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CHAPITRE 2 : LA SCIENCE DANS L’ENSEIGNEMENT DE JEAN-PAUL II

3. Les grands thèmes de la pensée de Jean-Paul II sur la science

3.2. Personne/Anthropologie/Anthropologie philosophique

Jean-Paul II affirme que le développement sain de la science ne peut avoir lieu que si la personne humaine est considérée dans son intégralité matérielle et spirituelle. En politique comme dans la science, « […] les formes décadentes de la conception de la personne humaine et des valeurs de la vie humaine sont devenues plus subtiles et [...] plus dangereuses553 ». Les scientifiques, ajoute- t-il, doivent être particulièrement vigilants en ce domaine. Étant donné le vaste champ d’action de la science, une vision déformée ou incomplète de l’homme « peut facilement transformer la science d’un bienfait en une menace sérieuse pour l’humanité554 ». Le pape affirme que les

progrès scientifiques modernes viennent confirmer ces craintes, car pour les chercheurs, l’homme est souvent considéré comme un objet, « comme une sorte de ‘matière première’555 ».

Selon Jean-Paul II, les tendances culturelles actuelles font apparaître le besoin d’une anthropologie philosophique solide visant à « éclaircir le mystère de l’homme556 ». Sur le plan de la science, l’homme a tendance à se voir comme un résultat et comme dépossédé de sa propre subjectivité. En réalité, en tant qu’être créé à l’image de Dieu, il devrait jouir de la liberté « lui permettant de réaliser l’unité de son être, de promouvoir les valeurs humaines557 ». Des notes de la théologie du corps de Jean-Paul II sont également présentes lorsqu’il affirme que la science par elle-même ne développe pas la conscience du corps « comme signe de la personne, comme manifestation de l’esprit558 ». La vision qu’à la science du corps humain comme organisme

correspond plutôt à la connaissance biologique, car elle a tendance à séparer le corporel et le spirituel. Ainsi, le corps est sujet à être traité comme un objet à manipuler. Ici, puisque l’homme

552 JEAN-PAUL II, « Le rôle de l’université dans la société », (5 juillet 1986), DC, 10-24 août 1986, no. 1923, p.

748.

553 JEAN-PAUL II, « Au service de la vérité et de la liberté de l’homme », (8 juin 1997), DC, 20 juillet 1997, no.

2164, p. 677.

554 Ibid. 555 Ibid.

556 JEAN-PAUL II, « La mission des Jésuites dans l’enseignement supérieur », (9 novembre 1986), DC, 19 janvier

1986, no. 1910, p. 91.

557 JEAN-PAUL II, « La continence et l’éthos de la vie conjugale », (audience générale du 5 mai 1982), DC, 6 juin

1982, no. 1831, p. 564.

558 JEAN-PAUL II, « La pédagogie du corps » (audience générale du 8 avril 1981), DC, 3 mai 1981, no. 1807, p.

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est privé de la signification et de la dignité qui découlent du fait que son corps est également personne, il « cesse de s’identifier subjectivement à son corps559 ».

Pour Jean-Paul II, cette prise en compte partielle ou superficielle de l’homme par la culture en général et par la science en particulier trouve racine dans le concept de la dualité cartésienne. Car avant Descartes, les conceptions anthropologique et cosmologique de la réalité étaient corroborées à partir de connaissances théologiques et philosophiques avec comme centre de l’effort philosophique l’objectivité de l’« esse ». Par contre, depuis l’époque de Descartes, « […] s’est produit un déplacement de ce centre vers la conscience subjective [...]. La philosophie est devenue avant tout une théorie de la connaissance avec comme conséquence que l’homme s’est retrouvé au centre560 ».

La solution à ce problème, dit encore Jean-Paul II, réside dans une vision intégrale de l’homme. Il faut revenir à une anthropologie qui considère l’homme dans son ensemble, comme un sujet personnel qui transcende son existence et qui opère lui-même la synthèse de tous les différents éléments de son être sans toutefois isoler ces éléments les uns des autres. Car, affirme le pape,

l’homme est simultanément un être qui a besoin d’accroître ses connaissances scientifiques, de répondre à l’appel et aux exigences de l’absolu, de communiquer avec les autres dans un dialogue interpersonnel, de travailler et de transformer l’univers pour répondre à ses besoins et à ceux d’autrui.561

Pour Jean-Paul II, la seule anthropologie qui puisse donner une vision complète et réaliste de l’homme est une anthropologie chrétienne « enrichie de l’apport des données acquises avec certitude par la science [...] dans les domaines psychologique et psychiatrique562 ». C’est donc cette anthropologie chrétienne « que les scientifiques et les responsables de la société doivent pouvoir accueillir563 ».

559 Ibid.

560 JEAN-PAUL II, « Tirer les leçons du passé pour mieux envisager l’avenir », (5 juin 1990), DC, 15 juillet 1990,

no. 2010, p. 685.

561 JEAN-PAUL II, « La continence et l’éthos de la vie conjugale », (audience générale du 5 mai 1982), DC, 6 juin

1982, no. 1831, p. 564.

562 JEAN-PAUL II, « Que la dignité de la personne soit toujours au centre de votre fonction judiciaire », (10 février

1995), DC, 19 mars 1995, no. 2112, p. 253.

563 JEAN-PAUL II, « La croissance sociale ne peut se faire au détriment des personnes et des peuples », (22 mars

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Jean-Paul II précise davantage ses propos en affirmant que toute réflexion éthique dans les sciences doit non seulement se fonder et s’enraciner dans une véritable anthropologie, mais que cette dernière doit elle-même être fondée dans une métaphysique de la création « qui est au centre de toute pensée chrétienne564 ». Selon le pape, s’il existe également une « crise de l’éthique », cette dernière constitue le « test le plus évident » pour la crise anthropologique due à son tour au refus d’une pensée métaphysique.565 Ainsi, la séparation de l’éthique, de l’anthropologie et de la

métaphysique de la création représente, pour Jean-Paul II, « une erreur très grave » que l’histoire de la culture scientifique contemporaine a tristement démontrée.566