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2. Une méthodologie à l’épreuve des faits

2.2. Les questionnaires : une méthode itérative qui suit les activités dans le temps

2.2.2. La pêche et le fumage : des adaptations aux variations saisonnières

2.2.2.1. La pêche : pluralité technique

La pêche est une activité ancienne dans les pays des Rivières du Sud, présente dès le XIXème siècle sur les côtes guinéennes (Bouju, 1994). Elle donne à voir une importante diversité de techniques. On a souvent fait mention d’une opposition entre techniques productives des pêcheurs migrants d’origine léonaise (ou ghanéenne) et techniques locales de subsistance mais cette dichotomie, qui prévalait durant la première moitié du XXème siècle, a progressivement perdue de sa validité dans les cinquante dernières années (Bouju, 1994). Une conjonction de facteurs a favorisé une redistribution et une complexification des techniques dans la zone : l’insatisfaction de la demande locale en poissons, le besoin croissant de liquidités et l’intérêt grandissant des populations soussou pour l’activité de pêche qui, jusqu’à une date récente, était surtout pratiquée par les groupes Baga et Nalou et reposait essentiellement sur des techniques de « pêche à pied »84. L’ouverture, en 1984, du pays à l’économie de marché et à la libre circulation des biens et des marchandises a permis aux populations de la Guinée Maritime (en particulier les Soussou) d’investir dans du matériel améliorant la rentabilité de l’activité. Les populations de la Basse-Côte ont amorcé une dynamique de développement local en s’insérant dans les logiques de la nouvelle donne économique.

84 L’expression « pêche à pied » a été successivement employée par Gruvel, Castéran et Postel respectivement en

Si la dichotomie entre techniques productives et techniques de subsistance n’oppose plus les populations du littoral guinéen aux populations léonaises, elle est en revanche très présente à l’intérieur même des sites d’étude et chez les chefs de ménage de la base de sondage. Elle oppose également les hommes aux femmes, les enfants et les anciens aux adultes. L’orientation technique de l’activité de pêche d’un ménage est un indicateur sensible de la place faite (contrainte ou voulue) à l’activité par ses membres. D’un point de vue méthodologique, il était donc important de mettre en relief au cours de l’enquête les modalités techniques de la pratique de la pêche. Neuf techniques ont ainsi été utilisées comme clés de voûte de la construction du questionnaire. Une dixième modalité offrait la possibilité aux enquêtés de faire ressortir des techniques non répertoriées. Au final, le dépouillement de l’enquête a mis en lumière la coexistence d’au moins seize techniques85 utilisées par les différents ménages sur l’ensemble des sites, les membres d’un même ménage pouvant déclarer en pratiquer jusqu’à huit différentes au cours de l’année.

Il est possible de classer les techniques en deux catégories : les techniques de pêche à

pied évoquées dans les paragraphes précédents par opposition à ce que nous nommerons les

techniques de pêche embarquée. Les tableaux des pages suivantes les détaillent.

Un investissement dans les filets nécessaires aux prises, dans une embarcation (pirogue ou barque) et éventuellement dans la motorisation de celle-ci, indique généralement que l’activité tient une place importante au sein du ménage, au point parfois de détrôner définitivement l’activité agricole. L’utilisation de ces outils exige souvent de la flexibilité et de la mobilité pour les besoins de la pêche en tant que telle mais aussi pour la commercialisation des prises. C’est pour cette raison que l’on assiste actuellement à une spécialisation de certains ménages. Cette spécialisation génère un nouveau rapport à la main d’œuvre et occasionne le passage de l’entraide familiale, lignagère ou de la parentèle à l’emploi d’ouvriers pêcheurs et de permanents pris en charge par le ménage dont le chef n’est plus « baba »86 ou « frère » mais « patron ».

Quant à la pêche à pied, elle reste aujourd’hui encore majoritairement une pêche d’autosubsistance où l’investissement en moyens matériels est quasi nul et le temps consacré modeste.

85 Il ne s’agit pas d’un relevé exhaustif des techniques utilisées. Mathieu Fribault en a dénombré une quarantaine

dans le seul district de Bigori (Fribault, 2007, com. pers.).

86 Baba signifie papa et est souvent utilisé pour interpeller respectueusement un aîné, un homme que l’on

Tableau 5 : Description des techniques de pêche embarquée

Technique Description

Pirogue / Barques et filets

Nom générique donné à la pêche sur embarcation motorisée ou non. Les pêcheurs utilisent généralement des filets dérivants. Ils pêchent en mer, le long des côtes, dans les estuaires, dans les chenaux de mangrove ou dans les plaines bordières ennoyées. C’est une technique employée souvent à temps plein, en saison sèche voire toute l’année quand le gros temps de saison des pluies n’effraie pas les pêcheurs.

« Hameçon » / Filet à mitraille Filet de pêche employé sur les embarcations et dont la base est équipée de quelques centaines d’hameçons qui servent à piéger les espèces demersales.

Banbanyi

Filet dormant planté sur des piquets enfoncés dans la vase et installé pour plusieurs semaines en saison des pluies dans les plaines ennoyées. Il est relevé quotidiennement ou une fois tous les deux jours. Les prises sont de petite taille.

Finty/Bonga-yèlè Filet maillant dérivant encerclant à Ethmaloses (Ethmalosa fimbriata) utilisé sur certaines embarcations.

Fèlè-Fèlè Filet maillant dérivant encerclant employé sur les embarcations pour la prise, entre autres, des Ethmaloses.

Koli/Sèki Yèlè Filet maillant dérivant encerclant utilisé sur certaines embarcations pour la pêche aux mulets.

Lougountin Filet encerclant à grosses mailles employé sur les barques en mer pour des prises de grosse envergure (barracudas, capitaines, requins, etc.)

« Engagé »

Filet de barrage installé dans les chenaux parallèlement à la berge pendant la période des vives eaux visant des prises de gros calibre. Le pêcheur vient le relever une à trois fois par semaine. Il ne reste jamais très longtemps en place contrairement au banbanyi : il nécessite d’être fréquemment réparé, les gros poissons occasionnant régulièrement des dommages sur le filet lorsqu’ils sont pris au piège.

Réalisation : Mathilde Beuriot, 2007 – Source : Enquêtes OGM, 2004.

Tableau 6 : Description des techniques de pêche à pied

Technique Description

Tété yèlè

Filet conique accroché à un cercle de bois souple. C’est une technique qui consiste à descendre dans les chenaux ou à s’enfoncer dans l’eau sur les plages et à passer le filet dans un mouvement circulaire des bras. Les pêcheurs s’y consacrent couramment dans la semaine pendant quelques heures et souvent toute l’année, lorsque les conditions de marée sont favorables.

Camboa

Technique de pêche des Baga de Bigori qui érigent une diguette, dont le sommet forme une gouttière, autour d’une étendue d’eau dans la plaine bordière de Mankountan. Une trappe permet au poisson d’entrer dans le piège. La nuit venue, cette dernière est fermée, les pêcheurs frappent alors l’eau, les poissons effrayés sautent pour s’enfuir tombant ainsi dans la rigole où ils sont ramassés. Cette technique est surtout utilisée entre mars et mai lorsque les conditions d’ennoiement (relativement peu important à la fin de la saison sèche) le permettent.

Pêche au trou

Durant cette même période, les familles Baga de Bigori utilisent également la technique dite de la « pêche au trou ». A la fin de la saison sèche précédente, certaines familles ont creusé un trou profond dans leurs casiers rizicoles. Ce trou se remplit en saison des pluies et lorsque la plaine se vide à la saison sèche suivante, il emprisonne le poisson. Les membres du ménage vont alors les collecter à l’aide de seaux.

Kasnet ou woli yèlè

Le terme kasnet est employé pour désigner la pêche à l’épervier. Celle-ci est pratiquée en toute saison dans les chenaux, en bordure de côte ou dans les plaines en eau.

Dougoumé

Les Dougoumé sont des nasses tressées en feuilles de palmier. Celles-ci sont enchâssées dans un barrage fait de terre, de branches, d’herbes et de feuillage dans les parties basses des chenaux, dans les ruisseaux, dans les zones de courant des plaines. Lorsque les poissons remontent ou descendent le courant, ils n’ont d’autres choix aux barrages que de s’engouffrer dans les nasses qui sont relevées jusqu’à deux fois par jour.

Ramassage dans les casiers A l’aide de petits filets souvent accrochés sur un support en bois souple, les pêcheurs ramassent en saison des pluies les poissons emprisonnés dans le drain principal des

casiers rizicoles. En l’absence de filets, ils peuvent également être ramassés au fur et à mesure que les casiers s’assèchent.

« Hameçon » La pêche à la ligne désigné localement par le terme « hameçon » se pratique couramment du haut des « digues routes » en saison des pluies et toute l’année en bordure

des chenaux ou des estuaires.

Kgböps C’est une technique employée par les Baga de Bigori qui se rendent en très grand nombre dans la plaine lorsque le niveau d’eau leur permet d’avoir pied à des endroits où le poisson est emprisonné par des digues ou des parties plus hautes. Ils procèdent alors au ramassage en effrayant et encerclant les prises à plusieurs.

Harpon Pendant la saison sèche, les pêcheurs utilisent des harpons dans les casiers rizicoles où le niveau d’eau est relativement bas et le poisson pris au piège.

Bendènè Le bendènè est une senne de plage. Le filet est tiré vers la plage par plusieurs personnes (il faut compter de cinq à dix individus pour ramener la senne). Elle est souvent

utilisée pour pêcher les crevettes en saison sèche.

Bomboma Gaali en soussou sont des pièges de branchage construits à l’aval des petits cours d’eau ou chenaux. Les pêcheurs effrayent le poisson en amont et récupèrent leurs

prises dans les pièges.

Réalisation : Mathilde Beuriot, 2007 – Source : Enquêtes OGM, 2004

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