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CHAPITRE 2 : LA SCIENCE DANS L’ENSEIGNEMENT DE JEAN-PAUL II

2. Analyse des textes de Jean-Paul II sur la science

2.2. La Médecine

Le médecin au service de la vie457

Pour Jean-Paul II, la source de tous les droits est le droit à la vie. Il voit également la vie comme une des plus grandes valeurs puisqu’elle découle de Dieu, qui est à l’origine de toute vie. L’homme est ainsi immortel en raison de sa nature de créature de Dieu. La Bible elle-même nous fait l’éloge de la grandeur de la vie, qu’elle associe au bien : « La Bible souligne la grandeur sans mesure de la vie qu’elle identifie avec le bien, tandis qu’elle attribue au péché non seulement la tache de la faute, mais même les souffrances des maladies et de la mort physique458 ». C’est donc aux médecins qu’incombe la tâche de sauvegarder la vie dans le respect du dessein de Dieu.

Jean-Paul II souligne que l’Église a toujours perçu la médecine d’un bon œil : « Depuis l’origine, l’Église a toujours regardé la médecine comme un soutien important de sa propre mission rédemptrice à l’égard de l’homme459 ». C’est ce qui explique la présence de l’Église dans le

milieu hospitalier : nous ne pouvons être au service de l’âme humaine qu’en tenant compte de l’unité du corps et de l’esprit. Lorsque le corps souffre, l’âme se retrouve emprisonnée. De la

456 Ibid., p. 119.

457 JEAN-PAUL II, « Le médecin au service de la vie », (3 octobre 1982), DC, 21 novembre 1982, no. 1840, p. 1029-

1032. Discours au XVe Congrès international des médecins catholiques. 458 Ibid., p. 1030.

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même manière, un esprit malade asservit le corps. Le pape lance donc un mot d’encouragement aux médecins, tel qu’il le fut transmit aux hommes de science lors du Concile Vatican II : « Nous sommes les amis de votre vocation de chercheurs, les alliés de vos travaux, les animateurs de vos conquêtes et, s’il le faut, les consolateurs de vos découragements et de vos échecs460 ».

Jean-Paul II parle également de la relation que le médecin doit entretenir avec les malades. Puisque la personne humaine est un être fondamentalement responsable de ses actes et de son propre destin, elle « doit être mise dans la condition de pouvoir choisir personnellement et de ne pas avoir à subir les décisions et les choix des autres461 ». Elle doit donc pouvoir choisir librement

de collaborer à sa guérison et d’améliorer sa propre santé. Le pape parle ici d’« humaniser » le travail du médecin et de proclamer la dignité de la personne en considérant à la fois son corps, son esprit et sa culture. Le médecin doit toujours placer la personne humaine et les exigences découlant de sa dignité au centre de ses préoccupations. Il doit prendre en considération la personne humaine dans son ensemble et veiller à ce qu’une bonne relation interpersonnelle avec le patient contribue au bien-être de ce dernier.

Jean-Paul II appelle tous les scientifiques et les professionnels du monde de la médecine à veiller à la défense et à la promotion de la vie sous l’angle de la culture, car « […] comme image de Dieu, l’homme est le reflet des visages infinis que le Créateur prend dans ses créatures : visages tracés par le milieu, par les conditions sociales, par la tradition, en un mot, par la culture462 ». Le pape affirme également qu’un travail d’ensemble, une « coordination au niveau mondial » de tous les médecins catholiques à l’échelle internationale est nécessaire afin de rendre plus efficace leur engagement chrétien tant dans la recherche médicale que dans la pratique médicale quotidienne. En somme, Jean-Paul II ne demande rien d’autre qu’une pastorale de la santé, puisque le malade attend du médecin un soutien humain pour partager une vision de la vie avec lui, dans lequel « le mystère de la souffrance et de la mort trouve un sens463 ».

460 JEAN-PAUL II, « Message aux hommes de la pensée et de la science » DC, 21 novembre 1982, no. 1840, p.

1031; Concile Vatican II, Message aux hommes de la pensée et de la science, 7 décembre 1965.

461 JEAN-PAUL II, « Message aux hommes de la pensée et de la science » DC, 21 novembre 1982, no. 1840, p.

1031.

462 Ibid.

463 JEAN-PAUL II, « Message aux hommes de la pensée et de la science » DC, 21 novembre 1982, no. 1840, p.

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Le médecin et les droits de l’homme464

Jean-Paul II commence son discours en soulignant l’importance du droit à la vie, qu’il qualifie de racine et de source de tous les autres droits ; non ceux reconnus par la législation de la société civile, mais ceux qui se « rattachent aux principes fondamentaux, à la loi morale qui se fonde sur l’être même et qui est immuable465 ». Pour les praticiens de la médecine, c’est donc la morale

médicale qui doit primer. Car la médecine doit être au service de la personne humaine et de sa dignité dans ce qu’elle a de transcendant. Jean-Paul II souligne que c’est bien plus que la déontologie traditionnelle d’Hippocrate qui est en jeu ; c’est le respect même « […] d’une conception de la médecine qui vaut pour l’homme de tous les temps, qui sauvegarde l’homme de demain, grâce au prix reconnu à la personne humaine466 », qui doit être un sujet et non un objet

utilisé pour quelque fin que ce soit.

Pour l’Église catholique, l’homme fut créé à l’image de Dieu, croyance qui, selon Jean-Paul II, devrait rejoindre tous les hommes de bonne volonté. Cela emmène le pape à partager trois de ses convictions relativement à la vie humaine. D’abord, concernant le respect de la vie humaine, Jean-Paul II implore tous les médecins à demeurer fidèles au serment d’Hippocrate en s’attaquant au mal et à ce qui est contraire à la vie, « mais sans sacrifier la vie elle-même qui est le plus grand bien et qui ne nous appartient pas467 ».

Un deuxième point touchant à la vie humaine est l’unité de l’être humain. Malgré la spécialisation et le rétrécissement constant des disciplines, Jean-Paul II soutient que le médecin ne doit pas perdre de vue la personne humaine dans son ensemble, dans l’unité de ses dimensions corporelle, affective, intellectuelle et spirituelle.

Le troisième point dont soulève le pape relativement à la vie humaine est la manipulation génétique, « […] qui pose à la conscience morale de chaque homme une sérieuse

464 JEAN-PAUL II, « Le médecin et les droits de l’homme », (29 octobre 1983), DC, 4 décembre 1983, no. 1863, p.

1067-1069. Discours aux délégués de l’Association médicale mondiale.

465 Ibid., p. 1067. 466 Ibid.

467 JEAN-PAUL II, « Le médecin et les droits de l’homme », (29 octobre 1983), DC, 4 décembre 1983, no. 1863, p.

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interrogation468 ». Selon Jean-Paul II, la question qui se pose est comment concilier la manipulation génétique avec la dignité de la personne : dans quel cas une intervention sur le patrimoine génétique d’une personne est-elle moralement acceptable ? Puisque la nature biologique de l’homme est constitutive de son identité personnelle, afin de respecter la dignité de cette personne, il faut respecter son identité469. Jean-Paul II ajoute que « […] c’est sur la base de cette vision anthropologique que l’on doit trouver des critères fondamentaux pour les décisions à prendre s’il s’agit d’interventions non strictement thérapeutiques470 ». En particulier, ces

interventions ne doivent pas porter atteinte à l’origine de la vie humaine, soit la procréation, et doivent respecter la dignité fondamentale de l’être humain. Également, les attitudes qui inspirent la manipulation génétique « ne doivent pas découler d’une mentalité raciale ou matérialiste, [car] la dignité de l’homme transcende sa condition biologique471 ». Pour Jean-Paul II il faut donc

d’abord empêcher d’endommager la constitution humaine et ensuite rechercher et poursuivre le bien pour la personne humaine.

En concluant son allocution, le pape affirme que travailler en médecine revient à adhérer au dessein de Dieu, puisque « Dieu a voulu que l’homme soit roi de la création472 ». Jean-Paul II rend hommage aux progrès accomplis tout en avertissant son auditoire qu’il faut surmonter la séparation entre la science et l’éthique.

Calmez la douleur des malades dans le respect de leur dignité473

En raison du péché, affirme Jean-Paul II, la douleur est apparue dans le monde et depuis, l’homme n’a jamais cessé de vouloir l’éliminer. Le progrès de la médecine moderne a permis la création d’une branche nouvelle de la médecine appliquée, l’anesthésiologie, qui a apporté plusieurs bienfaits extraordinaires à l’homme. Cette science a « […] largement contribué à rendre

468 Ibid.

469 corpore et anima unus, comme dit le Concile Vatican II (const. Gaudium et spes, n. 14, 1).

470 JEAN-PAUL II, « Le médecin et les droits de l’homme », (29 octobre 1983), DC, 4 décembre 1983, no. 1863, p.

1068. Discours aux délégués de l’Association médicale mondiale.

471 Ibid.

472 JEAN-PAUL II, « Le médecin et les droits de l’homme », (29 octobre 1983), DC, 4 décembre 1983, no. 1863, p.

1069. Discours aux délégués de l’Association médicale mondiale.

473 JEAN-PAUL II, « Calmez la douleur des malades dans le respect de leur dignité », (4 octobre 1984), DC, 18

novembre 1984, no. 1884, p. 1060-1061. Discours aux membres du Congrès de l’association d’anesthésiologie d’Italie.

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la médecine mûre dans ses applications [en restituant] l’homme a lui-même, en lui rendant plus humaine l’expérience de la souffrance474 ».

Le pape parle ensuite de cas où l’expertise de l’anesthésiologiste pourrait aller contre les exigences de l’ordre moral, comme dans le cas de l’avortement ou de l’euthanasie. Il affirme que ses pratiques vont contre la loi naturelle et font abstraction de la dignité de la personne et du fait que la vie est sacrée : « Que ce ne soit pas votre profession [...] qui se rende complice de telles aberrations [...]475 », dit-il. L’Église n’est pas contre la réduction de la douleur pourvu que le procédé se fasse dans le respect fondamental de l’ordre moral et de la dignité humaine.

Jean-Paul II souligne tout de même que l’Église encourage les chrétiens à supporter une certaine souffrance « en union avec le Christ » puisque dans la souffrance, le croyant « trouve la force de se purifier et de coopérer au salut de ses frères476 ».

En certains cas, le médecin catholique doit recourir à l’objection de conscience477

Pour Jean-Paul II, le thème de la médecine relativement aux droits de la personne manifeste un effort culturel considérable : conjuguer le progrès de la médecine avec les exigences éthiques de la personne humaine. Pour Jean-Paul II, le médecin est vu comme un serviteur de la vie qui doit veiller à protéger cette vie du moment de la conception jusqu’à la mort naturelle. En plus d’offrir au malade l’expertise technique nécessaire au maintien de sa vie, il doit offrir une bonne dose de « médecine spirituelle », qui correspond à un contact humain chaleureux et authentique. Donc, en plus de sa compétence professionnelle, le médecin doit avoir une « attitude de sollicitude aimante478 » qui s’inspire de l’image du bon Samaritain.

474 Ibid., p. 1061. 475 Ibid.

476 JEAN-PAUL II, « Calmez la douleur des malades dans le respect de leur dignité », (4 octobre 1984), DC, 18

novembre 1984, no. 1884, p. 1060-1061. Discours aux membres du Congrès de l’association d’anesthésiologie d’Italie.

477 JEAN-PAUL II, « En certains cas, le médecin catholique doit recourir à l’objection de conscience », (7 juillet

2000), DC, 6 et 20 aôut 2000, no. 2231, p. 708-710. Allocution à un Congrès international de médecins catholiques.

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Toutefois, la triste réalité est autre, affirme le pape, car nous vivons aujourd’hui dans une culture de la mort où l’avortement et l’euthanasie sont trop répandus. Selon lui, la légalisation de ces « crimes » exige du médecin qu’il ait recours à l’objection de conscience.

Jean-Paul II souligne que le médecin doit également réagir devant la mort et la souffrance engendrées par la guerre, la famine ou l’épidémie. Le médecin catholique doit donc également réagir à ces fléaux en tant que missionnaire dans le domaine de la santé en s’assurant que « le droit primaire de bénéficier de ce qui est nécessaire à la santé [...] devienne effectif pour tout homme, quelle que soit sa position sociale et économique479 ».

Transplantation d’organe : les limites à ne pas dépasser480

Bien que les transplantations représentent pour l’Église un immense pas en avant de la science au service de l’homme, Jean-Paul II admet que cette branche de la science médicale « […] induit certaines questions graves qu’il est nécessaire d’examiner à la lumière d’une réflexion anthropologique et éthique attentive481 ». Dans ce domaine, le critère fondamental doit être la défense de la promotion du bien de la personne et de sa dignité.

Le corps humain est considéré comme étant plus que la somme de ses parties, plus qu’un ensemble de tissus et d’organes fonctionnant ensemble. Puisque le corps est substantiellement uni avec l’âme spirituelle et consiste en une partie constitutive de la personne, toute procédure qui objectivise les organes humains, notamment la commercialisation, est vue comme moralement inacceptable et comme une violation de la dignité de la personne. Ainsi, affirme Jean-Paul II, les organes ne peuvent être prélevés du corps humain qu’après la mort. Bien que le pape définisse la mort essentiellement comme la séparation de l’âme du corps, il souligne que le moment exact de la mort ne peut être déterminé avec précision par la science : « Les ‘critères’ permettant de constater la mort [clinique] ne devraient pas être compris comme la détermination technique et scientifique du moment exact de la mort482 », mais seulement pour identifier plus clairement les signes biologiques qui indiquent effectivement que la mort est survenue.

479 JEAN-PAUL II, « En certains cas, le médecin catholique doit recourir à l’objection de conscience », (7 juillet

2000), DC, 6 et 20 aôut 2000, no. 2231, p. 710. Allocution à un Congrès international de médecins catholiques.

480 JEAN-PAUL II, « Transplantation d’organe : les limites à ne pas dépasser », (29 août 2000), DC, 15 octobre

2000, no. 2234, p. 852-854. Discours au XVIIIe Congrès médical international sur les transplantations. 481 Ibid., p. 852.

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En ce qui a trait aux paramètres actuels utilisés pour déterminer le moment de la mort clinique, Jean-Paul II affirme que l’Église ne s’aventure pas dans le domaine technique, mais s’en tient plutôt à comparer les données de la science avec la conception chrétienne de l’unité de la personne. Ainsi, le critère actuel de la détermination du moment de la mort, soit la cessation de toute activité cérébrale, « ne semble pas être en conflit avec les éléments essentiels d’une anthropologie sérieuse483 ». Cependant, du cas par cas est nécessaire de la part des responsables médicaux afin d’obtenir la certitude morale dans le diagnostique de la mort. Pour Jean-Paul II, cette certitude morale est vue comme « la base nécessaire et suffisante pour agir de façon extrêmement correcte484 ». Ce n’est qu’une fois la certitude morale atteinte que le responsable

médical peut entreprendre les procédures nécessaires au prélèvement d’organes. Mais il est clair pour Jean-Paul II que toute intervention qui ne respecte pas la valeur et la dignité de la personne doit être proscrite, particulièrement en ce qui a trait au clonage dans le but d’obtenir des organes qui seront destinés à la transplantation.

Sur une note finale, Jean-Paul II encourage la contribution des philosophes et des théologiens à la réflexion sur les problèmes éthiques liés à la thérapie des transplantations. Leur apport peut aider à mieux définir quels types de transplantations sont moralement acceptables et sous quelles conditions.

Un homme ne deviendra jamais un végétal485

Jean-Paul II affirme que l’Église estime profondément et encourage les efforts des chercheurs qui tentent d’améliorer les possibilités de diagnostic, de thérapie et de réadaptation des patients. En particulier, dit le pape, il est important pour les chercheurs de parvenir à un diagnostic correct lorsqu’il s’agit de personnes dans un état végétatif. Face aux individus dans un tel état, il arrive parfois que certains professionnels de la santé doutent de la subsistance de la qualité humaine. Au contraire, ajoute Jean-Paul II, malgré l’état végétatif, la valeur intrinsèque et la dignité de la personne ne changent aucunement : « Même s’il est gravement malade, ou empêché dans

483 JEAN-PAUL II, « Transplantation d’organe : les limites à ne pas dépasser », (29 août 2000), DC, 15 octobre

2000, no. 2234, p. 853. Discours au XVIIIe Congrès médical international sur les transplantations. 484 Ibid.

485 JEAN-PAUL II, « Un homme ne deviendra jamais un végétal », (20 mars 2004), DC, 2 mai 2004, no. 2313, p.

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l’exercice de ses fonctions les plus hautes, [l’homme] est et sera toujours un homme, et ne deviendra jamais un ‘végétal’ ou un ‘animal’486 ».

La personne dans un état végétatif a droit à une assistance médicale de base (eau nourriture, hygiène) au même titre que tous les autres malades pour le maintien de la vie. Privé consciemment l’individu d’une alimentation et d’une hydratation de subsistance équivaut à une « […] véritable euthanasie par omission, [...] une violation de la Loi de Dieu, en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d’une personne487 ». D’ailleurs, dit Jean-Paul II, nous ne

pouvons exclure que la privation d’eau et d’aliments soit cause de souffrances pour le malade. C’est pour cette raison que le pape nous encourage à combattre les pressions en vue de la suppression de l’alimentation du patient.