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Des aumôniers simples collaborateurs occasionnels du service public 12

Dans le document Des hommes et des dieux en prison (Page 43-46)

Chapitre 1 Laïcité carcérale

2. Au regard d’une comparaison internationale, les effets cependant limitatifs de la laïcité pénitentiaire la laïcité pénitentiaire

2.2. Des aumôniers simples collaborateurs occasionnels du service public 12

La présence d’aumôniers varie beaucoup selon les différents pays d’Europe, en nombre, en statut, en degré de représentativité de leur communauté religieuse, en degré d’intégration à l’administration pénitentiaire (Beckford, 2011).

Familier des situations anglaise et française, Jim Beckford note avec humour que sur cette question du statut des aumôneries « la Manche n’a jamais paru si large »13. En Angleterre et au Pays de Galles, non seulement les aumôniers sont nombreux mais surtout ils font partie intégrante de l’administration : ils sont « civil servants », c’est-à-dire fonctionnaires. Les prisons anglaises ou galloises comptent ainsi de nombreux aumôniers employés à plein-temps ou à temps partiel par la prison (Ibid.). Choisis par leurs autorités religieuses « de tutelle », ils sont formés par les services pénitentiaires. Ils prennent part aux différents organes de l’administration ainsi qu’aux les délibérations relatives au suivi de peines des détenus (Beckford, Gilliat, 1998). La France forme à l’inverse, principe de séparation oblige, un exemple paradigmatique d’un pays où « l’assistance religieuse et spirituelle aux prisonniers est largement laissée à la discrétion des organisations religieuses et des bonnes volontés. Dans ces cas-là, le processus de sélection, de formation et d’orientation est beaucoup moins formel » (Beckford, 2011). L’administration n’intervient que très marginalement et depuis récemment dans la formation des personnels d’aumônerie (voir chapitre 8).

Pour rejaillir faiblement sur le nombre des aumôniers recensés dans les deux pays, le régime de laïcité n’en exerce pas moins ses effets sur le statut et le niveau de rémunération des aumôniers de part et d’autre de la Manche.

En 2010, 357 aumôniers employés à plein temps ou à mi-temps par l’administration pénitentiaire étaient recensés en Angleterre et au Pays de Galles.

anglicans musulmans catholiques protestants de l’Église libre

sikh hindouistes total

134 92 50 50 2 2 357

Source : the Cardiff Centre for Chaplaincy Studies Research Director : The Rev’d DAndrew Todd Researcher : Dr Lee Tipton June 2011

12 Voir Sevaistre, 2004.

13 Remarque faite lors d’un atelier que nous avons organisé 29 septembre 2011 dans le cadre de cette recherche.

« Les dieux emprisonnés - Atelier européen sur la religion en prison » à l’ENS de Cachan.

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Le nombre d’aumôniers bénéficiant de vacations ou non rémunérés est plus difficile à déterminer. Leur nombre oscillerait, toujours pour 2010, entre 700 et 800 représentants, un large éventail de dénominations et de croyances. Les uns et les autres officient dans les 136 établissements pénitentiaires d’Angleterre et du Pays de Galles (84 409 prisonniers en 2010 selon les statistiques du ministère de la Justice)14.

Le statut professionnel privilégié des aumôniers explique l’attractivité de l’administration pénitentiaire pour les jeunes cadres de l’islam. Les imams, dont la logique de professionnalisation en Grande-Bretagne est plus prononcée qu’en France, tendent à délaisser les mosquées au profit des postes plus rémunérateurs (trois fois plus) offerts par l’institution carcérale. Au point que cette dernière est parfois accusée de capter à son profit « la crème » des cadres religieux musulmans. Cette intégration de la fonction d’aumônier à l’institution n’est toutefois pas sans contrepartie : les standards d’action ne sont plus définis exclusivement par les autorités religieuses mais en coopération avec les autorités pénitentiaires qui assurent en partie la formation des aumôniers.

En France, le nombre d’aumôniers tient à première vue la comparaison avec l’Angleterre et le Pays de Galles. En 2010, la DAP recense ainsi 1298 personnels cultuels dont 397 rémunérés et 901 bénévoles (dont 215 auxiliaires d’aumônerie). La répartition selon les confessions est la suivante :

catholiques protestants musulmans israélites orthodoxes divers

702 308 134 97 13 44

Encore faut-il préciser que ces chiffres ne renvoient ni aux mêmes durées de présence, ni aux mêmes niveaux de rémunérations, ni aux même statuts : l’enquête a révélé que certains aumôniers rattachés à un établissement peuvent ne pas y mettre les pieds pendant de longs mois, soit parce qu’aucun détenu ne fait de demande pour les rencontrer, soit parce qu’étant bénévoles ils ne se considèrent que comme une force d’appoint lors des temps forts du calendrier liturgique notamment. D’une part, il n’existe pas à proprement parler de statut des aumôniers de prison et ces derniers ne sont considérés que comme des « collaborateurs occasionnels du service public pénitentiaire » (Sevaistre, 2004). D’autre part, seule une minorité bénéficie d’une indemnisation, très inégale selon les cas. Le niveau de ces indemnités est très modeste et n’a rien de comparable avec la rémunération de leurs homologues britanniques. Pour un aumônier en établissement pénitentiaire indemnisé à temps plein, le montant s’élève au maximum à 800 euros. À défaut de disposer d’éléments de comparaison, la ligne budgétaire affectée à l’aumônerie de prison donne un aperçu de la modicité des moyens destinés à rémunérés les personnels d’aumônerie. En 2008, le budget

14 En 2010, selon les sources du ministère de la Justice, la répartition confessionnelle des détenus donne à voir 49 % de chrétiens, 12 % de musulmans, 2 % de bouddhistes et 35 % de sans-religion. The main purpose of the prison chaplaincy service in England and Wales, as outlined in the Prison Rules (1999) and PSO 4550, is to support and serve the religious needs of the prison population. Source : the Cardiff Centre for Chaplaincy Studies Research Director : The Rev’d DAndrew Todd Researcher : Dr Lee Tipton June 2011

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dévolu à l’indemnisation des aumôniers, en augmentation par rapport aux années antérieures, s’élève à un peu plus de 2 millions d’euros, réparti comme suit :

crédits alloués

catholiques israélites protestants musulmans orthodoxes total

2013 1 160 000 186 443 442 522 479 081 9 786 2 044 176

Source (2013, projet de loi de finances Sénat)

Les réactions du président de la Commission aumôneries du CFCM à l’exposé de la situation britannique lors d’une journée d’études consacrée à l’aumônerie musulmane en Angleterre15 illustrent l’étonnement que peut susciter chez un aumônier français, de surcroît musulman, la prise de conscience de ce qui les sépare de leurs homologues d’outre-Manche :

Lorsque j’entends décrire la situation anglaise, pour moi, c’est du rêve… On est dans une autre planète.

La situation en France, elle est complètement différente. On a nommé un aumônier national musulman, mais il n’a aucun budget… On n’est pas nombreux. Seuls 80 aumôniers reçoivent une rémunération qui est bien modeste. Nous, on a bien du mal à trouver des candidats pour l’aumônerie. Personne ne se présente…

2.3. Un mode spécifique d’action des acteurs religieux dans le domaine de la réinsertion Une autre marque de fabrique de la laïcité pénitentiaire consiste dans les modalités d’intervention des acteurs religieux dans le domaine de la réinsertion. Les rapports d’activités de la DAP, lorsqu’ils évoquent la question cultuelle, le font sous la rubrique générale de l’« inscription des publics dans les politiques sociales et d’insertion ». Dans le CPP, nombre des dispositions relatives à l’aumônerie et au libre exercice du culte en prison figurent au titre de la préparation à la réinsertion sociale des détenus (Liwerant, 2006). Ces dispositions réglementaires se rapportent pour l’essentiel aux procédures d’agrément, aux modalités d’organisation des rapports entre les aumôniers et le détenu et à la vie cultuelle. Suggérant que cette intervention de l’aumônerie favorise la réinsertion, ils ne réfèrent cependant aucunement à des actions concrètes des acteurs religieux spécifiquement axées sur cet objectif, laissant à des associations plurielles le soin de mettre en place des actions plus spécifiquement sur le maintien des liens sociaux, sur l’hébergement des sortants de prison, sur la formation professionnelle ou sur l’accès à l’emploi. Si chaque aumônerie peut travailler en lien avec des partenaires privilégiés, il n’est cependant pas organisé structurellement un programme coordonné d’action globale et continue de « réinsertion » qui prépare le détenu, parfois plusieurs années avant sa sortie, à son retour à la vie civile et l’accompagne sur la longue durée à sa sortie de prison. Cette conception de la participation de la religion à la réinsertion n’a de ce point de vue strictement rien à voir avec celle qui peut prévaloir notamment dans les pays d’Amérique du Nord, où les faith-based prison programs (activités promues par les associations religieuses) connaissent un essor considérable depuis l’administration Bush (Sundt and Cullen, 2002 ; Byron 1994 ; Kent, Matthews, Blanchard 2005). Impulsés à la demande de l’État fédéral, ces programmes consistent ni plus ni moins en une délégation à des acteurs religieux de la mission de la peine de prison. Les

15 À l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (IISMM, EHESS), le 29 mars 2010.

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organisations religieuses prennent ainsi en charge les détenus (qui le demandent) sur ce point de leur incarcération à leur sortie et poursuivent ce suivi même dans la phase post-carcérale.

On retrouve là une expression symptomatique de la force du lien qui perdure dans la pénologie américaine entre religion et réhabilitation (Ignatieff, 1978)16. L’idée que la religion protège contre le crime et la délinquance17 continue de perdurer même si la preuve est loin d’être faite et que l’efficacité des programmes18 reste discutée visant à évaluer le lien entre religiosité, crime et sortie de la délinquance. De manière symptomatique, il s’agit d’une problématique à peine investiguée en France19 où, d’ailleurs, se prévaloir de sa religion comme un gage de redressement moral n’a pas, dans la remise des peines, les effets positifs qu’on leur prête outre-Atlantique.

Dans le document Des hommes et des dieux en prison (Page 43-46)

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