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Perméabilité des établissements à l’environnement local

Dans le document Des hommes et des dieux en prison (Page 102-105)

Reproblématisation en administration centrale

Chapitre 3 Laïcités locales

2. Paramètres de la négociation des laïcités locales

2.2. Perméabilité des établissements à l’environnement local

Les établissements ont toujours une part de spécificité irréductible qui, pour étonner les directeurs parfois au stade de leur prise de fonction, ne s’en imposent pas moins à eux comme une donnée lourde. Comme le résume tel membre de la direction, on doit « faire avec ». La plupart des membres de direction rencontrés évoquent bien cet effet « local » qui contredit la représentation de la prison comme des univers autarciques parfaitement imperméables à leur environnement. Ces liens étroits qui unissent un établissement à son territoire ont d’ailleurs été bien mis en perspective (Combessie, 1996).

2.2.1. Impact de la sociologie religieuse des territoires

Particulièrement illustrative à cet égard est la surprise d’un des directeurs se définissant

« athée à 400 % » ayant intégré l’équipe de direction du CD2, ce dernier ayant pour particularité de compter en son sein des religieuses, bénéficiaires d’une convention avec l’AP:

Déjà quand je suis arrivé, je vois les petites sœurs, je me suis dit : « Je les vire ». On m’a dit :

« Attendez, voyez d’abord. » Et maintenant, je ne les virerais pour rien au monde. Elles font un travail exceptionnel. Elles font vraiment partie des murs. Toutes les tâches sont confiées aux sœurs. J’ai halluciné quand je suis arrivé. Maintenant, je n’y couperais pour rien au monde ! Elles nous informent. Ce n’est pas du fait religieux, ça. C’est plutôt une prise en charge humaniste.

Plus que la surprise, ce qui mérite ici d’être souligné est la manière dont ce directeur s’est adapté à cette configuration particulière au point d’y voir un atout et surtout la manière dont il prend acte d’une donnée dictée par le territoire – « ici on est en terre catholique » dit-il. Ainsi que le suggère l’exemple de ce CD2 implanté dans l’ouest de la France, l’impact des territoires et de leur sociologie religieuse4 n’est pas totalement neutre et les établissements sont loin d’être toujours parfaitement imperméables à leur influence. Ledit établissement a, rappelons-le, outre cette présence inédite de religieuses conventionnée par l’AP, gardé intacte sa chapelle (alors que dans la plupart des établissements, la chapelle a été détruite, comme à la MC2, ou affectée à un autre usage comme à la MA3). Leur présence semble aller de soi pour les personnels : certaines surveillantes, filles voire petites-filles de surveillantes ayant travaillé dans l’établissement, affirment avoir toujours connu la présence des religieuses. Elles avancent même que « les sœurs ont toujours été là » (en fait, elles sont revenues dans les années 1950).

C’est également à l’environnement local – l’un des bastions du protestantisme français – que le directeur de la MA2 impute le dynamisme et le caractère particulièrement étoffé des aumôneries chrétiennes de son établissement. Des remarques similaires peuvent être faites au

4 Depuis les travaux de Gabriel Le Bras et du chanoine Boulard (Isambert et Terrenoire, 1983), la sociologie des religions a été sensible à la prise en compte des différences régionales, tant en termes d’appartenance religieuse que de niveaux de pratiques. Voir plus récemment les recherches des géographes Jean-René Bertrand et Colette Muller (2002).

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sujet de la MC1 située en terre de régime concordataire, favorisant par ailleurs l’ouverture de la direction et d’une bonne partie des personnels sinon au fait religieux du moins au fait chrétien. Le poids de cet environnement sur l’ambiance religieuse de l’établissement a été également invoqué, à plusieurs reprises, lors des entretiens pour justifier le caractère non problématique de la gestion du fait religieux au sein de la MA3, établissement situé dans une métropole du sud de la France, très cosmopolite. Les enquêtés ont alors insisté sur trois aspects. Ils ont tout d’abord souligné une forme d’homologie ethno-religieuse entre les personnels et la population pénale (pour une partie issus des mêmes quartiers), homologie dont les effets ont été alternativement évalués selon nos interlocuteurs soit comme un atout (favorisant la communication et la compréhension réciproque) soit comme un handicap (favorisant connivences et collusions). La hiérarchie a pointé les retombées sur l’établissement du mode de gestion du fait religieux au sein cette métropole, ouvert à la reconnaissance des différentes communautés culturelles et religieuses. Cet environnement peut, ainsi qu’en témoigne l’extrait d’entretien avec un des membres de la hiérarchie de l’établissement, aller jusqu’à exercer une forme de contrôle sur l’organisation de la vie religieuse de l’établissement :

Ici les communautés sont très fortes. Dans le cadre des relations avec l’extérieur, la question religieuse est toujours un enjeu sous-jacent. Pour la désignation des aumôniers on a des regards extérieurs. Jusqu’à présent j’avais toujours affaire aux aumôniers régionaux. Ici il y a les réseaux locaux.

- Comment ça se passe ?

- Il m’est arrivé d’être sollicité par des élus pour assister au culte ou venir voir comment ça se passe.

Mais là-dessus je suis d’une extrême prudence. J’attire l’attention sur l’impact que ça peut avoir.

- Qui vous a sollicité ? Les israélites ? - Pas seulement. Les catholiques aussi.

L’impact de l’environnement local peut à l’inverse s’exprimer à travers une neutralisation tendancielle du fait religieux. Un des établissements, situé dans la région Centre, dans un terroir particulièrement et depuis longtemps déchristianisé, en fournit un bon exemple.

L’impact est double. D’une part les aumôneries chrétiennes sont plus discrètes et l’emprise des autorités religieuses locales inexistante. D’autre part, elle se traduit par un engagement plus explicite en faveur d’une laïcité stricte : alors que dans la MA3 on ne trouve nulle trace de la campagne de communication « la République se vit à visage découvert »5, dans la MC3 une affiche d’information à ce sujet est présente dès le sas d’entrée. Fait, il est vrai, qui n’est pas totalement étranger à la nature de l’établissement, puisqu’il s’agit d’une maison centrale.

Dans deux établissements, les membres des directions ont fait référence à un « effet local » pour expliquer certaines de leurs difficultés pour recruter un aumônier musulman, comme en témoigne le directeur de cette maison d'arrêt à propos du sous-équipement de l’aumônerie musulmane :

C’est un problème que j’ai essayé de résoudre mais le problème est local. Il y a des tensions ici entre le CRCM, la mosquée de la ville et l’aumônier régional. Fin juin, j’ai saisi l’aumônier régional pour en parler avec lui mais il m’a répondu qu’il n’avait pas d’aumônier à me proposer. Je ne peux rien faire de plus.

5 Il s’agit de l’affiche avec le buste de Marianne qui porte cette mention « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage » et fait référence à la loi du 11 octobre 2010.

104 2.2.2. Impact de la vie politique locale

L’influence de cet environnement local peut se traduire de manière indirecte à travers la perméabilité des établissements à l’environnement politique local. Outre le lien entre le vote et la religion qui a été démontré par les études de sociologie politique (Michelat et Simon, 1977 ; Dargent, 2010), le vote massif ou faible pour le Front National peut également être une dimension à analyser. Dans la maison centrale située dans l’Est, plusieurs surveillants et gradés ont évoqué le vote massif pour le FN aux municipales de 2007, un vote auquel auraient selon eux contribué nombre de surveillants impliqués sur la commune et ne serait pas sans impact sur la manière dont les surveillants se représentent les musulmans, ce qui peut nourrir le racisme anti-musulman. Le directeur d’un autre établissement y fait également référence lorsqu’on l’interroge sur les problèmes éventuels de racisme : il dit d’un côté qu’il n’a rien à déplorer sur ce point, mais en même temps il fait état de « sa vigilance » eu égard au fait que la commune (sur laquelle est implanté l’établissement) est à droite et qu’aux dernières élections locales, le Front National a remporté 25 % des voix et que dans les communes alentours, le vote FN est élevé. Il parle d’une « ambiance » sur laquelle on se doit d’être vigilant par rapport à une inclination raciste et anti-musulmane.

2.2.3. Prisons des villes, prisons des champs

Ce titre qui fait directement référence à l’ouvrage de P. Combessie (1996) nous permet de montrer combien l’implantation de l’établissement dans une zone urbaine ou rurale n’est pas sans retombées sur la dimension religieuse. Trois situations peuvent être distinguées en fonction de la proximité / distance des villes et de la taille des villes : les prisons « à la campagne », à proximité de petites villes (MC1 ; MC3 ; CD1) ; les anciens établissements situés au cœur des villes (MA3 ; CD2 ; MC2) ; les nouveaux établissements plus fréquemment situés à la périphérie des grandes villes, dans des zones industrielles par exemple (MA1 ; MA2).

Ces situations influent tout d’abord sur les aumôneries. L’accès à l’établissement peut avoir un effet important sur la capacité de mobilisation des aumôneries et sur leur diversité : il est plus facile de faire venir des équipes nombreuses dans les prisons proches de grandes villes que pour les établissements « à la campagne ».

Elles ont, en second lieu, des retombées sur les caractéristiques de la population carcérale et les personnels. Les établissements, généralement des maisons d'arrêt récentes, qui se situent en périphérie de grands centres urbains, s’inscrivent dans des territoires marqués par la problématique des banlieues. S’agissant des maisons d’arrêt, leurs usagers sont en grande partie issus de leur environnement immédiat, la prison s’inscrivant en continuité des quartiers et faisant presque office de « banlieue de la banlieue » si l’on peut dire. Les jeunes détenus côtoient au sein des prisons des connaissances de quartier : le monde du dehors et celui du dedans sont fortement intriqués, comme l’a déjà montré Gilles Chantraine (2004) à propos des trajectoires carcérales en maison d'arrêt ou Léonore Le Caisne à propos des établissements pour mineurs décrits comme une « annexe de la cité » (2009). Comme le dit ce directeur du SPIP rencontré à la MA1, « pour certains habitants de X, la prison c’est un autre quartier de la ville », particulièrement pour les récidivistes qui effectuent des allers et retours fréquents

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entre le dedans et le dehors. Il en résulte une continuité forte entre la sociologie religieuse des banlieues (impactées par une surreprésentation de populations marquées par une socialisation primaire religieuse, ce qui vaut et les populations issues de l’immigration maghrébines et pour celles issues d’Afrique noire ou de l’arc antillais). Remarquons que, dans l’ensemble des établissements, cette donnée qui impacte sans doute l’ambiance religieuse des établissements est faiblement structurante en termes de solidarités entre les détenus. Pour les personnels et gradés, les bandes et territoires d’origine sont des critères autrement plus pertinents de structuration des solidarités collectives.

Ce qui vaut pour les détenus, peut également valoir pour les personnels : l’environnement local peut avoir un impact sur les caractéristiques des personnels des établissements, malgré leur mobilité. Les directions ont régulièrement fait référence au « bassin local de l’emploi ».

Les établissements proches des grandes villes accueillent plus régulièrement des personnels des DROM / COM (Départements et Régions d’Outre-Mer / Collectivités d’Outre-Mer) et des personnels issus du Maghreb, tandis que les établissements situés en zones rurales sont composés de populations de natifs de natifs. De ce point de vue, un contraste est sensible entre les maisons d’arrêt et les établissements pour peine. Les premières, proches des grandes villes, accueillent souvent de nombreux stagiaires, soit une population majoritairement sans religion ou ayant connu une socialisation religieuse très réduite, soit une population issue de familles venues du Maghreb ou des DROM/COM marquée alors par une socialisation religieuse chrétienne ou musulmane, souvent moins sécularisée que les natifs de natifs. Dans les seconds, les personnels sont souvent plus âgés, avec une socialisation plus traditionnellement chrétienne, peu mobiles et localement installés. La présence de personnels de religions différentes ou sans religion a bien des effets, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, sur les représentations (plutôt positives ou plutôt négatives) de la religion des détenus et sur leur manière de gérer – avec ou sans références religieuses – leur étage.

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