde à la dimension anthropologique ; d’une science qui doit être au service de l’homme. Il sera également question d’analyser l’œuvre philosophique majeure de Karol Wojtyla, Personne

et Acte (1969), où il jette les bases de son anthropologie philosophique et théologique en

développant longuement les thèmes de la vérité et de la liberté. Dans la suite de Personne et

Acte, nous examinerons un autre texte important, soit l’encyclique Veritatis splendor,

publiée par Jean-Paul II en 1993, qui expose une anthropologie théologique au sujet de la vérité et la liberté et la morale de l’évangile.

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CHAPITRE 1 :

LA RELATION DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LA SCIENCE AU XXe SIÈCLE : UNE

LUTTE POUR LA VÉRITÉ

1. La période moderniste

Dans ce premier chapitre, nous examinerons la relation entre l’Église catholique et la science au XXe siècle en occident. Il ne s’agit pas d’un exposé exhaustif, mais plutôt d’un retour sur les principaux évènements et acteurs qui marquèrent cette période particulière de l’histoire de la relation entre l’Église et la science. Ainsi, en fin de parcours, nous serons en mesure de constater que, malgré une relation qui prenait parfois des allures de guerre, une réconciliation s’est graduellement opérée entre les deux parties au fil des décennies. Nous constaterons également l’importance du concept de vérité dans cette lutte qui opposa foi catholique et science.

Afin de mieux comprendre les racines de la relation entre l’Église et la science ainsi que les enjeux, trois phénomènes principaux seront étudiés : le modernisme, qui s’étend du début du XXe siècle jusqu’aux années 1930 ; le positivisme et l’avènement de la philosophie des sciences ; et l’ouverture croissante de l’Église envers la science, principalement de Pie XII à Jean-Paul II.

1.1. Modernisme : définition et contexte

Le début du XXe siècle catholique représente une période de conflits internes dans l’Église, surtout liés à la confrontation entre un magistère se voulant immuable et un monde en pleine transformation. Cette période « moderniste », telle que la caractérise l’histoire, se définit de manière générale comme « […] la rencontre et la confrontation entre un passé religieux depuis longtemps fixé, avec un présent qui a trouvé ailleurs qu’en lui les sources vives de son inspiration17 ».

Le dynamisme de ce mouvement de société qui balaya l’occident moderne transforma tout autour d’elle et entraîna le monde entier dans une sorte de révolution permanente. Mais à cette définition générale du modernisme s’ajoute celle du modernisme proprement catholique, c’est-à-dire l’ensemble des erreurs doctrinales commises par les modernistes et condamné par le magistère

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13

catholique. C’est une crise de transformation culturelle qui voit ses représentations religieuses traditionnelles remises en question par la science. Constituant un chapitre important de l’histoire de l’Église, l’époque moderniste représente un conflit d’interprétation à l’intérieur duquel s’affrontaient différentes visions du monde :

[le modernisme fut] un mélange de guerre sainte et de guerre civile dans la maison de Dieu, plus précisément dans l’Église catholique au début de ce siècle. Un combat pour la vérité, autour de la vérité religieuse : contestée, défendue tel qu’elle était traditionnellement enseignée et transmise.18

Face à la vague moderniste, l’Église se retrouva donc devant un dilemme majeur : elle ne pouvait ni abandonner sa position doctrinale ni entrer complètement dans le « cyclone » irrésistible et certain du dynamisme moderne. Mais chose certaine, elle risquait de perdre son identité.

La crise moderniste toucha l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie de manières très différentes19, mais c’est en France qu’elle atteint son paroxysme. C’est qu’en France l’Aufklärung

mena le pays à séparer Église et État dans les premières années du XXe siècle. La science fut alors une arme importante pour les forces laïcisantes et sécularisantes dans leur combat contre la religion. C’est pourquoi « […] la problématique française dépasse le cas particulier d’une nation : elle touche plus largement à la place de la philosophie et de la théologie dans une culture. Elle montre comment deux institutions sont en vis-à-vis20 ».

1.1.1. Les courants modernistes

La « menace » moderniste la plus virulente pour l’Église à l’époque fut sans doute la naissance de la science de l’exégèse, qui appliquait des méthodes positives aux textes bibliques. Ainsi, la première rencontre entre l’Église catholique et l’exégèse fut brutale. Elle présenta également un dilemme de taille au savant catholique :

18 Émile POULAT. Modernistica : horizons, physionomies, débats, Paris, NEL, 1982, p. 23.

19 En Grande-Bretagne, trois noms sont associés au modernisme : George Tyrell (1861-1909), exclu de la

Compagnie de Jésus; baron Friedrich von Hügel (1852-1925), homme de grande foi et de grande culture surtout un acte d’émancipation à l’égard d’une tutelle de l’Église et non un besoin de combler un écart scientifique, comme ce fut le cas en France. Les personnalités marquantes du modernisme en Italie furent Antonio Fogazzaro (1842-1911), romancier prestigieux et influant; Romolo Murri (1870-1944), fondateur de la démocratie chrétienne et député et Ernesto Buonaiuti (1881-1946), professeur d’histoire du christianisme à l’université de Rome. En Allemagne, le mouvement moderniste s’inscrit dans le libéralisme universitaire et le réformisme catholique du XIXe siècle.

Quoique le mouvement fut une réalité indéniable en ce pays, il se place en marge du développement moderniste des trois autres pays. Il n’y eut également que peu d’échanges entre savants catholiques allemands et français.

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[...] voir dans cette laïcisation scientifique de l’univers religieux une contradiction intrinsèque et une profanation coupable, c’était se refuser à tout travail réel et se placer en position d’infériorité ; en accepter les règles semblait introduire le libre examen dans une religion qui l’excluait et […] multiplier à l’infini des difficultés rebelles à tout traitement apologétique ou autoritaire21.

En 1893, Maurice d’Hulst parlait déjà de deux écoles de pensée en exégèse : une caractérisant de fait historique toute narration n’étant pas une parabole et l’autre utilisant la méthode historico-critique pour regrouper les textes selon une période et un auteur particuliers. L’histoire nous permet aujourd’hui d’identifier avec plus de clarté les trois courants principaux d’interprétation biblique qui régnaient en France lors de la crise moderniste : l’intégrisme, le progressisme et le modernisme22.

Selon le courant intégriste,23 l’inspiration divine serait garante de la vérité absolue des Écritures ; la présence d’une seule erreur dans la Bible provoquerait l’écroulement de tout l’édifice théologique. Conséquemment, l’Église s’éloignerait de son aspect d’infaillibilité pour ne devenir qu’un enseignant de morale24.

Bien entendu, les partisans de l’intégrisme se posaient en ennemi face à ceux qui tenaient compte des résultats de la science dans leur interprétation de la révélation divine. L’arme la plus puissante des intégristes25 était l’autorité et elle était exploitée de quatre manières.

21 Émile POULAT. Histoire, dogme et critique […], p. 8.

22 Résumé de Geneviève COMEAU, Catholicisme et Judaïsme dans la Modernité, Paris, Cerf, 1998, p. 48-73. 23 Le terme « intégriste », désignant à l’origine un parti politique espagnol de la fin du XIXe siècle, aurait été

emprunté à l’époque par la France et caractérisa éventuellement une attitude d’opposition envers l’ouverture et le progrès. Mais curieusement, les mots « intégriste » et « intégrisme » sont absents des documents officiels de l’Église. Par contre on en fit souvent référence à l’intérieur de documents non officiels. Le premier texte de l’Église catholique mentionnant explicitement l’intégrisme fut la lettre pastorale Essor ou Déclin de l’Église (1947) de l’archevêque de Paris, cardinal Suhard. La lettre souligne l’importance d’adopter une vision médiane qui articulerait la primauté du spirituel ainsi que l’urgence du temporel. Mais pour l’intégriste du début du XXe siècle, les données de la foi étaient

admises globalement et pleinement. L’homme ne devait pas laisser tomber certaines parties de la foi en les remplaçant par des notions scientifiques théoriques et incertaines.

24 Émile Poulat écrit de cette nouvelle exégèse : « On veut dépouiller [l’Église] de la parure surnaturelle de sa foi

révélée [...]. En considération de ses gloires passées, on lui conservera provisoirement sa fonction de maîtresse de morale, jusqu’à l’heure où elle sera priée de descendre un peu plus bas encore, de se retirer un peu plus loin, pour aller enfin prendre place au musée des antiquités philosophiques parmi ses sœurs défuntes les religions », Émile POULAT, Histoire, dogme et critique [...], p. 209-210.

25 Les papes le plus souvent associés au mouvement intégriste étaient Léon XIII et Pie X. L’encyclique

Providentissimus deus (1893) du premier et Pacsendi dominici gregis (1907) du second sont de bons exemples de la manière dont l’autorité papale était mise de l’avant pour museler l’opposition libérale.

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Premièrement, pour l’intégriste, les textes bibliques ne pouvaient pas être étudiés en utilisant les mêmes règles de procédure que celles utilisées pour l’étude de textes profanes. Il est question ici du caractère sacré et inspiré des textes et toute comparaison interne entre les écrits doit être évitée. Deuxièmement, il fallait rappeler à son ennemi l’histoire de la supériorité de la théologie sur l’ensemble des sciences profanes. Troisièmement, il fallait avoir recours au concordisme, c’est-à-dire faire coïncider les résultats de la science avec le contenu biblique. Finalement, les intégristes mettaient à profit l’argument de l’autorité en affirmant que la méthode historico-critique avait réduit la Bible à une série d’hypothèses. En raison de sa nature changeante, l’hypothèse avait donc peu ou pas de poids. Pour l’intégriste, la vérité était immuable et ne devait être interprétée que par l’Église.

Pour sa part, le courant moderniste26 fut la cible principale de l’encyclique de Pie X Pascendi

dominici gregis (1907). Les modernistes croyaient que la méthode historico-critique requérait une

« […] révision profonde des idées reçues et, corrélativement, du régime intellectuel dans l’Église27 ». L’utilisation de cette méthode par les modernistes réduisait donc l’écart entre les

textes sacrés et profanes et leur permettait de présenter à leurs contemporains une nouvelle vision du monde fondée sur l’évolution et le progrès.28

L’un des modernistes les plus connus fut Alfred Loisy. Le père Alfred Loisy est né en France en 1857. Élève de Louis Duchesne, il était convaincu que la critique biblique devait être renouvelée. Considéré comme étant celui qui fit de l’exégèse une science, il faisait la distinction entre l’exégèse théologico-pastorale et l’exégèse scientifico-historique. Soulignant l’indépendance de l’histoire et de la foi, il écrivait : « l’histoire ne saisit que des phénomènes, avec leur succession et leur enchaînement ; elle perçoit la manifestation des idées et leur évolution ; elle n’atteint pas le fond des choses29 ». Ce professeur destitué de l’Institut catholique de Paris et persécuté par

26 Parmi les modernistes les plus célèbres, soulignons Alfred Loisy (1857-1940) et Édouard LeRoy (1870-1954). 27 Émile POULAT, « Modernisme », dans Dictionnaire de l’Histoire du Christianisme, Paris, Albin Michel, 2000, p.

689.

28 Pour plus de détails sur la manière dont la méthode historico-critique allemande influença les modernistes, voir

Christophe THÉOBALD, ‘Sens de l’Écriture’, dans Supplément au Dictionnaire de la Bible, Paris, Letouzy et Ané, 1992, fasc.67, col. 490-496.

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l’Église30 légua à l’histoire une œuvre abondante dont le très controversé L’Évangile et l’Église

(1902).

Quant aux progressistes,31plus de droite, ils croyaient en la possibilité de concilier une science bien pratiquée et une foi bien comprise et ils acceptaient la méthode historico-critique à l’intérieur de certaines limites. Pour eux, il existait un lieu inaccessible à la raison et hors de portée de toute méthode scientifique. Donc, la conversion intellectuelle nécessaire à la pratique de la méthode historico-critique se limitait à la maîtrise d’une discipline, ce qui ne remettait pas en question l’édifice théologique et permettait une certaine réconciliation entre un travail scientifique rigoureux et un respect profond pour les dogmes. Toutefois, pour les progressistes, la notion de progrès ne s’appliquait pas aux dogmes immuables. Pour eux, la Bible contenait une sorte d’essence immuable ne pouvant être affectée par la méthode scientifique. Pour sa part, Joseph-Marie Lagrange était d’avis que les auteurs des textes sacrés, certes inspirés par l’Esprit Saint, étaient cependant pleinement humains. Pour lui, la Bible transmet donc une pensée humaine écrite dans un style humain32.

Cependant, contrairement à ce que ce classement des courants modernistes pourrait nous laisser croire, le modernisme n’a jamais constitué un mouvement homogène et systématisé. Si un « complot » des intellectuels contre le magistère de l’Église a existé, ce n’est que dans l’encyclique Pascendi qu’on le retrouve.33 Pour cette raison, il est tout aussi vain de tenter de

définir le moment initial du mouvement moderniste que d’essayer de circonscrire un groupe précis d’intellectuels travaillant en harmonie à sa cause. Le modernisme est ainsi « […] partie

30 Alfred LOISY, L’Évangile et l’Église, Paris, Nourry, 1930. Dans la préface de l’édition de 1930, Loisy écrit à

propos des réactions de la Congrégation du Saint-Office suscitées par l’édition originale de 1903 : « L’exposé critique [de L’Évangile et l’Église] ruinait incontestablement les doctrines absolues du catholicisme officiel; aussi les théologiens orthodoxes prirent-ils une peine assez superflue en essayant de prouver que le livre contredisait leurs idées [...] ». Loisy fut l’auteur principalement visé par le décret Lamentabili sane exitu, qui parut peu après l’encyclique Pascendi dominici gregis, condamnation globale du modernisme.

31 Parmi les progressistes les plus influents, on retrouve Mgr Pierre Batiffol (1861-1929) et Marie-Joseph Lagrange

(1855-1938).

32 « [...] d’après le seul concept de l’inspiration, rien n’empêcherait qu’un rédacteur anonyme, ou dont le nom a

disparu, ait compilé, avec la grâce de l’inspiration, un Pentateuque, dont toutes les parties étaient peut-être inspirées », Marie-Joseph LAGRANGE, La méthode historique : la critique biblique et l’Église, Paris, Cerf, 1966, p. 80.

33 Ce document de Pie X ramène le modernisme à un système bien organisé et représente la première condamnation

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17

intégrante d’un phénomène global dont on ne peut l’isoler statiquement, et non un simple système d’idées caractérisé par la hardiesse de ses vues et l’étroitesse de son domaine34 ».

1.1.2. Modernisme et statut du savoir

Afin de mieux comprendre le dynamisme qui animait les différentes parties à l’époque de la crise moderniste, il faut faire un saut dans le passé pour voir quels étaient les statuts respectifs de l’Église et de la science.

Il fut un temps où science et religion étaient inséparables et allaient de soi dans le monde intellectuel. Par exemple, au XIIIe siècle, les premières universités d’Europe étaient composées

surtout de clercs qui, avec l’Église, défendaient leurs droits face à la puissance de la royauté. Au XVIe siècle, la décentralisation du savoir opérée par l’essor des collèges marqua une certaine

indépendance de ces institutions vis-à-vis de l’Église et leur offrit une nouvelle liberté. Néanmoins, les relations entre science et foi demeurèrent bonnes en raison du grand nombre d’ecclésiastiques dans les collèges. C’est jusqu’au XIXe siècle que les clercs ont joué un rôle

important dans le milieu scientifique. La séparation définitive de l’Église et de la science s’amorça lorsque la communauté scientifique « […] a disposé d’institutions ouvertes aux ecclésiastiques au seul titre de leurs travaux scientifiques35 ».

Le progrès scientifique que nous connaissons depuis le siècle dernier, et son rôle dans la crise moderniste catholique, se préparait déjà à la fin du XVIIIe siècle. Alors commençaient à prendre racine les « nouvelles sciences » qui se développeraient au cours des deux siècles suivants : histoire comparée des religions, préhistoire, géologie, paléontologie, archéologie, etc. Les fossiles repoussent de plus en plus l’âge de la planète et de l’être humain. Des théories révolutionnaires comme l’évolutionnisme remettent également en question le moment même de la création. Pour l’Église, le choc initial fut substantiel, car ces sciences remettaient en question la valeur historique de l’Ancien Testament :

[…] les méthodes critiques de l’histoire sont appliquées au texte biblique, aux origines chrétiennes, aux formulations doctrinales […]. Révélation et inspiration divine

34 Émile POULAT. Histoire, dogme et critique […], p. 10. 35 Les grandes révolutions [...] p. 13-14.

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s’effacent : les Livres saints sont traités comme des documents humains, soumis aux règles communes d’authenticité et de véridicité.36

Cependant, au-delà du combat qui mettait en vis-à-vis la raison et la foi, à partir du XIXe siècle

nous retrouvons une réelle lutte de pouvoir chez les protagonistes. Alors que la connaissance scientifique donnait de plus en plus d’autorité pour enseigner, la théologie risquait de perdre son statut de reine de la philosophie et de toutes les sciences. Ce faisant, elle ne deviendrait que le discours de la foi, sa crédibilité ayant perdu son aspect universel. La science et ses méthodes nourrissaient alors les intentions des scientistes de l’époque, qui visaient à combattre l’Église.

Le fondement sur lequel reposait le combat entre les protagonistes de la crise moderniste était le statut même du savoir : comment réussir à articuler foi et raison ? Qu’en est-il de la vérité ? Qui peut prétendre y accéder ? De son côté, l’Église se présentait comme la légitime propriétaire de la source de la vérité. Sa réception du dépôt révélé lui assurait la supériorité en matière de quête de vérité.

Pour sa part, la science croyait pouvoir accéder à la vérité grâce à sa méthode. Par son bon usage de la raison, la méthode expérimentale prétendait dépasser la pensée surnaturelle de la foi. De plus, par ses critères d’objectivité et de validité interne, cette méthode accédait à une certaine universalité : les résultats de la science confirmés par l’ensemble de la communauté scientifique devenaient en quelque sorte la vérité sur le concret, sur le monde observable.

Il semblait donc inévitable que l’Église et la science se confrontent. Chaque partie prétendait à elle seule posséder la source de la vérité, ce qui rendait toute relation entre le couple très difficile, sinon impossible. Sur le terrain, les résultats de la science rendaient les formules du petit catéchisme de plus en plus obsolètes aux yeux des fidèles. Les prêtres, formés surtout en arts et lettres, ignoraient en grande partie le savoir scientifique. Devant les fidèles, qui réclamaient de plus en plus de « vraies » réponses à des questions d’ordre scientifique, les prêtres étaient désarmés. C’est pour cette raison que la méthode historique, tout comme la méthode expérimentale, répondait en tout point aux exigences de la raison en effrayant au passage l’autorité ecclésiastique. Dans de telles circonstances, comment l’Église pouvait-elle faire

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abstraction des résultats en paléontologie ou en géologie tout en admettant la logique interne et la rigueur de la méthode scientifique ?

1.2. Une vérité qui ne se divise pas : le tournant de Vatican I et la science catholique

Dans l’atmosphère instable du conflit entre foi et raison, certains ont cherché à apporter une solution au problème. Ainsi, le pape Léon XIII, poussé par les déclarations de Vatican I sur la foi et la raison, tenta de calmer le jeu en rétablissant le thomisme dans les milieux universitaires. Des groupes de chrétiens issus d’institutions scientifiques firent également la promotion d’une « science catholique ».

En 1864, Pie IX conféra avec quelques cardinaux au sujet de la convocation d’un nouveau concile qui permettrait à la doctrine catholique de confronter les « erreurs » de la modernité. Ainsi, avec l’accord de la majorité, Pie IX convoqua le concile Vatican I par la bulle Aeterni Patris. Les préparations tournaient autour de deux thèmes : la foi catholique devant les erreurs des temps modernes et la doctrine concernant l’Église du Christ. Deux constitutions furent votées, soit Dei

filius (24 avril 1870), sur la foi catholique et Pastor aeternus (18 juillet 1870), sur l’Église du

Christ.

Pastor aeternus définissait les conditions de l’infaillibilité pontificale : lorsqu’une doctrine

touchant à la foi ou aux mœurs sera déclarée ex cathedra, celle-ci devra être admise par l’ensemble de l’Église en vertu de l’autorité suprême du pape. En ce qui a trait particulièrement au débat science-foi, la clause de l’infaillibilité ne fut jamais appliquée.

Avec Dei filius, la relation entre la science et la foi demeurait ambigüe : l’Église reconnaissait à la science une certaine capacité à atteindre la vérité aussi longtemps que cette « vérité » ne se mêle pas des affaires du dogme. En dehors du cadre scientifique, cette vérité n’a donc aucune valeur. Au contraire, la vérité dogmatique a valeur universelle et a raison sur tout domaine profane. À la suite de la mort de Pie IX, en 1878, les cardinaux élisent pape l’archevêque de Pérouse, qui prit le nom de Léon XIII. Ce nouveau pontife semblait mieux accepter le monde moderne que son prédécesseur. Toutefois, il possédait une froideur « […] qui, malheureusement, est souvent

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nécessaire afin d’aller de l’avant sans se laisser trop affecter par les répercussions inévitables sur les individus qui suivent les décisions jugées nécessaires pour le bien de la masse37 ».

Comme son prédécesseur, Léon XIII était un partisan de la condamnation du rationalisme et du libéralisme laïque, ce qui semblait faire de son ouverture au monde moderne un faux libéralisme. Toutefois, il voyait d’un bon œil le progrès de la science et était conscient de l’écart qui existait entre l’Église et le monde intellectuel. C’est donc avec l’encyclique Aeterni Patris (1879) que Léon XIII tenta de réduire cet écart. L’encyclique, faisant l’éloge du thomisme, fut présentée aux catholiques comme étant la solution au problème ; une sorte d’autorité philosophique à partir de laquelle ils devraient personnellement s’inspirer et qui se présentait comme étant capable de contrer les doctrines subversives de valeurs traditionnelles touchant à la famille, à la société et à la politique.

L’efficacité de ce néothomisme pour l’avancement intellectuel de l’Église fut toutefois variable. À l’Université de Louvain, l’implantation du thomisme connut un certain succès grâce aux efforts du futur cardinal Mercier, qui désirait voir le thomisme adapté aux découvertes du monde moderne. En Allemagne, les travaux du professeur H. Schell, considéré trop sympathique envers la science moderne, furent mis à l’Index. En France, le néothomisme n’eut pas d’impact significatif, probablement en raison du fait que le succès du néothomisme dépendait de son contenu et de la manière dont il était appliqué. À ce sujet, R. Aubert écrit :

[…] la philosophie qu’ils présentaient dans leurs cours et dans leurs manuels était trop souvent élaborée selon la théologie, ce qui limitait fortement sa crédibilité aux yeux du public non clérical […]. Non seulement n’étaient-ils pas conscients de la philosophie moderne, mais pire, ils n’étaient pas conscients des méthodes scientifiques modernes ainsi que de l’esprit qui donnait vie à ces méthodes38.

Malgré les réserves de l’Église vis-à-vis de l’éducation scientifique du clergé et l’échec de l’implantation du thomisme, certains ont persévéré. Ce fut le cas pour Mgr d’Hulst, recteur de l’Institut Catholique de Paris. Il croyait pouvoir mettre fin aux malentendus entre les sciences naturelles et la foi : « Le temps est venu pour la chrétienté du XIXe siècle de posséder sa propre

37 Roger AUBERT, Nouvelle Histoire de l’Église, vol. 5, l’Église dans le Monde Moderne, Paris, Seuil, 1975, p. 15. 38 Roger AUBERT, Nouvelle Histoire de l’Église [...], p. 187.

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science, comme au XIIIe siècle39 ». Soulignant l’importance de la science en philosophie, il déclara à des étudiants : « Messieurs, je ne conçois plus aujourd’hui de philosophie digne de ce nom qui ne s’appuie sur un fondement scientifique solide. La vraie place d’une chaire de philosophie est dans le voisinage d’une faculté des sciences. La philosophie, telle que nous la comprenons, embrasse la synthèse des sciences40 ».

Maurice D’Hulst avait une conscience aigüe de la gravité du problème science-foi. Convaincu que la science menait à Dieu, il décida de mettre sur pied annuellement un congrès scientifique internationale qui aurait comme objectif de mieux informer le clergé en matière scientifique :

Les catholiques, disait-il [...], se regroupent en congrès sur le terrain des œuvres, de la charité, de l’enseignement, de l’apostolat, excepté sur le terrain scientifique où nous sommes les plus menacés. Il faut [...] mettre à l’ordre du jour la défense de l’Église sur le terrain scientifique41.

Mais après un an d’efforts, D’Hulst obtint le soutien de moins de 200 cardinaux, évêques, prêtres et laïques. Ces derniers craignaient que certains scientifiques déforment les doctrines théologiques. Le premier congrès fut donc ajourné en avril 1888 à la suite des objections faites par la presse anticléricale contre l’occasion du congrès. Conscient de leurs inquiétudes, D’Hulst tenta de les rassurer en affirmant que les affaires doctrinales ne seraient pas abordées. Le rôle des scientifiques se limiterait à informer le clergé en matière scientifique :

Le but de cette réunion est de mettre ces savants en rapport entre eux, et de les amener ainsi à s’aider les uns les autres, et à aider ultérieurement les théologiens qui ont besoin d’être renseignés sur le mouvement des sciences d’observation et sur celui de la critique historique42.

Néanmoins, il ne fallut rien de moins qu’une commission d’enquête, mise sur pied par Léon XIII lui-même, pour se charger d’examiner les agissements de la presse. La commission finit par réfuter les objections de la presse et Léon XIII, également sensible au problème de l’« ignorance » cléricale, approuva le projet de D’Hulst.

Le premier congrès eut lieu à Paris en avril 1888 et attira environ 1600 personnes. On y aborda des sujets aussi variés que les sciences religieuses, le droit, l’économique, l’anthropologie, les

39 Maurice d’HULST, « La science chrétienne et le devoir des croyants », in Bulletin de la Société d’Éducation, 15

octobre, 1884, p. 637.

40 Edouard LECANUET, La Vie de l’Église sous Léon XIII, Paris, Félix Alcan 1930, p. 15 41 La Vie de l’Église [...], p. 309.

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mathématiques et la physique. Le niveau du dialogue interdisciplinaire fut cependant médiocre. La conférence fut dominée par les thomistes et les aristotéliciens, qui rejetaient fermement toute idée d’atomisme, de dynamisme et de transformisme. Si cette première conférence ne fut donc pas un échec total (en raison du grand nombre de participants), elle ne fut pas non plus un lieu de dialogue productif entre la science et la foi.

La promesse de D’Hulst au pape de ne pas s’aventurer du côté de la théologie fut néanmoins respectée et science et foi défendirent leur propre point de vue. Mais pour D’Hulst, une conférence qui ne donnerait que des résultats stériles au fil des ans ne servirait qu’à renforcer l’idée qu’aucun dialogue n’est possible entre science et foi. Il fallait donc qu’un vrai débat s’installe dans le cadre de la conférence.

C’est au cinquième congrès que se concrétisa le débat espéré. Alors que l’on dépassait 3 000 adhésions, une nouvelle section d’exégèse et de sciences annexes fut ouverte. Toutefois, la mort de Léon XIII en juillet 1903 effaça toute possibilité d’une conciliation entre science et foi. Son successeur Pie X ne permit pas la tenue d’un sixième congrès, en grande partie à cause de la question biblique. S’ensuivit la mort de Maurice D’Hulst et plusieurs scientistes se réjouissaient de la nouvelle situation. Pour sa part, F. Brunetière, un scientiste converti au catholicisme, annonçait la fin du scientisme. Il fut le premier à admettre publiquement que les protestations contre les résultats de la science ne favorisaient en aucune manière la religion. Brunetière affirmait en 1895 que la religion ne serait jamais abolie par les sciences. Ces dernières seraient toujours en quête d’un mystère qu’elles ne réussiraient jamais à dévoiler complètement43. À la fin

du XIXe siècle, une minorité de catholiques étaient favorables à la science, dont peu de membres du clergé.

Donc, contrairement à ce que Pascendi dominici gregis (1907) condamnait comme étant une doctrine précise et organisée, le modernisme se présentait plutôt comme une série d’idées différentes nées de plusieurs individus souvent inconnus les uns des autres. Le mouvement moderniste est né de la montée des nouvelles sciences, caractérisées notamment par une manière de penser mettant l’accent sur la rationalité et l’observation directe de phénomènes.

43 Voir Ferdinand BRUNETIÈRE, « Après une Visite au Vatican », Revue des Deux Mondes, Janvier, 1895, p.

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