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Chapitre 5 : L’émergence et l’action d’un public politique au prisme de la sémiotique

I. Définitions

Afin de clarifier notre propos, commencer par fixer la terminologie et le cadre conceptuel que nous emploierons pour le restant de notre travail paraît indispensable.

Par sémiotique, il faut entendre la « science des signes » voire la science des signes au sein de la vie sociale, c’est-à-dire que le signe ne peut signifier a priori ou par nature, il n’a d’existence signifiante qu’au sein d’un environnement donné à un moment donné. La sémiotique n’est pas seulement une science de la signification mais une science de l’agir.

« Pour connaître la signification d’une idée, il faut « considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l’objet de notre conception ». Une idée se distingue d’une autre « par les divers modes d’action

qu’elles produisent » »3 .

En effet, la signification est corrélée aux conséquences pratiques du signe sur des entités plurielles déterminées par leur appartenance à une même communauté d’action. De ce fait,

« la pensée de Peirce s’applique aux relations plus qu’aux entités. Par « mode d’être », il indique en fait, qu’il ne s’occupe pas des existants en tant que tels, encore moins de leur essence, mais de ce qu’ils sont en fonction des relations qu’ils entretiennent avec d’autres existants. »4

Effectivement, il n’est aucunement question d’établir une classification de significations ou de répertorier des catégories de signes qui resteront figées ad vitam aeternam. Non-fixiste, la sémiotique peircienne est à l’opposé de l’essentialisme et ou encore de l’immanentisme. Le signe ne prime pas par son existence mais par sa dynamique existentielle dans une expérience vécue par des êtres. Cette dynamique erratique des effets de sens caractérise donc la sémiotique.

Pour mieux appréhender le signe selon Peirce, il nous faudra distinguer la sémiologie de la sémiotique. Au sein d’une sémiologie, de tradition européenne initiée par Ferdinand de Saussure, le signe constitue la plus petite unité de signification ; or, dans la sémiotique, d’origine états-unienne et dont le projet a été lancé par C. S. Peirce, tout est signe.

3 DELEDALLE Gérard, Charles S. Peirce, Ecrits sur le signe, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », Paris,

1978, p. 11.

4

ARQUEMBOURG Jocelyne, L’événement et les médias, Les récits médiatiques des tsunamis et les débats publics (1755-2004), Editions des archives contemporaines, Paris, 2011, p. 65. C’est nous qui soulignons.

98 « Un signe est quelque chose par la connaissance duquel nous

connaissons quelque chose de plus. […]

Toute notre connaissance et notre pensée se font par signes. Un signe est donc un objet qui est en relation avec son objet d’une part et avec un interprétant d’autre part, de façon à mettre l’interprétant en relation avec cet objet, correspondant à sa propre relation avec cet objet. »5

Nous nous retrouvons face à une conception trichotomique du signe, à l’inverse de la dualité du signe saussurien composé d’un signifiant et d’un signifié, qui renvoie à une relation de médiation entre un objet qui réfère à un representamen par l’intermédiaire d’un interprétant, qui est lui-même un signe. Cette relation de médiation se développe donc à l’infini compte- tenu du renvoi permanent de l’interprétant (objet, representamen, interprétant > [objet,

representamen, interprétant], et ainsi de suite) à une série d’autres interprétants. La chaîne se

déploie indéfiniment.

L’interprétant est central dans la pensée peircienne, il exprime toute la valeur ajoutée d’une trichotomie imposant une relation établie entre un signe et son objet.

« Pour Charles Sanders Peirce, l’interprétant n’est pas le récepteur. « Il est tout ce qui est explicite dans le signe lui- même, indépendamment de son contexte et des circonstances de son expression ». »6

Une précaution capitale est à prendre concernant l’appréhension de l’interprétant : celle de ne pas le confondre avec le récepteur. L’interprétant est un signe second qui permet à un premier signe de se relier à son objet dans l’esprit d’un récepteur.

5 DELEDALLE Gérard, Charles S. Peirce, Ecrits sur le signe, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », Paris,

1978, p. 30. Le signe faisant office, dans cette citation de Gérard Deledalle, de representamen.

6

ARQUEMBOURG Jocelyne, L’événement et les médias, Les récits médiatiques des tsunamis et les débats publics (1755-2004), Editions des archives contemporaines, Paris, 2011, p. 69.

99

Interprétant…

Interprétant > Representamen Objet

Representamen Objet

Cette relation triadique – qui génère une seconde relation triadique puis une troisième ad

infinitum – est souvent représentée sous forme triangulaire afin de modéliser la médiation

permise par l’interprétant qui a pour fonction de relier le signe/representamen7

à son objet. Si nous reprenons un exemple parfaitement opérationnel8 chez Gérard Deledalle afin d’expliciter l’importance de l’interprétant, nous poserions le mot « grenade » comme indéfini a priori et postulerions que celui-ci aura un interprétant variable selon le récepteur. Une communauté d’action de type militaire entendra une « arme », la ménagère pensera probablement qu’il s’agit du fruit alors qu'un touriste français visitant l’Espagne songera certainement à la ville. Gérard Deledalle certifie que « l’expérience individuelle jouera son rôle »9 ; nous dirons d’autant plus qu'une expérience collective d’une communauté d’action, dans l’acception deweyienne, régira également la chaîne des interprétants provoquant une signification particulière ainsi qu’une ou des actions au détriment d’autres conséquences. Le signe n’est donc jamais figé. Ses conséquences dépendent entièrement des contextes de production et de réception qui vont ainsi générer des interprétants variables selon la prise en charge du signe par un émetteur ainsi que la réception de celui-ci par une communauté d’action ciblée.

7 Signe et representamen sont des synonymes dans les écrits de Peirce, nous privilégierons l’emploi du second

terme pour sa valeur relationnelle plus prégnante et son renvoi à une représentativité de l’objet plus évidente.

8

DELEDALLE Gérard, Charles S. Peirce, Ecrits sur le signe, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », Paris, 1978, p. 228.

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