• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : LA RELATION DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LA SCIENCE AU XX e

4. L’ouverture : de Jean XXIII à Jean-Paul II

4.2. Paul VI : progrès à contrecœur

Giovanni Battista Montini, le futur Paul VI, est né en 1897. Docteur en droit et en théologie, il passe la majeure partie de sa carrière au Secrétariat d’État du Vatican. Élu pape, il démontre une ouverture à l’œcuménisme, au dialogue avec l’athéisme, à la diplomatie internationale et à la réforme liturgique. Quant à la science, la position de Paul VI est caractérisée par un retour à une attitude de méfiance. Il se montre surtout inébranlable vis-à-vis des formes artificielles de contraception. À ce sujet, il demeure fidèle à l’enseignement de Vatican II, qui déclare que l’intervention des sciences dans le domaine de la régulation des naissances peut seulement être tolérée si leur but est de trouver des manières plus efficaces de circonscrire les périodes de stérilité et de fécondité. Tel que l’affirme Gaudium et spes : « La vie doit donc être sauvegardée avec un soin extrême dès la conception : l’avortement et l’infanticide sont des crimes abominables120 ». La constitution affirme également que les scientifiques des domaines tels que la biologie, les sciences sociales et la psychologie, en joignant leurs efforts et en tentant de mieux expliquer les conditions qui favorisent un contrôle approprié des naissances, « […] peuvent beaucoup pour la cause du mariage et de la famille et la paix des consciences […]121 ». Une

phrase de Gaudium et spes résume bien la position de l’Église : « En ce qui concerne la régulation des naissances, il n’est pas permis aux enfants de l’Église […] d’emprunter des voies que le Magistère, dans l’explicitation de la loi divine, désapprouve122 ».

Paul VI développe de façon détaillée la position de l’Église vis-à-vis de la contraception dans l’encyclique Humanae vitae (1968). Il rappelle au peuple de Dieu la nature sacrée de la procréation en parlant d’abord de la procréation comme d’une finalité qui s’applique à l’ensemble

120 Gaudium et spes in Vatican II […], no. 51, par. 3, p. 245. 121 Gaudium et spes in Vatican II, no. 51, par. 3, p. 245.

53

de la vie des époux et non seulement comme un acte en soi. Faisant référence à la « nouvelle conscience » qu’ont les gens de leurs responsabilités, il déclare : « On demande encore si, étant donné le sens accru de responsabilités de l'homme moderne, le moment n'est pas venu pour lui de confier à sa raison et à sa volonté, plutôt qu'aux rythmes biologiques de son organisme, le soin de régler la natalité123 ».

Selon Humanae vitae, il est alors du devoir de l’Église de faire respecter la loi morale naturelle communiquée par Jésus aux apôtres en tant que volonté de Dieu : « […] la loi naturelle [est] expression elle aussi de la volonté de Dieu, et [son] observation fidèle est également nécessaire au salut124 ».

La seconde partie de Humanae vitae aborde les principes doctrinaux. Se référant à Gaudium et

spes, Paul VI s’attarde à définir les réalités de l’amour conjugal et la vie de parents responsables à

la lumière de l’obéissance à la loi naturelle. Il faut avant tout demeurer fidèle au dessein de Dieu : « User de ce don divin en détruisant, fût-ce partiellement, sa signification et sa finalité, c'est contredire à la nature de l'homme comme à celle de la femme et de leur rapport le plus intime, c'est donc contredire aussi au plan de Dieu et à sa volonté125 ».

Si des parents décident en toute légitimité de ne pas concevoir un enfant, la seule méthode licite permise est la continence périodique, qui respecte le cycle naturel. Parmi les méthodes illicites, Paul VI fait mention du coïtus interruptus ainsi que des méthodes chimiques et mécaniques. Selon le pape, bien que le résultat final de la contraception soit à la fin le même pour ceux qui la pratiquent de façon « licite » ou « illicite », seulement ceux utilisant une méthode licite respectent la nature de Dieu.

D’autres positions de Paul VI relativement à la science peuvent être considérées comme conservatrices. Ayant abordé le sujet de la science moins souvent que Pie XII dans ses discours, le ton qu’il emprunte pour s’adresser à la communauté scientifique est nettement moins chaleureux. Un élément récurrent dans ses discours est son inconsistance, parfois faisant l’éloge

123 Gaudium et spes in Vatican II, no. 52, par. 4, p. 247. 124 Humanae vitae in Ibid.

54

du travail des savants, parfois soulignant l’incompatibilité fondamentale entre l’Église et la science. Prenons comme exemple son discours devant l’Académie pontificale des sciences en 1963, dans lequel il insiste sur la nécessité de l’Église catholique d’entretenir la plus sincère des relations avec le monde scientifique contemporain126. Moins d’un an après, il déclare dans un discours que lorsqu’il est question de foi et de science, le conflit est inévitable puisque les deux domaines représentent « deux manières distinctes d’accéder à la connaissance qui sont inexorablement destinées à se confronter127 ».

Dans un discours en octobre 1964, Paul VI aborde encore une fois la relation entre l’Église et la science en des termes contradictoires, tout en démontrant une attitude de méfiance envers la science : « Nous voudrions profiter de l’occasion qui Nous est donnée pour réaffirmer devant vous l’attitude d’estime et de confiance de l’Église en présence de la pensée scientifique en général128 ». Toutefois, il se réjouit du fait que, depuis le XIXe siècle, la science ait perdu de son assurance. Il affirme que, dans le passé, le réflexe de défiance et de mépris de certains membres de la communauté scientifique vis-à-vis de la religion et des valeurs spirituelles est né d’une attitude d’autonomie et d’assurance. Au contraire, Paul VI remarque que la communauté scientifique contemporaine s’inquiète des problèmes qui guettent les hommes et les femmes du monde et, devant la force destructrice d’une science hors de contrôle, elle ressent « une certaine insécurité et un effroi ». C’est pour cette raison, dit-il, que cette assurance de la science a « cédé à une nervosité salutaire129 ».

Paul VI parle aussi de façon récurrente du statut inférieur de la science. Devant l’Académie pontificale des sciences en 1966, il évoque les attaques pointues de l’Église sur le mouvement moderniste : « La science pose des questions, mais ne fournit pas de réponses130 ». La même année, devant l’Académie, Paul VI affirme que la vraie vérité est communiquée aux gens du monde par un livre autre que celui de la nature. C’est donc la Bible qui « communique la pensée de Dieu sur le monde » et fourni des réponses que la science est incapable de donner. Paul VI

126 Allocution de Paul VI au Congrès de médecine aéronautique et spatiale, in La Documentation Catholique, 3

novembre, 1963, no. 1411, p. 1410.

127 Documents Pontificaux de Paul VI, vol. 2, Saint-Maurice, Éditions Saint Augustin, 1967, p. 302.

128 Allocution de Paul VI à l’Académie pontificale des sciences, in La Documentation Catholique, 18 octobre, 1964,

no. 1434, p. 1356.

129 Allocution de Paul VI à l’Académie pontificale des sciences, in Ibid.

55

affirme que, malgré ce que la science médicale peut nous apprendre à propos du fonctionnement du corps humain, aucune science n’est en mesure de répondre à la question du sens de la vie et du destin ultime de la race humaine, et il doit en demeurer ainsi131.

En juillet 1969, à la suite de l’alunissage d’Apollo 11, Paul VI minimise l’impact de l’évènement et du progrès de la technologie. Quoiqu’il fasse l’éloge de l’exploit, le qualifiant de « journée historique pour l’humanité », il ajoute cependant que cette réussite constitue un « accomplissement trompeur » qui fascine d’une manière exagérée. Le pape veut donc se défendre contre l’idolâtrie, contre une technologie qui, semble-t-il, ne connaît aucune limite. Il s’interroge à savoir si ces tentations sont réellement bénéfiques pour l’humanité, si une meilleure efficacité rend l’homme réellement meilleur, si l’homme ne risque pas de devenir prisonnier de sa propre technologie.132

Bien que Paul VI considère les valeurs religieuses comme étant supérieures à la sphère de la connaissance humaine, il nie qu’il puisse exister un « conflit » entre la science et l’Église et croit que la science doit se disposer à accueillir les enseignements de l’Église. Il est d’avis que l’Église ne représente pas un obstacle à la liberté de recherche de la science. En 1968, devant l’Académie pontificale des sciences, il semble se contredire en déclarant que l’Église catholique vénère la recherche scientifique et il fait l’éloge de la manière dont la communauté scientifique contemple ses conquêtes actuelles et futures. Il qualifie les disputes passées entre l’Église et la science d’« insignifiantes » et de « quasiment toujours stériles ». Il dénonce également ceux qui présentent l’Église et la science comme « deux adversaires en bataille133 ».

Quoique Paul VI tente souvent de minimiser l’importance des avancées scientifiques et technologiques, son impuissance devant ces dernières demeure. Le problème est qu’il s’oppose à l’évolution de l’Église si cette évolution concorde avec le progrès de la culture scientifique. En adoptant cette position, il s’oppose paradoxalement à l’esprit d’ouverture au monde moderne prôné par Gaudium et spes.

131Allocution de Paul VI à l’Académie pontificale des sciences, in Ibid., p. 280. 132 Allocution de Paul VI à l’Académie pontificale des sciences, in Ibid., p. 524. 133Allocution de Paul VI à l’Académie pontificale des sciences, in Ibid., p. 252-254.

56

Si Paul VI est quelque peu ouvert au progrès scientifique, il l’est moins pour ce qui est de la question du dogme de l’Eucharistie et des origines de l’homme. En ce qui a trait au dogme de l’Eucharistie, Paul VI s’en tient fermement aux dires du Concile de Trente, qui énonce que le Christ est réellement et substantiellement présent dans le pain et dans le vin de l’Eucharistie. Dans son encyclique Mysterium fidei (1965), il écrit qu’après la transsubstantiation, le pain et le vin sont vidés de leurs caractéristiques physiques d’origine. Dans ce qui demeure des espèces, Paul VI cite son prédécesseur Grégoire VII :

Je crois de cœur et je confesse de bouche que le pain et le vin qui sont sur l'autel sont, par le mystère de la prière sainte et par les paroles de notre Rédempteur, changés substantiellement en la chair véritable, propre et vivifiante, et au sang de notre Seigneur Jésus-Christ, et qu'après la consécration ils sont le vrai corps du Christ […]. Il n'y est pas seulement figurativement et par la vertu du sacrement, mais dans sa nature propre et dans sa véritable substance134.

Il poursuit en affirmant que la présence eucharistique n’a rien de symbolique : « Ce serait donc une mauvaise explication de cette sorte de présence que de prêter au Corps du Christ glorieux une nature spirituelle (‘pneumatique’) omniprésente ; ou de réduire la présence eucharistique aux limites d'un symbolisme »135.

Le langage utilisé dans Mysterium fidei démontre un conservatisme prononcé de la part de Paul VI, qui affirme que la règle du langage établie par l’Église depuis des siècles doit être religieusement préservée. Il déclare également qu’il est interdit, sous le prétexte de nouvelles connaissances, de modifier ce langage ou d’en ajouter des éléments. Les concepts utilisés pendant le Concile de Trente pour proposer le Mystère eucharistique sont considérés par Paul VI comme étant détachés de toute forme de culture humaine ou de progrès scientifique.

Cette ligne de pensée de Paul VI s’étend également à la question de l’origine de l’homme. En 1966, il prononce un discours à un symposium sur le péché originel, dont le but est de « moderniser » le domaine en suivant les progrès des sciences naturelles et des sciences humaines. Paul VI y déclare que le clergé, afin de défendre et d’illustrer les vérités de la foi, doit se maintenir au niveau des fidèles. Toutefois, il affirme qu’exégètes, théologiens et scientifiques sont tenus par certaines limites qu’ils ne doivent pas outrepasser s’ils désirent préserver leur foi et

134 Mysterium fidei in La Documentation Catholique, 3 octobre, 1965, no. 1456, p. 1646. 135 Mysterium fidei in Ibid., p. 1643.

57

celle des autres catholiques. Il est donc du devoir du magistère de déterminer ces limites, car, selon Paul VI, le magistère est « la norme immédiate de la vérité pour les croyants136 ». Avec ces mots, à la fois directs et nuancés, Paul VI fait écho à Pie XII et à Humani generis.

Le domaine de l’exégèse fut également un point sensible pour Paul VI. En septembre 1964, il rappelle à un groupe d’exégètes qu’ils doivent suivre l’enseignement de l’Église et qu’un niveau trop élevé de rationalité cause un préjudice à la nature sacrée de la Bible. Toutefois, croit-il, malgré les instructions de l’Église, l’étude rationnelle est encore alimentée par l’attrait de l’exégèse moderne137.

En mai 1970, lors d’un discours à l’Augustinianum Institute, Paul VI souligne le génie des exégètes modernes tout en soulignant que, grâce à l’aide divine, la pénétration spirituelle des textes par les Pères de l’Église est supérieure à celle des exégètes modernes, ces derniers devant choisir « l’ignorance fidèle » avant la « science téméraire138 ».

En septembre 1970, dans un discours devant la International Thomist Conference, Paul VI vise les théologiens qui s’inspirent des sciences sociales et les scientifiques philosophes, qui évoquent une sorte de néopositivisme. Par contre, il n’insiste pas pour que la science occupe une place plus importante dans la formation des séminaristes139. À ce sujet, dans son discours ratio

fundamentalis institutionis sacerdotalis (1970), sur la formation des futurs prêtres, la place

accordée aux scientifiques est limitée. Lorsqu’il est question de la science, cette dernière est toujours incorporée dans un bassin philosophique plus large. On peut ainsi lire à l’article 60 : « Les études sont distribuées par périodes distinctes et successives : études littéraires et scientifiques (où il en est nécessaire), études philosophiques, études théologiques140 ».

136Discours de Paul VI à un symposium sur le péché originel, in Documents Pontificaux de Paul VI, vol. 1968-1972,

no.1476, 1966, col. 1349.

137 Documents Pontificaux de Paul VI, vol. 1968-1972, no.1476, 1966, p. 313. 138 Discours de Paul VI à l’Augustinianum Institute, in Ibid.

139 Discours de Paul VI devant la International Thomist Conference, in Documents Pontificaux de Paul VI, p. 556-

560.

58

Par contre, le chapitre X du document, intitulé « Études littéraires et scientifiques », ne fait aucune mention des sciences. Les sciences ne sont abordées que dans le chapitre suivant, « Études philosophiques et sciences apparentées » :

On doit aussi enseigner […] les sciences apparentées à la philosophie : telles sont les sciences naturelles et mathématiques pour les questions annexes à la philosophie. Cependant, il faut garder aux choses leurs proportions, ces diverses sciences étant présentées comme l’utile complément des disciplines principales, en évitant une érudition encyclopédique et superficielle141.

Ce curriculum représente bien la position qu’occupe la science dans la hiérarchie intellectuelle de Paul VI. La science n’est qu’une branche de la philosophie et la servante des sciences supérieures, ce qui illustre la volonté hésitante de Paul VI d’intégrer pleinement les résultats de la science moderne à l’Église.

Avec la mort de Paul VI en 1978 et celle de Jean-Paul Ier peu après, la question de la relation entre l’Église et la science est loin d’être à l’ordre du jour de l’Église. Toutefois, peu soupçonnent l’importante place qu’occupera la science dans le pontificat de Jean-Paul II.