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Chapitre 2 : Nous sommes tous Khaled Saïd, ou la religion du nom

II. Khaled, signe de ralliement

Les 25 et 26 juin, au cœur du festival d’el-Korba au Caire, deux photographies d’inscriptions à la craie à même le sol nous sont proposées par l’administrateur. La première dit : « Nous sommes tous Khaled Saïd »21 accompagnée d’un petit encadré (coin supérieur gauche) précisant « Martyr du régime » et la seconde « Khaled needs justice »22.

Concernant le premier post, l’administrateur présente cette image avec la légende suivante : « Khaled Saïd au festival d’el-Korba…Khaled est le scandale du Régime qui a éveillé l’Egypte ». Wael Ghonim propose donc ce graffiti qui représente Khaled comme un symbole iconographique re-présentant Khaled. Sa personne ou plutôt sa mémoire est sur place, présente au festival. Son nom est tagué pour laisser une trace le re-présentant, haut en couleurs, à la craie, concocté avec attention par ces femmes qui sont en train de le terminer. Rappelons que nous sommes toujours dans cette ambiance délétère où les médias officiels du Régime et les médias alternatifs, comme Nous sommes tous Khaled Saïd, s’affrontent quant au déroulement des faits menant au décès de Khaled. Dans ce contexte, nous pouvons apercevoir que la pose, l’un des six procédés de connotation à surveiller dans une photographie selon Roland Barthes23, met l’accent sur l’inchoativité de la performance. Ces femmes n’ont pas fini le contour, ou le lettrage quelque peu amateur, du nom de Khaled ni la mention qui indique qu’il est bien le « Martyr du Régime le… ». La phrase n’étant pas

21 Annexe Nous sommes tous Khaled Saïd, 10.06.25. 22 Annexe Nous sommes tous Khaled Saïd, 10.06.26. 23 Les six procédés de connotation en question :

Le truquage, la pose, les objets (disposés dans le spectrum afin de composer une rhétorique particulière), la photogénie (embellissement et sublimation de l’image), l’esthétisme (souvent dans une généalogie picturale) et la syntaxe.

145 terminée, elle attire nécessairement l’attention du spectateur. C’est donc bien la dynamique de cette photographie qui en fait un objet en cours, loin d’être figé. Khaled est peut-être mort, à travers ce cœur brisé, mais celui-ci, dont le sang coule, offre la matière première au graffiti et en fait un symbole qui n’est pas prêt de cesser son opposition au Régime.

Ce qui nous intrigue fortement dans les commentaires c’est l’éloignement assez rapide du débat par rapport à l’image postée. Après quelques propositions pour promouvoir la cause de Khaled Saïd, comme aller à l’université tout vêtu de noir, le débat se porte principalement sur l’identité de l’administrateur. Certains veulent à tout prix savoir qui se cache derrière l’auteur de la page, c’est un débat qui ne trouve presque plus de place au bout de quelques semaines, et d’autres sont d’avis que cela importe peu.

Ikram Amin ElShafie, par exemple, affirme : « C’est pas important qui est l’admin…ce qui importe c’est que c’est un humain respectable qui a un cœur et des sentiments…et qui nous a réuni sans que l’on ne se connaisse…nous sommes tous sur la corniche côte à côte sans nous connaître mais notre combat est le même… Que Dieu te préserve Admin ! »24

.

Ce membre évoque ainsi la force des « liens faibles », concept développé par Mark S. Granovetter25, repris et développé en une « force des coopérations faibles » par Dominique Cardon et Christohe Aguiton26. Toutes ces relations interpersonnelles, ne faisant pas partie du premier cercle, peuvent donc réunir des individus sans se connaître personnellement et sans soulever des doutes quant à la sincérité de la démarche des uns et des autres.

Autre témoignage dans la même veine, Ahmed Love proclame que « Nous sommes tous Khaled Saïd et nous sommes tous Admin »27. Ce membre prête serment donc à la cause mais également à l’auteur de la mobilisation dont il ne connaît pourtant pas encore l’identité. Il répond aux différentes craintes ou aux accusations par un raisonnement réflexif assez simple : « Nous sommes tous Khaled Saïd et l’Admin est Khaled Saïd ». Puisque

24 Annexe Nous sommes tous Khaled Saïd, 10.06.25, p. 2. 25

GRANOVETTER Mark S., « The Strength of Weak Ties » in American Journal of Sociology, Vol. 78, n° 6, Mai 1973, pp. 1360-1380.

26

« The strength of weak cooperation » cité dans La Démocratie Internet :

« La plupart des grands collectifs de l’Internet sont la conséquence d’interactions opportunistes dont la prémisse est l’exposition par les individus de leur identité, de leurs goûts ou de leurs activités. D’autres saisissent les occasions offertes par les individus exposés pour débuter une interaction avec eux et les engager dans des coopérations « faibles ». »

CARDON Dominique, La démocratie Internet, Promesses et limites, Seuil, coll. « La République des idées, Paris, 2010, p. 81. C’est nous qui soulignons.

146 l’administrateur est un des nombreux Khaled Saïd, par voie de conséquence il ne peut être que Khaled, tout autant que les autres, tous membres à part entière de « la jeunesse opprimée d’Egypte »28

.

Ce que nous observons assez clairement, à travers ce débat autour de la personne de l’administrateur, c’est le sentiment d’appartenance qui commence à se dégager des discours des uns et des autres. Le tout soutenu par un discours, tenu par l’administrateur en question, focalisé principalement sur la personne de Khaled.

Cette concentration des images et des messages linguistiques29 autour de la figure de Khaled est symptomatique de la mythologisation qui s’opère autour de cette victime, a priori, quelconque du Régime égyptien. Mais comme nous l’avons vu précédemment, Khaled n’est pas une énième victime qui viendrait s’ajouter à toutes les autres. Hormis la polémique autour de son addiction au haschich, Khaled va permettre une identification assez simple de la part de la jeunesse égyptienne connectée qui se reconnaît aisément en sa personne. Ce jeune issu de la classe moyenne égyptienne n’a aucun avenir garanti par le pouvoir, qui officiellement porte toujours la charge de placer les jeunes diplômés dans les entreprises publiques. Il aspire donc à quitter le pays comme nombre de jeunes Egyptiens. Les générations précédentes pouvaient avoir des réticences sur le phénomène d’émigration, souvent traduit par un manque d’amour pour la patrie, alors que nombre de jeunes, qui n’ont aucune perspective claire les concernant ou bien même pour leurs enfants, voient dans cette émigration la seule solution pour pouvoir vivre et non plus uniquement survivre. Khaled Saïd cristallisait en sa personne les points les plus caractéristiques de la jeunesse égyptienne. Et si nous en revenons à la polémique entre médias officiels et médias alternatifs, nous pouvons avancer que celle-ci a servi à promouvoir la cause de Khaled Saïd. Premièrement, parce qu’elle a porté à la connaissance d’un grand-public l’existence de l’affaire et deuxièmement parce qu’elle a permis la mise en place de récits.

Ce qui prime c’est que l’affrontement de ces différents médias a entraîné la mise en place d’une enquête alternative menée par des activistes, qui se muent ainsi en « communauté d’enquêteurs »30

. Et au travers du récit qui sera tenu, s’appuyant sur les résultats de cette

28 Ibid.

29 Nous distinguerons, comme le fait Roland Barthes, les messages iconiques (dénoté et connoté) et le message

linguistique.

BARTHES Roland, « Rhétorique de l’image », Communications, 1964, n°4, pp. 40-51.

30

« La corrélation entre vivre une situation problématique, éprouver les conséquences de ses propres activités, et reconstruire le cadre de l’expérience en agissant sur ses conditions afin que puisse reprendre le continuum

147 enquête, Khaled Saïd se trouvera au centre d’une attention toute particulière puisqu’il sera érigé en « Martyr du Régime », et non plus uniquement en tant que victime. Khaled aurait été attiré dans un traquenard organisé par la police et un ami portant le surnom de Mohammad Radwan Abdelhamid plus connu sous le surnom de Haschicha31, qui signifie littéralement en dialecte égyptien « boulette de haschich », pour sa consommation excessive de drogues douces. Amro Ali, doctorant en relations internationales à Sydney et blogueur, originaire du même quartier que Khaled Saïd a pu s’identifier à ce jeune ce qui l’a poussé à étudier quelque peu la question. Nous nous retrouvons donc face à un récit tournant autour d’une figure presque christique32

, qui en fait celle d’un « martyr politique » ou d’un « héros » malgré lui33, qui se trouve être Khaled Saïd, avec tout ce que cela comporte de martyrologie et de culte voué à une personne désormais symbole d’une quasi-religion fondée sur son sacrifice. Khaled Saïd, trahi par l’un de ses proches, devient sans le savoir ni le vouloir symbole des résultats de la violence extrême d’un régime. Il sera commémoré année après année et le culte tente d’augmenter le nombre de fidèles, avec son lot de prosélytisme. Par ailleurs, l’administrateur se vante régulièrement de la croissance exponentielle des adhérents à sa page.

des expérimentations, est ce que Dewey appelle tout aussi bien « enquête » que « développement de l’individualité ». »

« L’enquête relève plus d’une logique de création que d’une logique de découverte. »

L’enquête n’est donc pas à proprement parler une activité de détection mais la création de conditions propices au public pour mener à bien ses projets d’« agir ».

DEWEY John, Le public et ses problèmes, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2010, pp. 31-32. C’est nous qui soulignons.

31 Un récit passionnant de la soirée conté par Amro Ali sur

ALI Amro, « Saeeds of Revolution: De-Mythologizing Khaled Saeed », 5 juin 2012,

http://www.jadaliyya.com/pages/index/5845/saeeds-of-revolution_de-mythologizing-khaled-saeed, dernière consultation le 13 septembre 2016.

32

Abu-Bakr Abélard Mashimango souligne l’influence des récits mythiques des religions abrahamiques sur les cultures martyrologiques qui imprègnent nos sociétés contemporaines :

« De l’animal qui s’interpose entre Abraham et son fils (Isaac selon le christianisme et Ismaël selon l’islam) à Jésus crucifié sur la Croix pour absoudre les péchés de l’humanité, etc., toutes ces histoires mythiques soulignent l’historicité du culte sacrificiel. »

MASHIMANGO Abou-Bakr Abélard, La dimension sacrificielle de la guerre. Essai sur la martyrologie politique, L’Harmattan, Paris, 2012, p. 110.

33

Au sujet des héros de faits-divers, Nathalie Heinich juge que certains moyens de communication et une attention médiatique doivent porter la lumière sur ces « héros » malgré eux qui ont souffert un sort tragique sans l’avoir provoqué consciemment :

« la visibilité est bien endogène, au sens où elle ne dépend que de la propension des médias à tourner leur attention, et celle du public, en direction de ces êtres temporairement ou durablement singularisés par les circonstances, la chance ou la malchance, ou l’extrême déviance. […] Elles n’accèderaient pas à une telle visibilité sans moyens de communication photo, TV, numérique […] »

HEINICH Nathalie, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Gallimard, Paris, 2012, p. 238.

148 La mère de Khaled, Layla Marzouk, deviendra également un symbole, équivalent de la Vierge Marie, par la perte brutale de ce qu’elle avait de plus cher, son fils. Les différents témoignages, relayés par la page, du « supplice » public, sans scrupule, de Khaled par les deux représentants de l’autorité, pendant que les personnes présentes demeuraient impassibles, contribuent à faire de Khaled LE Martyr parfait. Ajoutons à cela un élément non-négligeable, le montage photographique opéré à partir de deux photographies montrant Khaled avant (récupération de la photographie d’identité de son passeport) et après son décès (photographie prise par son frère à la morgue). Cette visualisation possible facilite le passage d’une victime à un martyr voire LE Martyr.

La référence à la figure christique constitue un point capital de l’analyse et celle-ci est possible, car en Egypte une partie de la population est copte. Au-delà du vivre-ensemble générant des récits communs34, l’islam intègre dans sa construction une partie des récits évangéliques. Même si Jésus, prophète éminent dans l’islam, n’a pas été crucifié dans le récit coranique il a tout de même été, dans l’interprétation d’un hadith (littéralement le conte, récit provenant de la vie du prophète), dénoncé par Judas.

La seconde image35, évoquée plus haut, est l’œuvre d’une certaine Farah, dont l’Admin relaie le témoignage en guise de légende de la photographie :

« Je suis une fille égyptienne et j’aime l’Egypte mais j’avais des empêchements qui ne m’ont pas permis d’assister au sit-in. Mais je voulais pas que ma journée soit perdue alors je suis

34 A ce sujet, Abdel Halim Hafez a interprété une chanson consacrée à la crucifixion du Christ, comparée au

sort du citoyen palestinien, dont le titre était « Le Messie ». Le chanteur le plus connu du monde arabe, lui- même musulman, a donc chanté dans des termes chrétiens la mort du Christ.

Par ailleurs, lorsqu’un Egyptien musulman veut faire jurer un chrétien il lui dit « Jure sur le Christ » et inversement.

149 allée au carnaval d’el-Korba et j’ai fait avec une amie une petit

truc pour Khaled – Merci Farah »36.

Tout d’abord, ce type de témoignage a pour but de démontrer que les membres de la page ressentent le besoin de s’engager pour Khaled voire pour eux-mêmes, puisqu’ils sont tous Khaled. Nous observons dans la suite des commentaires une forte frustration suscitée par le manque d’actions, selon certains membres qui demandent aux autres de proposer de nouvelles initiatives. D’autres en proposent directement. L’objectif premier étant de s’encourager les uns les autres et de faire face à la possibilité du passager clandestin37

, surtout en insistant sur le fait que même les « nouvelles femmes d’Egypte » sont « courageuses » et n’ont plus peur de s’engager explicitement, jusqu’à sortir de l’anonymat. L’approche genrée, dans une culture aussi sexiste, porte un intérêt énorme qui sera régulièrement convoquée par les activistes pour dissuader le passager clandestin de rester chez lui. Si même les femmes s’engagent de cette manière, alors l’homme qui se croît supérieur se trouve bel et bien obligé d’agir également. Nous reviendrons sur le discours genré bien plus en détail par la suite.

Cette image colorée démontre, comme le dit un commentaire de Heba Farouk Mahfouz38, que même dans une ambiance aussi « festive et bon-enfant » la jeunesse n’oublie pas son combat, elle y voit donc de l’espoir. N’oublions pas que l’image est une photographie d’un graff à la craie rappelant que « Khaled a besoin de justice ». Mais comme Khaled, « Le Martyr du Régime », est désormais la nouvelle identité de cette jeunesse militante et mobilisée, par conséquent celle-ci a tout autant besoin de justice. Khaled ne serait que symptomatique de ce que subit la jeunesse égyptienne. La personne de Khaled, représentée dans la joie ou dans la tristesse, ce qui est le cas dans certains objets à venir dans l’analyse, « a réveillé l’Egypte », comme aime si bien le rappeler assez souvent Wael Ghonim. A cet effet, le sentiment d’injustice prime :

« Le sens de la justice et plus largement le « sens du public » constitue bien une compétence morale : il se fonde sur une compétence « cognitive », la maîtrise d’une grammaire publique qui permet de s’exprimer dans l’espace public, mais aussi sur la

36 Ibid., p. 1

37 Celui qui compte sur l’action d’un tiers pour en soutirer les bénéfices sans jamais risquer les potentielles

conséquences préjudiciables.

OLSON Mancur, Logique de l’action collective, PUF, Paris, 1978.

150 capacité, pour les membres d’une communauté, à reconnaître

des candidats plausibles au statut de biens communs. »39

Et cette injustice permet de réunir des individus autour la constitution d’une identité victimaire, voire martyrologique. Cette identité, nouvellement construite ou instituée, permet de s’inscrire dans une identité-résistance40

, selon les termes de Manuel Castells. Pour le moment, nous ne pouvons assimiler cette identité qu’à de la résistance, une inscription en réaction à l’oppression d’un système politique. Nous ne sommes jusqu’à ce point précis de cette expérience et de cette constitution d’identité, étant elle-même « la source du sens et de l’expérience »41

selon John Caldwell Calhoun cité par Castells, pas encore parvenus à la constitution d’une identité-projet. Le terme « encore » renvoie bien à la survenue de cette identité-projet quelques mois plus tard, point sur lequel nous nous attarderons dans les pages qui suivent.

En août, l’Admin publie la photographie d’un fanouss42

(lanterne à usage spécifique pour le mois du Ramadan) à l’effigie de Khaled pour l’arrivée du mois de ramadan. L’occasion de souhaiter un bon mois à tous les membres mais également l’occasion de rappeler que Khaled et sa famille ainsi que tous les individus mobilisés autour de cette problématique n’ont toujours pas obtenu gain de cause. Ce qui ressort le plus du post laissé par l’Admin à cette

39 BRUGIDOU Mathieu, L’opinion et ses publics, Une approche pragmatiste de l’opinion publique, Presses de

la Fondation Nationales des Sciences Politiques, Paris, 2008, p. 25.

40

CASTELLS Manuel, L’ère de l’information (tome 2), Le pouvoir de l’identité, Fayard, Paris, 1999, p. 18.

41

Ibid., p. 16.

151 occasion c’est qu’il en profite, tout comme les membres, pour prier pour Khaled et les autres victimes du Régime et souhaite que les prisonniers politiques puissent rentrer chez eux pour passer cette période de fêtes en famille. Les commentaires sont majoritairement équivalents à cette légende du gestionnaire de la page et de la communauté. Ajoutons à cela, et c’est tout l’intérêt du post, que ce sont des jeunes qui sont allés accrocher ces fanouss43

dans la rue de Khaled Saïd. Nous nous retrouvons donc en période de fêtes mais personne n’oublie Khaled, c’est ce que souligne Wael Ghonim en remerciant ces jeunes à l’initiative de la décoration de la rue où résidait Khaled et pour la plupart des commentaires de faire une prière pour le défunt Khaled. Dans la légende de Wael Ghonim, sont évoquées d’autres victimes. Néanmoins dans les commentaires seul Khaled obtient l’assentiment des membres de la page. Aucune autre victime n’est citée ou sujet d’une prière par les membres. Force est de constater que Khaled cristallise et concentre toute l’émotion autour de la figure, une et unique comme dans de nombreux cultes, du Martyr. Les membres de la communauté sont bien Khaled, ils ne sont pleinement « indirectement affectés »44 grâce à cette dénomination du groupe Facebook qui les identifie. Ils déclarent, à travers cette auto-désignation, « expériencer » une affection pour le sort de ce jeune « tué » par le Régime en place.

Cette lanterne, synonyme de joie pour les enfants, porte le visage du héros local et de toute l’Egypte. Le héros malgré lui, assassiné et érigé en mythe identitaire. Image souriante, colorée et illuminée, illuminant le voisinage ; Khaled devient la lanterne de sa rue et de la communauté qui s’est regroupée autour de son mythe. La photographie est prise d’un certain angle avec un cadrage suffisamment vague pour focaliser l’attention sur le visage et plus précisément sur le regard de Khaled, qui tout sourire, interpelle et exige une réponse de notre part, comme dans toute image où le regard pointe vers le « spectator »45.

« Il existe tout d’abord, une différence fondamentale entre les images depuis lesquelles les personnes représentées fixent directement le regard du spectateur, et celles où ils ne le font pas. »46

43

Traduction littérale « Lanterne » ; mais culturellement objet destiné à éclairer un habitat ou une rue, devenu depuis l’électricité publique un jouet pour enfant afin de célébrer le mois du Ramadan et l’Aïd.

44 DEWEY John, Le public et ses problèmes, Farrago/Editions Léo Scheer, Publications de l’Université de Pau,

2003, p. 35.

45 Ces différents termes sont empruntés à la terminologie barthésienne de La Chambre Claire, où il traite du

portrait.

BARTHES Roland, La chambre claire, Cahiers du Cinéma, Gallimard, Seuil, 1980.

46

DAYAN Daniel, « Quand montrer, c’est faire », in DAYAN Daniel (dir.), La terreur spectacle, terrorisme et