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Une brève histoire et les données actuelles du peuplement des côtes de Guinée

1. Un contexte de recherche, des logiques imbriquées

1.2. De la zone d’étude aux sites-pilote

1.2.1. Pluralité de milieux et groupes sociaux hétéroclites

1.2.1.2. Une brève histoire et les données actuelles du peuplement des côtes de Guinée

Une brève histoire car la Guinée Maritime a connu de nombreuses vagues de migrations depuis le XIIIème siècle et malgré l’important travail des historiens, des anthropologues et des linguistes19, les pistes les plus probables quant à leurs origines restent néanmoins des hypothèses. Remonter le temps dans des sociétés de tradition orale n’est pas une tâche aisée et nous ne souhaitons pas ici alimenter le débat. Il est par contre nécessaire pour affermir notre propos de présenter ces groupes sociaux hétérogènes, d’exposer les grands traits anthropologiques qui fondent leurs spécificités. C’est en regardant dans le passé que l’on appréhende une part de ce qui se joue dans le présent : la Guinée Maritime, zone refuge depuis plusieurs siècles, où l’« on ne saurait distinguer où commence la terre, où finit l’eau » (Peaulme, 1956), entrelacs d’îles et de multiples recoins, a été et est encore une région de contrastes culturels marqués.

Il pourrait s’agir d’un même groupe d’hommes qui aurait quitté les hauts plateaux du Fouta-Djalon et se serait ensuite séparé en arrivant sur les contreforts (Hair, 2000 ; Ferry, 2000 ; Sarro-Maluquer, 2000). Plusieurs régions des côtes furent ainsi investies, par vagues successives et ce probablement jusqu’au XVIIIème siècle. Le groupe de départ s’est scindé en plusieurs petits groupes qui se sont ensuite autonomisés culturellement formant les sociétés baga, nalou et landouma. L’hypothèse selon laquelle ils proviendraient au départ d’un même groupe a été émise par les linguistes (Ferry, 2000) qui ont repéré en étudiant les corpus linguistiques de ces trois sociétés des similitudes suffisantes pour confirmer une racine commune.

19 Les contributions sur le sujet de Bruce L. Mouser (Mouser, 1971 (thèse non publiée), 2000), Ramon Sarro

Maluquer (Sarro-Maluquer, 2000), Paul E.H. Hair (Hair, 2000), Marie-Paule Ferry (Ferry, 2000) et Stéphane Bouju (Bouju, 1994) sont parmi les plus riches.

Les Baga sont subdivisés en quatre groupes distincts qui se répartissent le long du littoral. Du Nord au Sud de la côte, on trouve les Baga Mandouri sur la rive Nord de l’estuaire du Nuñez ; les Baga Sitemou autour l’estuaire du Rio Kapatchez, dont le village de Bigori est le fief historique et probablement le plus ancien des villages fondés dans cette zone (Sarro, 1999 cité par Lehmann, 2004) ; les Baga Fore que l’on rencontre de Tougnifily à l’estuaire du Pongo ; et les Baga Kaloum localisés aux environs de la capitale Conakry.

Les Nalou se subdivisent en six groupes linguistiques (Schoeni, 2003). Trois d’entre eux occupent une grande partie des îles frontalières de la Guinée Bissau au Nord et les trois autres groupes sont localisés sur l’estuaire du Rio Cacine en Guinée Bissau.

Les Landouma quant à eux se sont installés plus à l’intérieur des terres en amont de l’estuaire du Nuñez, aux environs de Boké.

Les traditions orales de ces sociétés (baga, nalou ou landouma), connues par les récits recueillis par les anthropologues et les historiens, rendent systématiquement compte d’un ancêtre commun, fondateur du « village » et dont la descendance en ligne patrilinéaire est actuellement considérée comme le lignage fondateur, le « maître des terres ». « Parmi les différents récits recueillis, certains font également mention de la présence d’un second personnage, qui accompagne le premier et le conseille dans les actions qu’il doit mener à bien. Ce deuxième protagoniste est décrit comme un spécialiste des rapports avec les entités surnaturelles. Il ne devient pas « maître des terres », renonçant à cette prérogative au profit de son compagnon, mais il représente l’aïeul d’un lignage associé à celui du maître des terres, dont la fonction rituelle et la participation aux décisions sont incontournables » (Schoeni, 2003). Ces récits de fondation, rencontrés dans les sociétés les premières installées sur les côtes guinéennes, constituent « un instrument important de la reproduction sociale, puisque appuyant la légitimité de l’organisation sociale, fondée sur les droits fonciers » (Frazao- Moreira, 1997 cité par Schoeni, 2003) et sur la prédominance du lignage fondateur. Ce sont des sociétés segmentaires exogames à filiation patrilinéaire. La parenté et les alliances, notamment par mariage (échange de femmes), sont le gage de leur reproduction et concourent à en faire des groupes complexes où une bonne part des décisions est de fait contrainte par la prégnance des liens familiaux et assujettie aux obligations qui sont fonction du statut de chacun au sein de la communauté.

Aux XVIIème et XVIIIème siècles, les Peulh se sont massivement installés dans le Fouta-Djalon (hauts-plateaux de Moyenne Guinée). Ils en ont alors chassé les Soussou (Soso) qui sont également venus se réfugier sur les côtes. D’origine Mandé (Houis, 1963 cité par Geslin, 1997.), les Soussou ont commencé par s’implanter au Sud de la région pour investir, par vagues successives, une grande partie de la Guinée Maritime. Une logique d’assimilation envers les populations nalou, landouma et très récemment baga s’est lancée au point que les Soussou constituent aujourd’hui le premier groupe culturel de la zone dont la langue est devenue la langue véhiculaire de l’ensemble des groupes culturels de la Guinée Maritime20. Les Soussou forment également une société segmentaire à filiation patrilinéaire. Cependant, contrairement aux groupes précédemment évoqués, l’organisation sociale y est plus lâche. Les fils d’un même lignage s’autonomisent rapidement et, plutôt que de rester dans le giron du père, vont créer des hameaux d’habitation qui seront dépendants du village d’origine mais dont le fonctionnement sera propre (Fréchou, 1962 ; Geslin, 1997). Cette autonomisation par rapport au lignage se traduit par un émiettement de l’habitat. Au lieu de former un grand village (divisé en quartiers correspondant au nombre de lignages) comme chez les Baga, les Landouma ou les Nalou, le groupe se divise en unités d’habitations par famille ou famille élargie : un fils, ses épouses, leurs descendance et éventuellement leurs jeunes frères ou sœurs (Geslin, 1997). Cette caractéristique ainsi que l’assimilation (par alliance) des autres groupes se concrétisent donc dans l’espace et expliquent en partie la progression très rapide, du Sud vers le Nord, de Forécariah à Kanfarandé, des Soussou en Guinée Maritime.

Des familles diakhanké, rejointes récemment par des familles peulh, sont venues s’installer en Guinée Maritime sur les berges du Nuñez, en terre nalou, dès la fin du XIXème siècle. Les Diakhanké, « parents à plaisanterie » des Peulh, sont originaires de Touba dans le Fouta-Djalon. Commerçants comme leurs « cousins »21, c’est au départ pour faire échanges qu’ils se sont implantés sur les rives du Nuñez à la suite de l’installation de quatre grandes factoreries étrangères. Groupe fortement islamisé, leur fonctionnement social s’apparente à celui de la confrérie Mouride du Sénégal ; une stricte hiérarchie au sommet de laquelle se trouvent les chefs religieux : l’imam et les anciens (prêcheurs, Karamoko22 et El Hadj23). La

20 Cette dynamique a été puissante puisque certains groupes comme les Nalou ne connaissent plus aujourd’hui

que quelques mots de la langue de leurs ancêtres.

21 Expression utilisée par les Diakhanké pour désigner les Peulh.

22 Celui qui enseigne le Coran mais qui généralement occupe aussi une fonction de médecine traditionnelle

reposant sur la connaissance des plantes combinée à l’évocation des Sourates.

dimension religieuse de la société diakhanké est tout à fait structurante. L’organisation sociale repose également sur une double logique spatiale : la concentration, autour du lieu d’origine24 lié à un fondateur (généralement marabout) et la dissémination, conquête du profane partout ailleurs, ce jusque dans les grandes métropoles occidentales. Cette tradition d’émigration ne rompt en rien les relations entre les individus. Elle fait partie des modalités de leur fonctionnement et permet d’étendre le territoire d’action (Guèye, 2002).

La Guerre d’indépendance en Guinée Bissau qui a débuté en 1973, a poussé à la migration les populations balante. Ces dernières se sont installées par petites communautés sur les côtes de Guinée depuis une trentaine d’années pour les plus anciennement implantées, une petite dizaine d’années seulement pour les vagues de migration les plus récentes. Strictement localisées sur la frange littorale, les communautés balante sont aujourd’hui suffisamment nombreuses pour être remarquées dans le paysage culturel de la Guinée Maritime. Elles sont établies sur les îles estuariennes, ou sur les cordons sableux des plaines de front de mer. Peu ou mal considérées par les autres groupes culturels25, souvent rejetées, vivant en marge des villages, dans des endroits isolés, les populations balante sont assez mal connues26. D’après nos observations, il semble qu’il s’agisse d’unités familiales élargies, placées sous la direction du plus ancien qui généralement fut notre interlocuteur. Les Balante ne paraissent que très peu attachés à la terre ; ils ne cherchent pas particulièrement à fonder des communautés villageoises disposant d’un territoire précis. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont localement surnommés « le peuple de l’eau »27, expression lourde de sens pour des groupes d’hôtes chez qui le lignage fondateur, le « maître des terres » constitue l’un des fondements du système social.

24 Touba puis par extension les villages fondés au fur et à mesure des vagues de migration.

25 Elles sont souvent accusées des pires maux : inceste, alcoolisme, vol, etc. Les Balante ont largement consenti à

leur isolement. Leur volonté de limiter les contacts avec leurs hôtes explique en partie les jugements radicaux dont ils font l’objet.

26 Du moins pour les groupes installés en Guinée Conakry. En Guinée Bissau, des études ont été menées sur les

communautés balante mais les contextes sociaux étant très différents, nous avons fait le choix de ne pas les prendre en considération.

Figure 4 : Ethnies majoritaires et langues usuelles de la Guinée Maritime

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