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CHAPITRE 4 : LA PARTICIPATION CHEZ LES PERSONNES VIEILLISSANTES

4.3 Action collective, citoyenneté et participation en contexte urbain

4.3.3 Les personnes vieillissantes dans l’action collective sur la ville

À travers quels dispositifs les personnes vieillissantes modifient et agissent sur les lieux qui font du sens pour elles à un âge avancé (Barnes, Harrison et Murray 2012; Phillipson 2007) ? Effectivement, dans les littératures francophone et anglophone en gérontologie sociale, peu d’études tracent des liens clairs entre participation sociale et/ou politique et la question de l’espace. Par contre, de plus en plus d’auteurs réclament ces avenues dans la recherche (Wiles 2010). Nous tenterons ici de faire la lumière sur les principaux travaux sur la question.

57 Selon Blokland et al. (2015, 664), la citoyenneté dans et sur la ville est maintenant divisée entre différents espaces,

Dimensions spatiales de la participation : un modèle

La chercheuse la plus active dans cette tendance « spatiale » dans les études sur la participation est sans conteste Wiles. L’étude de Wiles et Jayashina (2013) sur le « care for place » est éloquente à cet égard, articulant plusieurs formes de participation évoquées plus tôt dans ce chapitre autour de la dimension spatiale. Le « care for place » se définit comme un engagement et une contribution fait à une communauté locale (Wiles et Jayashina 2013, 94). Selon elles, l’identité, la communauté locale et l’agir (activiste, bénévole ou autre) sont intrinsèquement reliés, du moins chez les personnes vieillissantes avec lesquelles elles ont travaillé :

Through their care for place, the participants assumed new identities, such as ‘caretakers’, ‘guardians’ and ‘advocates’ for the wellbeing of the people and places in which they were ageing. This suggests that their connections to place not only fostered the participants' desire to care for places, but also linked their identity to these places and enhanced their sense of belonging. (Wiles et Jayashina 2013, 99)

Les participants à l’étude ont également mentionné (ibid., 100) que leurs activités semblaient augmenter la cohésion sociale et le lien communautaire, de même que la sécurité de leurs communautés. Wile et Jayashina (ibid.) croient que la recherche effectuée sur cette thématique doit saisir l’interdépendance entre le lieu et les personnes vieillissantes, celles-ci contribuant à la résilience des communautés. Les chercheuses ont établi quatre différents types de participation à partir d’observations et d’entrevues semi-dirigées : le bénévolat, l’activisme, l’advocacy et le nurturing (ibid.).

Premièrement, le bénévolat se définit selon elles comme l’appui non rémunéré à des groupes, des institutions charitables ou des réseaux de solidarité par le biais d’implication dans diverses tâches, comme organiser des levées de fonds ou livrer de la nourriture à domicile à des gens de leur communauté (ibid., 96). Par après, l’activisme renvoie aux manières dont les personnes vieillissantes s’impliquent dans les luttes de pouvoir pour remodeler les aspects institutionnels, économiques, sociaux et environnementaux des lieux dans lesquels elles vivent ; conséquemment, leurs actions peuvent prendre la forme de lobbying, de pressions médiatiques diverses, de signatures de pétitions ou encore de participation à des manifestations et à des actions (ibid., 97). Puis, l’advocacy réfère à l’acte de fournir une représentation publique à des groupes ou des individus et de chercher à faire croître la conscience sociale de la communauté

autour de problèmes au niveau local, et ce à travers la participation à des assemblées citoyennes par exemple (ibid.).

Enfin, le nurturing (ibid., 98) se rapporte au travail émotionnel que peuvent effectuer les personnes vieillissantes sur elles-mêmes ou autour d’elles - soit l’acte de « prendre soin de et protéger les autres et d’établir des amitiés » - ou encore de prendre soin d’un lieu, par l’entremise du jardinage notamment. Le nurturing fait donc clairement partie de ce que Bickel (2014) entend par participation informelle. Hardill et Baines (2009) soulignent également que les soins informels donnés par des personnes vieillissantes à des semblables peuvent s’ancrer dans un souci de la « communauté » locale qui dépasse les balises institutionnelles pour s’étendre dans la sociabilité informelle. La typologie de Wiles et Jayasinha (2013) pourrait donc esquisser un assemblage du « care for place » aîné, avec des pôles plus activistes, d’autres moins. Justement, dans la lignée des acquis conceptuels du féminisme de la deuxième vague, il faut selon moi reconnaître que le soin aux autres et l’implication familiale, soit les engagements dits de « proximité », peuvent effectivement constituer des actes éminemment politiques (Charpentier et Quéniart 2009, 46). Le soin aux autres, à l’environnement et à soi-même peut effectivement participer au changement social, dans une « réparation du monde » (Fisher et Tronto 1991, cités dans Tronto 2009, 143).

Participation sur les enjeux urbains

D’autres travaux se sont penchés plus directement sur des expériences concrètes de participation de personnes vieillissantes sur des enjeux politiques locaux, notamment urbains. À titre d’exemple, même si ses travaux ne recoupent pas exactement les miens, Argoud (2012) croit à l’importance de saisir empiriquement le « pouvoir gris » à l’échelle locale, municipale, plutôt qu’exclusivement sur la scène nationale. Selon lui, dans les communes françaises - et non à l’Élysée - s’opère un déplacement manifeste du rôle de « personne âgée dépendante » à celui d’« habitant vieillissant », en raison notamment d’une participation timide, mais en hausse des personnes vieillissantes dans les processus décisionnels reliés aux équipements et à l’occupation du territoire. Viriot Durandal (2003, 445), quant à lui, reprend les travaux d’Argoud (2012) sur les Conseils des sages58 en France et mentionne que ces espaces consultatifs semi-indépendants

sont l’occasion pour des personnes vieillissantes de parler « en leur nom propre sur des problèmes concrets de proximité », constat qui nous renvoie au portrait général de l’engagement

réalisé plus tôt dans ce texte. La gouvernance locale est aujourd’hui en vogue et ceci témoigne d’une décentralisation de la prise de décision politique à d’autres échelles (Barnes, Harrison et Murray 2012).

Postle, Wright et Beresford (2005, 181) ont souligné que les personnes vieillissantes qu’elles ont rencontrées en entrevues de groupe préfèrent s’engager dans des campagnes politiques participatives visant des enjeux spécifiques, au niveau local, plutôt qu’à l’échelle nationale. De la même manière, une personne vieillissante interviewée par Fox et Quinn (2012, 363) en Irlande mentionne que « I wouldn’t have the ressources or the energy to be able to speak up on the issues nationally ». Une certaine déprise pourrait-elle expliquer cette volonté de s’engager dans une proximité spatiale, de manière à mieux utiliser ses énergies de mobilité souvent réduites ? Par ailleurs, le désir de s’ancrer dans sa communauté pourrait également expliquer cette « préférence » pour le local. Castonguay, Beaulieu et Sévigny (2016, 138) écrivent à propos du bénévolat que « la principale motivation des personnes âgées de 55 ans et plus étant de contribuer à leur communauté (Fleury, 2012), ils privilégient bien souvent une association de leur milieu ». Quant à eux, Barnes, Harrison et Murray (2012) ont comparé des participants vieillissants aux Older’s People Forums de deux villes anglaises, Lewes et Newhaven, pour remarquer que les motivations des individus différaient d’échelle selon la ville. Les enjeux politiques soulevés par les individus dans la seconde ville s’avéraient plus « globaux » et les discours des informateurs de la première ville, plus locaux. À Lewes, certains participants se déclarent « citoyens du monde » alors qu’à Newhaven, les formes d’action collective auxquelles prennent part les personnes vieillissantes touchent généralement des enjeux très locaux. Des différences de classe semblent expliquer ceci, Newhaven étant moins favorisée que Lewes. Le lieu devient donc une variable significative dans les trajectoires d’engagement et de participation des personnes vieillissantes, qu’il convient d’explorer à sa juste valeur. À une échelle micro, on peut penser alors à la participation des personnes vieillissantes dans les lieux d’hébergement (Lucas et Sgier 2012) ou dans les grands ensembles de logements sociaux au Royaume-Uni et aux États-Unis (Bradley 2014; Feldman et Stall 2004; Watt 2016).

Finalement, quelques recherches en gérontologie sociale urbaine se sont penchées précisément sur les stratégies des personnes vieillissantes dans des contextes urbains en transformation. Buffel, Phillipson et Scharf (2013) ont documenté la participation de résidents vieillissants de longue date dans l’action collective visant à réduire l’insécurité des quartiers en déclin dans lesquels ils vivaient, ce qu’ils identifient comme une « stratégie de contrôle » sur un environnement urbain changeant. Lager, Van Hoven et Huigen (2013) ont évoqué la participation

de personnes vieillissantes dans des instances municipales et communautaires visant à gérer un parc de Groningen, aux Pays-Bas. Dans certains contextes, la participation de personnes vieillissantes dans la mise en place de programmes Villes amies de aînés a été documentée (Garon et al. 2015; Rémillard-Boilard, Buffel et Phillipson 2017). Dans le cas de ces dernières études, les effets (rétributions) ou les motivations des personnes vieillissantes n’ont pas été abordées. Enfin, Genz (2018) a documenté la résistance d’un groupe de personnes vieillissantes à Berlin contre la spéculation immobilière, qui utilise l’action directe pour obtenir une visibilité médiatique.

Conclusion

À la suite de cette revue de littérature, force est de constater que les frontières entre les diverses formes de participation délimitées dans l’abondante littérature sur le sujet sont certainement plus floues dans la réalité que dans les constructions typologiques élaborées pour les comprendre. Ainsi, grâce aux travaux d’autrices féministes (Charpentier et Quéniart 2007; Marchand 2016), il faut reconnaître que la fracture entre participation formelle et informelle peut effectivement s’avérer arbitraire et contribuer à une mise à l’écart du travail invisible de care que prodiguent, en général, les femmes (Tronto 2009). L’autre rupture difficile à maintenir en tous lieux et en tous temps est celle qui sépare la participation dite politique de la participation sociale. En effet, de nombreuses études ont démontré que, même dans des organisations de gauche dédiées au changement social et politique, la question des sociabilités, des affects et des émotions était centrale dans le vécu des personnes engagées (Ancelovici et Badimon 2019).

L’idée ici n’est pas de réduire tout engagement dit « politique » à la camaraderie ou vice-versa, mais plutôt de constater l’imbrication profonde de ces éléments entre eux. Dans les comités logement où la collecte de données de cette thèse s’est déroulée, le volet social et le volet politique existent simultanément, mais entrent parfois en tension. Il sera justement intéressant de mesurer l’importance de la sociabilité et comment celle-ci, dans les discours et pratiques des participantes à la recherche, se mêle à des volontés considérées comme étant « politiques », telles que l’avancement des droits des locataires et l’obtention de logements sociaux et coopératifs. À l’époque où le local fait un retour marqué dans les demandes et performances de la citoyenneté, très peu d’études se penchent sur la participation des personnes vieillissantes dans les enjeux urbains, encore moins sur les questions spécifiques de la spéculation immobilière et/ou de la

gentrification, l’étude récente de Genz (2018) à Berlin et les travaux de Tarragó et Fernandez- Ardèvol (2014) faisant figure d’exception.

CHAPITRE 5 : PROBLÉMATIQUE, QUESTIONS DE RECHERCHE ET