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Chapitre 5 : L’émergence et l’action d’un public politique au prisme de la sémiotique

V. De le performativité à l’action

« Les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action. » Hannah Arendt, Condition de l’Homme moderne, p. 63.

Dans un article fondateur de notre pensée, de notre conception du signe ainsi que de notre méthodologie, Jocelyne Arquembourg a transformé les termes de la réflexion sur le signe en l’espace de quelques pages particulièrement probantes. En 2010, dans le cadre de la parution d’un numéro de Réseaux consacré à : « Un tournant performatif ? Retour sur ce que « font » les mots et les choses », l’auteure, adoptant une posture pragmatiste, publie un article intitulé « Des images en action. Performativité et espace public »27. Cet article s’avère être une démonstration particulièrement convaincante d’un point de vue pragmatiste, quant aux « effets de sens » des signes. Des « glissements successifs » permettent de passer d’« images

25 FRESNAULT-DERUELLE Pierre, L’éloquence des images, Images fixes III, PUF, Paris, 1993, p. 12. 26 METZ Christian, « Au-delà de l’analogie, l’image », Communications, 1970, n°15.

27

ARQUEMBOURG Jocelyne, « Des images en action. Performativité et espace public » in Réseaux, « Un tournant performatif ? Retour sur ce que « font » les mots et les choses », La Découverte, 2010/5, n°163, pp. 163-187.

107 en action à l’action des images »28

. Partant de la performativité austinienne, et ses six conférences regroupées à titre posthume dans l’ouvrage Quand dire, c’est faire29, Jocelyne Arquembourg opère un glissement vers la sémiotique peircienne, au détour de la définition du langage selon John Dewey.

En effet, John Langshaw Austin30 posait comme axiome que le sens d’un énoncé ne prime pas, la valeur et les effets recherchés méritent une étude plus approfondie. Ainsi, il distingue cinq classes d’énonciation selon les conséquences possibles de l’énoncé (verdictif, exercitif, promissif, comportatif et expositif) et émet six points à surveiller (1. le mode, 2. ton de la voix/rythme/insistance, 3. Adverbes et locutions adverbiales, 4. Particules de relation, 5. Phénomènes accompagnant l’énonciation (gestes et rituels non-verbaux), 6. Circonstances de l’énonciation) dans la performativité d’un énoncé. Ceux-ci valideront ou non la félicité du propos, en d’autres termes son accomplissement performatif. Cette conceptualisation du langage conduit à la mise en place de ce qu’il appelle un « acte de langage ». Un énoncé ne serait pas uniquement digne d’intérêt pour un linguiste par sa signification mais par l’acte potentiel qui en découle. La parole pourrait « faire quelque chose » par trois actes possibles : le locutoire, l’illocutoire et le perlocutoire.

La locution (« Il a dit que ») opère une signification par l’intermédiaire de la production de sons qui se rattachent à un sens. L’illocution (« Il a soutenu que ») produit en disant quelque chose, elle rend manifeste (explicitement) la manière dont les paroles doivent être comprises. Quant à la perlocution (« Il m’a convaincu que »), elle produit par le fait de dire quelque chose (implicitement). L’exemple du taureau dans le pré est particulièrement efficace pour distinguer les deux derniers. Lorsque dans le cadre d’une illocution, il s’agirait de performer en disant « je t’avertis, il y a un taureau dans le pré » ; la perlocution tendrait vers un énoncé qui annonce et performe implicitement « il y a un taureau dans le pré ». L’avertissement s’exécute donc sans être dit explicitement.

Cet acte de parole ou de langage ne prend son sens que lorsqu’il est encadré dans une situation donnée qui lui donnera les garanties de sa félicité ou non. De ce fait, lors d’une soirée entre amis si l’une des personnes présentes proclame deux autres personnes mari et femme cela n’aura aucune valeur institutionnelle et ne constituera pas un acte de langage opérationnel. La solennité, le cadre et la personne même qui prononcera l’énoncé auront une

28

Ibid.., p.186.

29

AUSTIN John Langshaw, Quand dire, c’est faire, Seuil, Paris, 1970.

108 valeur primordiale pour l’« effet » recherché de l’acte. De même, un écriteau « Interdit de fumer » ne provoquera pas les mêmes effets qu’il se trouve dans une salle d’attente médicale, dans un commissariat (auquel cas l’amende encourue en cas d’infraction sera certainement mentionnée) et sur la porte de la chambre d’un petit frère ou une petite sœur. Les circonstances de l’énonciation seront donc absolument capitales dans le jugement de la félicité d’un énoncé.

Dans le cadre d’un message de nature linguistique, c’est ce que Dominique Maingueneau appelle le « contexte ». Celui-ci se décompose en trois types :

- L’environnement physique de l’énonciation ou contexte situationnel. - Le cotexte : avant ou après l’unité à interpréter.

- Notre connaissance du monde.31

Tous ces éléments permettent de cadrer un énoncé et de déterminer sa performativité. L’autorité de l’instance émettrice de l’énoncé est tout aussi fondamentale lors de l’observation d’un acte de langage.

Postulant ceci, il s’agit désormais de transiter des actes de langage à l’action des signes dans une perspective pragmatiste.

L’acte de langage peut acquérir une tout autre dimension si, en suivant le chemin tracé par Jocelyne Arquembourg, nous nous fions à la définition deweyienne du langage qui est remarquablement « ouverte » et intéressante :

« Le langage est pris au sens large. Il inclut la parole et l’écriture, et non seulement les gestes, mais aussi les rites, les cérémonies, les monuments et les produits des arts industriels et des beaux-arts. Un outil ou une machine, par exemple, n’est pas simplement un objet physique simple ou complexe ayant ses propres propriétés et effets physiques ; il est aussi un mode de langage, car il dit quelque chose à ceux qui le comprennent, concernant les moyens de l’utiliser et leurs conséquences. »32

Les images, et tout type de discours, font donc partie du langage et par voie de conséquence des actes de langage, si nous adoptons le prisme pragmatiste du langage. La Logique de John

31

MAINGUENEAU Dominique, Analyser les textes de communication, Armand Colin, coll. « Lettres sup », Paris, 2007, p. 9.

109 Dewey se révèle particulièrement utile comme passerelle exécutant un glissement de l’acte de langage à l’action des signes. John Dewey :

« insiste davantage sur ce qu’il appelle l’usage fonctionnel

commun. Ce qui compte, ce sont les comportements communs

qui sont déterminés par le langage. La signification des

termes serait à chercher dans ce que cela fait à des sujets, mais aussi dans la manière dont ils interviennent au cœur d’activités communes. Dewey souligne particulièrement cette

dimension opérationnelle du langage qui est avant tout un moyen de « provoquer des activités accomplies par des personnes différentes en vue de produire des conséquences que partagent tous ceux qui participent à l’entreprise commune » […] Cet éclairage offre de nombreuses ressources pour

justifier le fait de considérer les images comme faisant partie du langage et pour orienter leur analyse du côté de ce que les images font à des sujets engagés dans des activités communes. L’accord sur les conséquences est ici

fondamental car c’est lui qui détermine la signification. Aussi,

l’un des leviers qui assurent la compréhension d’une signification quelconque, est son inscription dans une communauté d’action. »33

S’ouvre ainsi une boîte de Pandore permettant à l’image de prétendre faire partie des signes et ce dans une optique pragmatiste et plus particulièrement sémiotique, axée donc sur les effets de sens pour des acteurs pluriels. En fait, pour des communautés, au sens où celles-ci se définissent par la communication ou « l’établissement de quelque chose de commun »34.

« La question ne serait pas alors : « Comment est-ce que les images signifient ?», ni : « Comment est-ce que les images nous influencent ? », mais plutôt : « Comment est-ce que nous communiquons au moyen des images ? ». »35

En intégrant l’image dans une conception sémiotique de tradition peircienne, J. Arquembourg achève son cheminement rigoureux menant de l’acte de langage à l’action des images. Ces dernières, une fois insérées dans la sémiotique et ses effets de sens, acquièrent une dimension active dans la mesure où elles incitent des publics à une action déterminée

33 ARQUEMBOURG Jocelyne, « Des images en action. Performativité et espace public » in Réseaux, « Un

tournant performatif ? Retour sur ce que « font » les mots et les choses », La Découverte, 2010/5, n°163, p. 173. C’est nous qui soulignons.

34 DEWEY John, Logique. La théorie de l’enquête, PUF, Paris, 1967, p. 106. 35

ARQUEMBOURG Jocelyne, « Des images en action. Performativité et espace public » in Réseaux, « Un tournant performatif ? Retour sur ce que « font » les mots et les choses », La Découverte, 2010/5, n°163, p. 165.

110 par des contextes, une instance discursive, une situation de communication donnée, des indices qui accompagnent le discours, etc. En somme, « signification et action sont intrinsèquement liées dans des situations »36.

Dorénavant, notre démarche s’appuiera sur l’approche de Jocelyne Arquembourg qui s’intéresse à la « manière dont les images font quelque chose à quelqu’un, ou de la manière dont des sujets interagissent ainsi en s’emparant de significations pour une action déterminée »37. Cependant, il ne s’agira pas uniquement d’image mais il faudra ajouter à l’image étudiée les paramètres suivants : le paratexte, les réactions discursives – sous forme de commentaire – le média qui publie et prend en charge l’image, etc. Un certain nombre de points particuliers auxquels nous devrons rester attentifs. Pour ce faire, nous nous fonderons sur la définition du discours donnée par Dominique Maingueneau. Celui-ci a composé l’entrée « Discours » dans le Dictionnaire d’analyse du discours38

.

En résumé, nous reprendrons les présupposés du discours selon Dominique Maingueneau et nous nous emparerons de ces points précis pour analyser le discours, dans lequel l’image sera l’objet premier de l’empirie :

« Le discours suppose une organisation transphrastique […]

Le discours est orienté. Il est « orienté» non seulement parce qu’il est conçu en fonction d’une visée du locuteur, mais aussi parce qu’il se développe dans le temps. […]

Le discours est une forme d’action. […] Le discours est interactif […]

Le discours est contextualisé […]

Le discours est pris en charge. Le discours n’est discours que s’il est rapporté à une instance qui à la fois se pose comme source des repérages personnels, temporels, spatiaux et indique quelle attitude il adopte à l’égard de ce qu’il dit et de son interlocuteur (processus de modalisation) […]

Le discours est régi par des normes. […]

Le discours est pris dans un interdiscours. Le discours ne prend sens qu’à l’intérieur d’un univers d’autres discours à travers lequel il doit se frayer un chemin. Pour interpréter le moindre

36 Ibid., p.166. 37

Ibid., p.166.

38

CHARAUDEAU Patrick, MAINGUENEAU Dominique (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Seuil, Paris, 2002.

111 énoncé, il faut le mettre en relation avec toutes sortes d’autres,

que l’on commente, parodie, cite […] »39

Nous tenterons ainsi de vérifier ces points en les confrontant aux discours de nos divers

corpora, en portant une attention particulière à la « forme d’action », à la « prise en charge »

et à la notion d’« interdiscours ».

Notre démarche consistera à appréhender l’image, jamais isolée, au sein de son appareillage discursif tout en portant un regard vigilant aux implicites sous-tendus par le texte explicite. Il s’agira donc d’observer « comment les sujets parlants opèrent pour extraire de l’énoncé les contenus implicites, et comment ceux-ci opèrent sur les sujets parlants. »40 Il sera constamment question d’étudier ce que véhicule le discours, à travers une signification donnée, ainsi qu’une action possible du discours sur un sujet, par l’accomplissement d’un effet de sens. En retour, nous verrons comment, par un processus de rétroaction, le sujet agit sur le déploiement du discours au fil du temps. L’auteur d’un discours émet son message selon le lectorat ciblé, il s’adapte également à celui-ci en prenant compte ses retours. Un

feedback potentiellement actif sur la teneur de son discours et sur les récits qui vont en

émaner. Nous verrons donc ce que font ces discours ainsi que les récits qui en découlent, et à qui ils font quelque chose.

39 MAINGUENEAU Dominique, « Discours » in CHARAUDEAU Patrick, MAINGUENEAU Dominique

(dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Seuil, Paris, 2002, pp. 187-189.

40

Afin de suivre la démarche initiée, il y a trente ans, par Catherine Kerbrat-Orecchioni : KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, L’implicite, Arman Colin, Paris, 1998, p. 5.

112

Seconde partie : Le street art inséré dans un

dispositif socionumérique militant, empirie

d’une expérience esthétique

révolutionnaire.

113

Avertissement

Nous avons extrait les données sous format texte. Chaque publication fait l’objet d’un fichier texte qui lui est consacré regroupant tous les contenus linguistiques parus suite à la survenue du post. Le fichier comporte la légende, s’il y en a une, émise par l’auteur de la publication, celle-ci sera suivie de la totalité des commentaires, lorsqu’il y en a.

Afin de faciliter le parcours du lecteur parmi les objets médiatiques de nos corpora, nous avons opté pour une répartition des données par page Facebook. Les publications y sont triées par ordre chronologique. Ceci dit, il nous faut préciser que la qualification des fichiers, images et textes, a été établie selon un ordre logique pour apparaître de la première à la dernière publication. Pour ce faire, nous avons dû nommer nos fichiers comme suit : Année.Mois.Jour. (ponctuellement suivi d’un titre lorsque plusieurs publications surviennent à la même date, l’objet du titre sera essentiellement la traduction du message linguistique de l’œuvre). De cette manière, à chaque fois que nous citerons une image ou bien un commentaire, nous préciserons l’emplacement de la référence de la manière suivante :

Annexe Page Facebook, date de parution (Année.Mois.Jour.), Titre (dans le cas où plusieurs publications seraient parues le même jour).

114 Enfin, nous préciserons la page où se situe un commentaire au sein d’un fichier texte lorsque cela sera nécessaire.

Toutes les traductions ont été réalisées par nous-mêmes. Nous prendrons le parti de retranscrire les termes arabes dans un français le plus proche phonétiquement de la prononciation originelle. Certaines lettres, consonnes ou voyelles, et certains sons n’existant pas en lettre latines, seront remplacés par des chiffres, comme le veut l’usage numérique de l’arabe écrit en lettre latines. Le « 3 » remplacera le « ain », le « 7 » pour le « hah », etc.