• Aucun résultat trouvé

Une offre cultuelle inégale

Dans le document Des hommes et des dieux en prison (Page 85-89)

Reproblématisation en administration centrale

Chapitre 3 Laïcités locales

1. Variations locales pour la religion

1.1. Une offre cultuelle inégale

Au-delà d’héritages historiques qui laissent parfois des traces dans l’architecture religieuse (voir chapitre 1) et dont on ne saurait bien évidemment déduire des politiques d’éta-blissements en matière religieuse, on observe des différences notables en matière d’infrastructures cultuelles. Ces différences sont pour partie tributaires des configurations immobilières propres à chacun des établissements construits à des périodes différentes.

On peut ainsi distinguer trois principales configurations allant d’une absence de salle dédiée au culte à la présence de plusieurs salles de culte, dont parfois même une chapelle, en passant par des salles polycultuelles.

Notre échantillon présente à cet égard une diversité de cas représentative du dégradé des situations locales. Si l’on situe ce dégradé sur un axe allant d’une offre de salle de culte

86

minimaliste à l’offre la plus étendue, on trouve aux extrêmes la MA1, la MA3, le CD1 d’un côté et le CD2 de l’autre. Dans le CD1, c’est le gymnase / salle de spectacle qui, de manière intermittente, fait office de salle de culte au bénéfice alternativement des cultes catholique et protestant, les célébrants disposant d’un petit réduit insalubre d’à peine un mètre carré pour entreposer les objets nécessaires à la liturgie. Dans la MA3, la configuration est presque similaire : le culte se tient dans la salle dite « polyvalente », une salle refaite à neuf il y a peu disposant d’une estrade pour accueillir les spectacles et dans lesquels demeurent batteries et autres instruments destinés à l’activité musique proposée par l’établissement. À la MA1, il s’agit d’un gymnase (toujours propre lors de nos observations) qui permet d’accueillir pour le culte jusqu’à 80 personnes. Dans le même couloir, se trouvent le bureau commun aux pour les jeux de sports collectifs. Un panier de basket. Le plafond est tendu d’un filet, destiné sans doute à éviter que des ballons perdus ne viennent se nicher entre les poutrelles de bétons qui soutiennent le plafond. La salle est propre. Une scène d’une dizaine de mètres jouxte le mur du fond. Des rideaux noirs de part et d’autre suggèrent que la salle polyvalente alterne entre salle de sport, salle de culte et salle de spectacle. Les murs sont peints en blancs. Des poutres le sont en violet-rose.

Lorsque j’arrive, presque tous les détenus sont arrivés. Ils sont en train de s’installer. Devant la scène, comme point focal a été dressée une reproduction du Christ jaune de l’école Pontaven de Gauguin de quelques 3 mètres sur 1, 50 m (environ). Ses couleurs vives égaient l’espace et captent immédiatement l’attention. Devant lui a été disposé un petit autel recouvert d’une petite nappe blanche brodée à la malgache. Sur la scène, il y a la patène, les flacons destinés à la célébration de l’Eucharistie. Des chaises ont été placées selon une série d’arc de cercle de part et d’autre d’une allée centrale donnant sur l’autel et le Christ. Il y a 5 rangées de chaises pliantes, multicolores (jaunes, rouges et blanches) et souvent en mauvais état, si bien qu’il m’est conseillé de veiller à l’état de la mienne… Des feuilles vertes sont distribuées sur lesquelles figurent les chants et textes du jour.

(Première lecture : Femme vaillante du livre des Proverbes ; seconde lecture : épître de Paul aux Thessaloniciens sur la « crainte de Dieu »; Évangile : la parabole des Talents de Matthieu). (extrait de compte-rendu d’observation culte, CD1)

J’arrive dans la salle polyvalente. Fraîchement refaite et repeinte en gris, sa propreté contraste avec le couloir et ses murs défraîchis et lépreux qui y conduisent. Lorsque j’y pénètre, les détenus ne sont pas encore arrivés. Ne sont là que les prêtres et laïcs de l’équipe aumônerie. Arrivée trop tard pour assister à la préparation de la salle… Mais déjà elle a été transformée en lieu de culte. Un autel a été dressé. Une table carrée : nappe blanche. Une petite icône de la Vierge. Une bougie sur une lampe à huile. Une pierre d’autel, la Bible ouverte aux lectures du jour. Le feuillet préparé pour la célébration avec quelques illustrations dont une réalisée par un détenu Maori. Derrière, sur l’estrade en surplomb, un banc a été tiré dans l’axe de l’autel. Dissimulé par une nappe rouge de style basque, il sert de promontoire à la croix un peu bancale réalisée par le père Pierre. De l’état inerte où je l’avais aperçue dans le local aumônerie, couchée sur un banc, la voilà qui reprend sens et vie le temps d’un culte. Au fond de l’estrade, la batterie recouverte de couvertures, des cartons, des sacs. Au-dessus, perchées : les grosses caisses. Autant de traces de la polyvalence d’une salle qui, lorsqu’elle ne sert pas au culte, fait office de salle de musique et de spectacle. À droite de l’estrade sur une petite table a été disposé tout l’attirail pour célébrer l’Eucharistie : calice, ciboires, hosties à consacrer et autres burettes nécessaires à l’accomplissement des rituels liturgiques. Les bancs ont été disposés perpendiculairement à l’autel de manière à ce que l’assemblée fasse cercle autour. Deux rangées. Au fond de la salle sur une table l’équipe pastorale a disposé des brochures, Magnificat et Prions en Église. Le dispositif est en place. Quelques objets et la modification de la disposition des chaises ont métamorphosé la salle en lieu cultuel. (extrait de compte rendu d’observation culte, MA3)

Le CD2, à l’inverse, est l’établissement le mieux doté en salles cultuelles puisque chacun des cultes dispose d’une salle dédiée. Le culte catholique bénéficie de surcroît d’une situation

87

privilégiée. Il a la jouissance exclusive de la vaste chapelle présente dans l’établissement. Les autres cultes, représentés dans l’établissement (protestant, musulman et juif), moins favorisés, sont dotés chacun de locaux banalisés d’une vingtaine de mètres carrés, au premier étage de la détention.

Vaste chapelle

La vaste chapelle, dont l’architecture est typique du XIXe siècle, est divisée en deux espaces : un espace accueil où se trouvent des tables où ont lieu les activités de groupe et un espace liturgique à proprement parlé. Il y a également un grand bureau à l’entrée. On compte une vingtaine de grandes fenêtres en arc en hauteur sous lesquelles sont représentés des tableaux figuratifs des différentes stations du Chemin de croix. Les murs peints en marron sont fatigués mais l’espace liturgique est immense : trois rangs d’une douzaine de larges bancs sont alignés, réservés d’un côté aux détenues du CD, de l’autre aux détenues de la maison d'arrêt afin d’éviter toute communication entre elles. Un autel en marbre, placé sur une estrade, est surplombé d’une immense fresque représentant une grande croix au milieu des anges. De nombreuses statues de la Vierge à l’enfant en bois ou en plâtre de facture sulpicienne sont présentes à côté d’un piano à queue. Plusieurs porte-cierges et un cierge Pascal, allumés, entourent un autre autel en bois plus proche des bancs. Tous les accessoires du mobilier liturgique catholique sont présents : deux confessionnaux, un ambon, deux bénitiers, un crucifix. (description de la chapelle, CD2)

Entre ces deux configurations, se trouvent les établissements équipés d’une salle polycultuelle (MC2, MC3) ou de plusieurs salles (MC1, CD2). Dans la MC1, il y a une salle dédiée aux cultes chrétiens (catholique et protestant) et au culte musulman, les uns et l’autre bénéficiant de salles fraîchement repeintes de taille quasi équivalente (vingt mètres carrés environ pour les premiers, quinzaine de mètres carré pour les seconds).

Une salle pour les chrétiens, une salle pour les musulmans

Nous arrivons à la salle de culte des aumôneries catholique et protestante au terme de la visite de l’établissement avec une jeune femme gradée qui a été chargée de cette mission.

La salle se trouve au socio. Le socio tranche avec le reste de l’établissement. Lorsque nous accédons à l’étage, le contraste est immédiatement saisissant. Les murs sont revêtus de fresques et de trompe-l’œil qui, aussi naïfs et maladroits soient-ils, confèrent à cet espace un peu de chaleur et de convivialité. Comme s’il y avait ici un peu plus d’humanité qu’ailleurs. Le surveillant socio, dans sa cabine, nous est présenté. Un grand gars d’une trentaine à peine, le visage rond, les yeux fendus évoquant un type un peu centre-asiatique, les cheveux sombres.

Avenant, presque débonnaire, il nous accueille et nous conduit jusqu’aux salles de culte. Particularité de l’établissement : il y a une salle pour les aumôneries chrétiennes, une salle pour l’aumônerie musulmane. La première est légèrement plus grande que la seconde.

La salle de prière musulmane est rectangulaire. Elle doit faire à peine 15 mètres carrés. Elle est lumineuse grâce aux fenêtres qui donnent sur une cour de promenade. Une moquette rouge. Un tapis de prière plié en deux en biais dans le coin à gauche semble tenir lieu de quibla de fortune. Un drap gris avec des motifs rouge-orangé est jeté sur le sol en travers de la salle : il s’agit d’un drap permettant de pénétrer dans la salle sans avoir à se déchausser pour le barreaudage nous explique le surveillant.

Au fond de la salle il y a une table avec quelques Corans et ouvrages pieux. Une machine à café aussi.

Sur le tableau d’affichage : un calendrier de prière surmonté d’une photo de la mosquée el Baraka d’E. et d’un petit appel à don en sa faveur, ainsi qu’un document d’une dizaine de pages intitulé « 60 actes méritoires et expiratoires » (sic !)

Sur le mur d’en face : un tableau blanc avec des feutres suggérant que des cours de religion ou d’arabe se tiennent dans la salle de prière.

Le surveillant socio nous parle des ablutions qu’il n’est pas très commode de faire compte tenu de l’éloignement des sanitaires et de leur caractère exigu. « Ils préfèrent faire du coup leurs ablutions en cellule ». Il explique que les détenus laissent leurs chaussures dans le couloir, ce qui facilite le comptage dit-il encore. Il me rappelle d’ailleurs gentiment à l’ordre car je suis entrée sans me déchausser pour lire les documents affichés sur le mur. Il s’excuse presque de le faire en expliquant que c’est pour des raisons d’hygiène. Je m’agace

88

intérieurement de mon manque de délicatesse… Comment ai-je pu être aussi peu attentive ? Il me semble percevoir que le surveillant a été un peu surpris par cette absence de respect d’un lieu religieux. Un musulman peut-être.

En comparaison de la salle de prière islamique, la salle de culte des chrétiens dont l’entrée se trouve dans le même couloir semble à la fois plus vaste et plus « habitée ». Une indication sur la porte signale la vocation de la salle. Elle doit avoisiner les 20-25 mètres carrés. Rectangulaire, elle est, elle aussi, lumineuse, puisque le mur du fond est à demi vitré (y figurent quelques décalcomanies d’icônes). Même point de vue que celui de la salle de prière musulmane sur la cour.

L’autel est placé dans le coin droit, en biais, comme le tapis de prière plié en deux indiquant la direction de La Mecque. Sur l’autel : un bouquet de roses qui seront distribuées aux participants à l’issue du culte (les détenus tiendront même à ce que Caroline et moi en soyons gratifiées), une croix, une pierre d’autel, le ciboire, un bol avec des hosties. Des bougies. À gauche, sur une table : une statue de la Vierge à l’enfant de 70 cm.

Devant, un bouquet de blé dans un vase de poterie jaune.

Le mur est décoré d’affiches diverses et de reproduction de tableaux religieux dont plusieurs grands Christ.

On retrouve les photos de l’abbé Pierre et de sœur Emmanuelle, vue dans d’autres locaux aumônerie, des exemplaires de Prions en Église sont disposés sur une petite table au pied de l’autel.

À gauche de la porte, il y a une armoire administrative de fer gris : « Armoire aumônerie », qui est située tout près de la porte d’entrée. Tout le matériel nécessaire au culte voisine avec le matériau audio. Pendant la célébration de la messe à laquelle nous assistons, un détenu, Lucien, un ancien d’Ensisheim, là depuis 24 ans, est préposé à l’animation musicale : il se charge de mettre le CD sur le chant qu’il faut chanter. Sur le mur du fond, juste à gauche de la porte, il y a des porte-manteaux auxquels sont suspendues les aubes pour la célébration. À droite de la porte, quelques rayonnages de bibliothèque en hauteur, sur lesquels s’entassent de la littérature religieuse, des exemplaires de la Bible, des Évangiles, des livres d’édification religieuse et autres. Des chaises sont disposées en rond, une quinzaine tout au plus. L’autel ferme le cercle.

Cette disparité de l’offre cultuelle s’exprime également par une offre d’aumônerie plus ou moins présente et étoffée selon les établissements. Trois configurations ont pu être observées ; soit les aumôneries agréées par l’AP sont bien représentées en qualité et en nombre (généralement en maisons d'arrêt) ; soit les grandes religions sont essentiellement représentées par un seul intervenant (CD2) ; soit une ou deux religions ne sont pas représentées (CD1, maisons centrales).

La comparaison entre la MC3 et la MA2 témoigne de l’amplitude de l’écart possible.

Dans la première, l’offre d’aumônerie est restreinte, reposant pour l’essentiel sur le laïc, aumônier catholique en titre, lequel officie seul et fait quelques visites en cellule deux après-midi par semaine au maximum. L’aumônier protestant, peu présent, se contente le plus souvent d’animer le culte (une fois par mois au plus). Après une longue période de vacance du culte islamique, un nouvel aumônier musulman venait d’être agrémenté lorsque nous sommes passées dans l’établissement. En cours d’installation, il ne venait alors qu’une fois tous les quinze jours pour célébrer le culte. Le culte musulman étant sectorisé, les détenus musulmans ne se voient au final offrir qu’un culte mensuel. À l’inverse, à la MA2 l’ensemble des cultes (catholique, protestant, islamique) sont pourvus d’une aumônerie, le rabbin venant à la demande. Les équipes – surtout les aumôneries chrétiennes – nettement plus étoffées et présentes que celles de la MC3, circulent beaucoup en détention et proposent un grand nombre d’activités.

89

4 laïcs 1 pasteur libriste pas d’imam pas d’aumônier local attentivement les dizaines de tableaux qui se succèdent dans un vaste couloir, long de plus de

Dans le document Des hommes et des dieux en prison (Page 85-89)

Documents relatifs