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Chapitre 2 : LES RAPPORTS AU LOGEMENT, ENTRE ANCRAGES ET MOBILITÉS

2.1 Les lieux, le chez-soi et le logement

2.1.3 Caractéristiques, sens et fonctions du logement

Nous avons vu plus haut que le logement - ou « dwelling » en anglais - réfère généralement à une structure physique, à un ancrage primaire dans l’environnement permettant aux individus et aux groupes de remplir certaines fonctions précises. Pour Coolen et Meesters (2004, 2), « the term primary anchor indicates that the dwelling is the operating base that provides shelter and concealment, and the place from which most people undertake activities, explore and experience the world and where they return ». Pour Karjalainen (1993), le terme « dwelling » renvoie au processus selon lequel l’environnement est approprié par l’activité humaine pour devenir un monde vécu. Selon ces derniers auteurs, les travaux de Rapoport, qui intègrent une analyse sémiologique des rapports à l’environnement héritée notamment de la phénoménologie française, de la psychanalyse et du structuralisme lévi-straussien, permettent d’identifier trois niveaux de sens dans les relations pouvant s’établir avec l’environnement bâti, y compris dans sa disposition et les possibilités qu’il offre. Pour Rapoport, la fonction et le sens des rapports au bâti ne sont pas mutuellement exclusifs : le sens fait non seulement partie des fonctions de l’environnement bâti, mais représente généralement sa fonction la plus importante (Coolen et Ozaki 2004, 3). Selon la lecture de Coolen et Ozaki (ibid.), le premier niveau de sens chez Rapoport, qualifié de « haut niveau », fait référence aux cosmologies, visions du monde et systèmes philosophiques que j’évoquais plus tôt dans les recherches sur le chez-soi. Ensuite, les systèmes de sens de « moyen niveau » véhiculent l’identité, le statut social, le niveau socioéconomique, le pouvoir, soit ses fonctions dites « latentes » du « dwelling ». Enfin, les sens de « bas niveau » concernent la vie

quotidienne, par exemple l’accessibilité, la disposition des chaises, le mouvement des objets et autres dans l’espace physique.

Coolen et Ozaki (2004) proposent de mobiliser d’autres travaux de Rapoport pour ajouter à ces différents niveaux de sens trois types de caractéristiques : les caractéristiques fixes, semi-fixes et changeantes. Les caractéristiques fixes, comme leur nom l’indique, bougent peu : plafonds, murs, briques, disposition des pièces. Puis, les caractéristiques semi-fixes peuvent prendre la forme de décorations, rideaux ou de plantes, qui reflètent souvent l’identité des occupants. Enfin, les caractéristiques changeantes, comme les vêtements, les jeux ou le langage, peuvent être employées pour exercer des activités dans certaines zones spécifiques du logement en question. Coolen (2008) propose ainsi de s’éloigner des approches « holistiques » qui ont longtemps dominé les études sur la question, pour se concentrer sur des attributs spécifiques des « dwellings » qui permettent de développer une analyse écologique des rapports personne- environnement.

En quoi cette utilisation des sous-concepts du « meaning of a dwelling » se distingue-t-elle de la majorité des travaux sur le chez-soi ? Dans un rapport de recherche publié par la Delft University d’Amsterdam, Coolen (2008) fait le choix de ne pas utiliser le terme « home » pour plusieurs raisons. D’abord, argumente-t-il, ce concept est trop polysémique et utilisé de manière inconsistante dans la littérature. Comme Mallet (2004, 84) l’évoque, on y retrouve tous les cas de figure et toutes les dichotomies possibles associées à ce terme : le chez-soi peut-être autant perméable qu’imperméable, stable que mobile, étrange que familier, public que privé, lieu d’émancipation que source de violence intime, etc… Puis, selon Coolen et Meesters (2012), l’expression « meaning of home » est intrinsèquement tautologique : si le concept de « home » ou de chez-soi réfère nécessairement à des dimensions symboliques et émotionnelles, il ne sert à rien de spécifier qu’un sens y est conféré, puisque cela va de soi. Coolen (2008) critique également le fait que le terme « home » désigne, chez certains auteurs, à la fois la structure physique et les relations symboliques ou émotionnelles qui y sont attachées, tout en laissant généralement de côté l’analyse des aspects physiques. Finalement, Coolen (ibid., 8) affirme que l’utilisation multi-scalaire de « home » lui confère un sens trop large, difficile à opérationnaliser. Par contre, en suivant Karjalainen (1993), je ne rejetterai pas complètement la notion de chez-soi ou de « home » dans cette thèse. Je vais plutôt la réserver pour traiter rapidement, dans la conclusion, des dimensions émotives intimes associées au logement, qui ne sont accessibles qu’à ses occupants (ibid.).

Avant de terminer cette section, mentionnons que le terme de logement est également utilisé dans les politiques publiques, dans les stratégies générales de l’État en matière d’habitation, en économie, en sociologie et dans les cadres juridiques. On parlera donc de « logements ouvriers », de « logements sociaux », de « droit au logement », de « crise du logement », de « logement locatif privé » ou de « parc de logements » (Gaudreau 2013). L’émergence du concept de logement coïncide, au XIXe siècle, avec l’exode rural et la nécessité des pouvoirs publics de s’assurer que l’offre domiciliaire pouvait abriter un nombre suffisant d’ouvriers et leurs familles tout en assurant sa régulation (Goyer 2017, 9). La mise en place, à la fin du XIXe siècle, de projets statistiques pour dénombrer et qualifier le parc de logement en témoigne. Pour Fijalkow (2012, 3), le logement renvoie incontestablement à une dimension économique, « une marchandise susceptible d’être achetée et vendue ». On peut donc penser le logement comme étant inséré dans un système de production et de consommation (Engels [1872] 2016). Conséquemment, le logement en tant que marchandise peut être caractérisé en fonction de sa localisation, ses dimensions matérielles et son statut d’occupation (Grafmeyer 2010), variables qui influenceront sa valeur sur le marché. Au final, dans les chapitres de données de cette thèse, ce sont principalement les perspectives temporelles en lien avec le logement de même que les rapports au cadre bâti (caractéristiques fixes) qui seront étudiés avec davantage de précision, la plupart du temps à travers le prisme de la relation locative et des effets indirects de la gentrification15.

Une réflexion plus large sur l’influence de ces connexions parfois ambiguës au logement sur les dimensions émotionnelles et symboliques de la construction du sens du chez-soi sera aussi abordée en conclusion.