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CHAPITRE 4 : LA PARTICIPATION CHEZ LES PERSONNES VIEILLISSANTES

4.1 La participation sociale et politique

4.1.1 Définitions et évolutions récentes

Avant toute chose, mentionnons que la participation sociale est un « terme parapluie » (Raymond et al. 2015, 207), qui réfère à une multiplicité de concepts et de phénomènes. Dans sa version minimale, la participation sociale consisterait en « l’engagement de la personne dans des activités en interaction avec les autres dans la société » (Levasseur et al. 2010, cité dans Raymond et al.

2015, 210). Pour Bickel (2014, 207), la participation sociale réfère plutôt à « l'ensemble des activités extérieures au domicile par lesquelles les personnes s'engagent volontairement dans la vie de la collectivité et de ses organisations, espaces communautaires, formes d'expression et évènements ». Gaudet (2012, 2) met également l’emphase sur cet investissement de la sphère publique dans sa propre définition de la participation sociale, mais en rajoutant le don de temps comme caractéristique essentielle du geste : « l’action de contribuer à la collectivité en donnant du temps gratuitement aux organisations et aux individus à l’extérieur de la sphère domestique »46.

Les chercheurs distinguent habituellement la participation formelle de la participation informelle. Ainsi, la participation sociale serait « formelle » quand « les pratiques s’inscrivent dans un cadre organisationnel et prennent appui sur lui » (Bickel 2014, 207). La participation formelle se reconnaît à une implication dans le monde associatif, politique ou bénévole, en somme, dans n’importe quel espace institutionnel. En revanche, la participation sociale serait « informelle quand les activités sont entreprises sur la base de choix, d’investissements et de finalités propres aux personnes, en dehors et sans référence à un cadre organisationnel » (ibid.). Cette dernière catégorie comprendrait donc les activités de loisirs, culturelles ou de sociabilité spontanée, davantage associées aux sociabilités intimes47. Pour Gaudet (ibid., 2), la participation informelle

renvoie à l’entraide, au soutien et aux soins dispensés hors domicile, bref au travail du care. En revanche, cette division arbitraire entre participation formelle et informelle peut poser problème pour analyser les phénomènes de participation, du moins de la manière dont ils se déroulent sur le terrain, dans la densité de la vie sociale. Par exemple, comment décrire une personne vieillissante participant dans les activités d’un parti politique (participation formelle) et qui apporte également du soin à ses collègues (participation informelle) ? Bref, en distinguant participation formelle et participation informelle, ne risque-t-on pas de tomber dans le piège d’une fracture genrée de la reproduction sociale, axée sur une distinction traditionnelle entre sphère publique masculine et sphère privée féminine ? Nous reviendrons sur ce problème important dans quelques pages.

Il semble que la participation dite associative des personnes vieillissantes soit en hausse marquée dans plusieurs pays occidentaux (Delisle et Ouellet 2001; Guillemard 2002, 62; Olazabal et al. 2009; Van Groenou et Deeg 2010). Dans ses travaux, la sociologue Anne-Marie Guillemard

46 Gaudet s’inspire ici des travaux de Godbout sur le don (2007).

(2002, 65) a développé la catégorie typologique de la « retraite solidaire » afin d’identifier et de nommer cette tendance croissante à la participation des retraités dans des structures associatives et bénévoles, mais aussi, simultanément, dans le monde des loisirs, et plus largement dans la « cité » et la collectivité. La « retraite solidaire » témoignerait d’une volonté de maintenir un rôle d’acteur et de citoyen à part entière, autant dans les sphères privées que publiques qui contraste avec la « retraite-retrait » qu’elle avait documentée dans les années soixante en France (Guillemard 2002). Même les baby-boomers vieillissants, qu’on qualifiait il y a peu d’individualistes notoires, semblent participer de manière active à la sphère sociale (Williamson 1998)48. Par

contre, en fonction des données de l’Enquête sociale générale sur l’emploi du temps de Statistique Canada, les chercheurs ont remarqué une baisse des taux de participation entre 1992 et 2005, surtout chez les 65 à 74 ans (Gaudet 2011; Marchand 2016). En fait, les personnes de 55 ans et plus, bien que moins nombreuses proportionnellement à s’engager dans la participation que les cohortes plus jeunes (surtout les 15-24 ans dans le contexte québécois) consacreraient toutefois un plus grand nombre d’heures que ces dernières dans les activités bénévoles (Castonguay, Beaulieu et Sévigny 2016, 127).

Pour Bickel (2014, 209-210), l’accroissement de la participation sociale formelle des cohortes vieillissantes en France au tournant du XXIe siècle reposerait sur des causes multiples, essentiellement « structurelles ». En effet, les caractéristiques sociales de certaines franges plus aisées parmi les cohortes de retraités semblent favoriser leur participation sociale formelle. Toutes choses égales par ailleurs, leur niveau d’éducation plus élevé (surtout dans la cohorte du baby- boom), leur capital économique plus important, leur état de santé plus favorable et les réseaux sociaux étendus qu’ils ont développés sont corrélés positivement avec des taux de participation plus importants. Quéniart et Charpentier (2010, 463) notent également que l’engagement des personnes vieillissantes s’inscrit souvent en continuité avec des trajectoires personnelles, familiales et professionnelles s’étendant sur une fourchette temporelle de plusieurs décennies. Pour Olazabal (2009), chez les personnes vieillissantes les plus jeunes, l’essence de l’identité baby-boomer est justement constituée par les valeurs de la liberté, la facilité de revendiquer des droits, la proactivité et la valorisation du travail, compris au sens large. Finalement, pour Gaudet (2011, 8), cet investissement accru dans la participation durant l’avancée en âge pourrait aussi s’expliquer par des causes dites individuelles, comme certaines motivations ancrées dans un désir

48 Comme l’écrivent Bonvalet et Olazabal (2015, 278), « les recherches récentes sur les baby-boomers ont permis de

nuancer la vision purement individualiste où les logiques sociétaires priment sur les logiques communautaires, où le ‘je’ supplante le ‘nous’ ».

de générativité, c’est-à-dire une volonté de transmission orientée vers les générations descendantes.