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Penser la multidimensionnalité de l’espace rural : le paradigme des « systèmes d’activités »

des espaces d’activités, des territoires d’action

5. Les espaces de production des pratiques pluriactives

5.1. Penser la multidimensionnalité de l’espace rural : le paradigme des « systèmes d’activités »

5.1.1. Du « système de production » aux « systèmes d’activités »

Considérée comme la première activité du monde rural, l’activité agricole tient une place prépondérante dans les études qui tentent de comprendre les dynamiques qui le caractérisent et le font évoluer. Elle est à ce point centrale qu’elle y constitue la plupart du temps un axiome. Point d’étude rurale qui ne se penche sur la sphère agricole. Si l’on considère plus spécifiquement le cas des études du milieu rural africain, comme nous l’évoquions en introduction de ce travail, il est clair que la majorité d’entre elles restent très marquée par la « doctrine du paysannat » (Chauveau, 1997), dominante dans la pensée et les discours communs des institutions de développement.

Cette conception relève d’une tradition de penser l’espace rural comme « espace de production » lié à la terre « à la fois territoire et ressource » (Retaillé, 2007). Même si de nombreux travaux, plus particulièrement en géographie, sont sensibles à la nécessaire requalification de l’espace rural, la tradition « agrarienne » se perpétue, avançant masquée par les idéologies et les approches compréhensives (Chauveau, 1997).

Même dans des groupes de recherche pluridisciplinaires (Gastellu et al., 1994), l’approche « système de production » est largement privilégiée. Considérant les populations rurales comme « paysannes », son postulat est également très souvent sous-jacent dans les projets de développement dans les pays du Sud. Pour ne citer que les travaux les plus récents ou quelques uns des plus connus, qu’il s’agisse d’autosuffisance alimentaire (Kermel-Torres, Roca, Bruneau, Courade, 1987), de la problématique foncière (Lavigne-Delville, 1998 ; Blanc-Pamard, Cambrézy, 1995), du développement (Olivier De Sardan, 1995), ou de la ruralité (Gastellu, Marchal, 1997), on ne traite la pluriactivité que de manière périphérique.

Les notions d’« activité » et de « pluriactivité » n’y sont que mal définies. La pluriactivité n’est pas l’objet principal de recherche de ces études sur le milieu rural africain et quand elle intervient, elle y est le plus souvent réduite à une vague entité permettant la reproduction des « systèmes de production ». Même si ces auteurs sont tous attentifs la considérer comme importante, il n’en demeure pas moins que l’activité agricole reste la clé d’entrée quasi exclusive, la raison d’être des sociétés rurales africaines.

L’équipe de recherche de Jean-Luc Paul et Antoine Bory est la seule équipe qui, à notre connaissance, insiste sur l’aspect central de la pluriactivité comme mode de gestion des familles en milieu rural et estime que la notion de « système de production » comme outil d’appréhension du réel, n’a pas valeur heuristique et nécessite d’être élargie en vue d’intégrer la dimension des autres sphères d’activité. Plus précisément, Jean-Luc Paul et Antoine Bory proposent d’utiliser un concept opératoire qui rende compte de l’ensemble des stratégies d’une famille en milieu rural, le chercheur devant se dégager du strict « système de production agricole » et privilégier un regard plus englobant qui considère l’agriculture comme un sous-système, certes souvent prépondérant mais pas toujours (Paul, Bory, et al., 1994). Ils ont ainsi défini le concept de « système d’activité » qui apparaît lors du symposium international de Montpellier portant sur les Recherches-système en agriculture et le

développement rural, en 1994. Celui-ci aide à lire le monde rural au travers d’un paradigme

élargi et permet l’adoption d’une vision plus complexe et plus nuancée de la vie des ménages en milieu rural. Le schéma, page suivante, issu de leur communication, synthétise leur démarche et détaille l’outil conceptuel conçu pour appréhender la multidimensionnalité de l’espace rural.

Cette approche innovante a le mérite de déplacer l’axiome des études en milieu rural et de considérer un « nouvel » objet : la pluriactivité. Proposée au terme d’une série d’études en milieu rural guyanais, la démarche théorique construite par cette équipe est cependant inféodée aux impératifs fixés par le commanditaire des travaux qu’ils ont menés. En d’autres termes, ils cherchent à situer l’activité agricole par rapport aux autres activités des familles dans la mesure où le « niveau privilégié d’intervention » reste celui du domaine agricole et que leur action doit se situer, in fine, dans cette seule sphère d’activité (Paul, Bory, et al., 1994). La relation de clientèle entre bailleurs et chercheurs oblige ces derniers à opérer dans

le secteur agricole alors qu’ils insistent sur la nécessité de repenser le domaine de cohérence des décisions familiales.

Figure 16 : Schéma de fonctionnement simplifié des systèmes d’activité de l’ouest guyanais. Réalisation Paul, Bory et al., 1994

5.1.2. Et si le monde rural n’était plus le domaine de la seule paysannerie : pour un paradigme renouvelé

Il est évident que l’activité agricole est incontournable. Elle est à la fois un marqueur du paysage, elle est aussi l’expression des luttes pour le pouvoir : la maîtrise foncière étant intimement liée aux statuts sociaux de chacun dans la communauté (on parle bien du lignage fondateur en ces termes : « le maître des terres »). L’agriculture donne à voir le social en acte dans le temps et surtout dans l’espace. L’étude du foncier rural matérialise, cristallise ce rapport originel à la terre. De la part des ménages, il est le creuset de stratégies pour assurer leur présence et leur permanence au sein de la communauté.

Cependant, cet axiome relègue à la marge des pans entiers de l’espace social en le cantonnant au terroir villageois. La question de la pluriactivité, l’approche par les « systèmes d’activités », remettent en cause la distribution, la ventilation (spatiale) de l’exercice des activités, des stratégies et des pouvoirs. Sans pour autant négliger la part importante que représente au sein du jeu de la complémentarité l’activité agricole, notre perspective oblige à considérer que chaque activité dans laquelle un ménage ou un individu du ménage s’investit est révélatrice de son rapport à la société, de son statut au sein de la communauté, de ses « capabilités » (Sen, 2003). Nous l’avons montré par nos analyses dans la seconde partie de ce travail. L’activité agricole doit être comprise et appréhendée comme une activité parmi d’autres pour lesquelles les individus donnent du temps et s’organisent de diverses manières en fonction des liens et réciprocités qu’ils entretiennent avec leur famille, leur lignage, et en fonction de la marge de manœuvre dont ils disposent au sein de leur ménage.

Le terroir villageois, espace/support de toutes les actions de développement entreprises dans les pays du Sud ne peut être considérée comme le seul espace de production des communautés, des ménages et des individus du ménage. Intégrer une multidimensionnalité spatiale dans les actions de développement, suppose au préalable d’identifier et de proposer une typologie des différents espaces de production. L’identification de ces espaces implique d’aller à la rencontre des acteurs, de cerner leurs pratiques collectives, individuelles, de les localiser et d’en proposer un modèle. Ce dernier devrait permettre une meilleure

compréhension des imbrications et superpositions spatiales que fabriquent les pratiques pluriactives.

5.2.

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