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Chapitre 5 : L’émergence et l’action d’un public politique au prisme de la sémiotique

II. Une philosophie générale

Cette relation trichotomique du signe, relié à son objet grâce à l’entremise d’une chaîne d’interprétants, s’insère dans une philosophie générale englobant la pensée-signe. Ce que Peirce définit comme une phanéroscopie nous aidera à accéder à la conception triadique du signe. La science des phanérons, ou des phénomènes, repose sur trois catégories philosophiques : la priméité (Firstness), la secondéité (Secondness) et la tiercéité (Thirdness). Ainsi nous constatons que la pensée peircienne sera constamment fondée sur des triades, tout est question de médiation ou de mise en relation du point de vue de la logique établie par C. S. Peirce.

L’auteur pragmatiste explique très clairement les trois catégories dans le cadre d’un article intitulé « What is a sign? »10 paru en 1894. Jocelyne Arquembourg en fait un éloquent exposé et une brillante traduction dans son ouvrage L’événement et les médias, Les récits

médiatiques des tsunamis et les débats publics (1755-2004) ou plus en amont dans son

article « Des images en action. Performativité et espace public ». Nous reprendrons néanmoins de manière abrégée l’anecdote du dormeur, en extrayant certains passages chez Jocelyne Arquembourg, ce qui permet une compréhension plus aisée de la priméité, de la secondéité et de la tierceité.

Un dormeur semi-éveillé, toujours dans son lit, « contemple mentalement quelque chose, par exemple, une couleur »11, ainsi il éprouve une sensation due à cette couleur qu’il ne fait qu’imaginer. Il n’y a aucun objet extérieur qui entre en ligne de compte, seule la qualité même d’une couleur et les sensations que celle-ci peut provoquer induisent un « être-là des choses ». Aucun renvoi à une quelconque extériorité n’est admis dans la priméité, catégorie donc du Feeling, qui ne prend en considération qu’une « pure présence » sans lien avec un second. « La priméité est la catégorie du sentiment et de la qualité. »12

10 PEIRCE Charles Sanders « What is a sign? », in The Peirce edition project, The essential Peirce, volume 2

(1893-1913), Indiana Press, 1998.

11 ARQUEMBOURG Jocelyne, L’événement et les médias, Les récits médiatiques des tsunamis et les débats

publics (1755-2004), Editions des archives contemporaines, Paris, 2011, p. 65.

12

DELEDALLE Gérard, Charles S. Peirce, Ecrits sur le signe, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », Paris, 1978, p. 83.

101 « Soudain, un sifflement retentit. La perception de ce bruit met

le sujet en relation avec un objet extérieur. Un événement est survenu qui a changé l’état du dormeur. Deux entités sont donc désormais en présence l’une de l’autre. Le surgissement de l’événement dans la conscience du dormeur comme les réactions qui s’ensuivent, se boucher les oreilles ou chercher à s’enfuir, relèvent, selon Peirce, de la secondéité où un sujet et un objet se trouvent mis en relation de façon directe. Tout ce qui relève de l’effort et de la résistance, de la lutte, de l’action et de la réaction, renvoie à la secondéité. »13

La secondéité est donc la catégorie de la Reaction selon C. S. Peirce, car elle met un sujet et un objet en relation : « La Secondéité est la catégorie de l’expérience, de la lutte et du fait. »14 Deux entités sont confrontées dans un rapport de résistance qui se conclut par une

réaction.

« La troisième catégorie est évoquée au travers d’un petit scénario. Agacé par le sifflement qu’il juge insupportable, le sujet décide de quitter la pièce. Au moment où il ouvre la porte, le sifflement cesse. Il la referme alors pour revenir dans la pièce, mais le sifflement retentit à nouveau. Un deuxième essai produisant le même résultat, le sujet va établir un lien de cause à effet entre le fait d’ouvrir ou fermer la porte, et la présence ou l’absence du sifflement. Cette mise en relation d’éléments hétérogènes destinés à dégager des règles ou des lois, est le propre du raisonnement expérimental, et plus généralement de la pensée selon Peirce. Il définit la pensée comme un intermédiaire (mean), une relation, qui repose sur l’interprétation des signes et ne peut se faire qu’au moyen des signes. Le signe est donc une médiation entre deux phénomènes et relève de la tiercéité. Ce schéma fondamental organise l’œuvre de Peirce de bout en bout, à tous les niveaux, tous les étages d’une architecture théorique savante. »15

Nous en concluons que la tiercéité est une catégorie où un premier est mis en relation avec un second au moyen d’un tiers. Un sujet construit un raisonnement à partir d’expériences successives engendrant une règle ou une loi découlant d’une logique expérimentale. « La

13 ARQUEMBOURG Jocelyne, L’événement et les médias, Les récits médiatiques des tsunamis et les débats

publics (1755-2004), Editions des archives contemporaines, Paris, 2011, p. 65.

14 DELEDALLE Gérard, Charles S. Peirce, Ecrits sur le signe, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », Paris,

1978, p. 92.

15

ARQUEMBOURG Jocelyne, L’événement et les médias, Les récits médiatiques des tsunamis et les débats publics (1755-2004), Editions des archives contemporaines, Paris, 2011, p. 65. C’est nous qui soulignons souhaitant insister sur ces deux points.

102 Tiercéité est la catégorie de la pensée et de la loi. »16 Il s’agit donc bien de la catégorie du

Thinking, comme le proclame Peirce. Les relations entre des existants à travers des

processus de médiations deviennent bien plus claires à l’aune de ces catégories philosophiques générales dans lesquelles s’insère notamment la trichotomie du signe.

En résumé, ces trois catégories renvoient à la vie émotionnelle, dans le cadre de la priméité ; à la vie pratique, pour ce qui est de la secondéité ; et à la vie intellectuelle en ce qui concerne la tiercéité17. La répartition pourrait être subsumée par l’enchaînement suivant : sensation, perception, réflexion.